Il a marqué la fin des années 1990 en remportant le Tour des Flandres, le Tour de Lombardie, la Flèche Wallonne, l’Amstel Gold Race mais surtout, en s’offrant le dernier doublé en date sur Liège-Bastogne-Liège. Michele Bartoli fait partie de la légende des classiques. Pour les 20 ans de son premier sacre dans les Ardennes, il revient pour la Chronique du Vélo sur cet exploit, sur sa carrière et offre son regard d’expert sur la “Doyenne”. Avec passion.

Il y a 20 ans, vous remportiez votre premier Liège-Bastogne-Liège. Vous souvenez-vous des sentiments qui vous ont traversé en franchissant la ligne ?

En arrivant à Ans, c’était indescriptible. Ce qui rend ce moment encore plus spécial, c’est quand vous pensez aux moyens mis en oeuvre, à la façon dont vous avez gagné et aux adversaires que vous avez battus. La ligne franchie, vous vous sentez un peu comme un héros.

Quelle fut votre victoire préférée ?

La plus belle a été la victoire de 1997. On était avec Alex Zülle et Laurent Jalabert, deux coureurs de la même équipe et parmi les meilleurs du monde (ils étaient alors n°1 et n°2 mondial, ndlr). Être en mesure de les lâcher, d’effacer leurs noms de l’esprit des gens, c’était énorme. Ça reste un souvenir spécial.

Les deux fois, vous avez battu Laurent Jalabert. C’était votre plus grand rival ?

Bartoli était un spécialiste pour finir en solitaire : il l’a fait deux fois sur Liège, mais aussi aux championnats d’Italie, en 2000 – Photo Mauro Zoch

C’est vrai que pour moi, Jalabert était sans aucun doute l’ennemi n °1 sur ces courses. Mais il était toujours très correct et respectueux… C’est vraiment un grand champion.

Qu’est-ce-qui rend Liège-Bastogne-Liège si spécial ?

Certainement la grande histoire du vélo en Belgique et les grands champions qui y ont gagné. Mais ça vaut pour toutes les courses belges, elles ont une valeur immense. Ce sont de véritables monuments du cyclisme. Liège est sans aucun doute l’une de mes plus belles victoires, une de celles qui magnifient mon palmarès. Et ce qui rend Liège particulièrement spécial, outre sa très longue histoire, ce sont les fans, les gens au bord de la route, l’atmosphère qui règne… Puis le parcours est quand même très difficile, donc quand vous gagnez vous êtes fier et conscient de faire partie de l’histoire.

Quelle est la qualité indispensable pour l’emporter ?

« En Italie, on a appris aux athlètes à ne pas perdre, pas à gagner. Au fil des années, ce mode de pensée a poussé les coureurs à vivre cette période avec davantage la peur au ventre qu’avec le courage et la détermination obligatoires pour s’y imposer. »

Michele Bartoli

Pour gagner, l’athlète doit avant tout développer de la force, il faut être puissant. Mais ça ne suffit pas : celui qui gagne doit aussi avoir l’intelligence tactique, la technique de conduite du vélo… Il doit aussi être explosif pour pouvoir surmonter les changements de rythme et pour accélérer dans les côtes. C’est un ensemble.

A-t-on besoin d’une équipe solide ou peut-on gagner seul ?

La force de l’équipe est très importante pour ce type de courses, aussi longues. Pour gagner seul, il faut être, sans aucun doute, beaucoup plus fort que tout le monde.

Vous êtes le dernier coureur a avoir réalisé le doublé en 97-98. C’est une fierté pour vous ?

Quand vous réalisez quelque chose d’inhabituel, de rare, d’historique, vous vous en sentez toujours fier.

Quel est votre grand favori pour dimanche ?

Encore et toujours Alejandro Valverde !

A partir de la fin des années 1980, les Italiens ont largement dominé les ardenaises entre Moreno Argentin, vous même, Paolo Betini, David Rebbelin… Pourquoi cette domination s’est-elle arrêtée aujourd’hui ?

Michele Bartoli et Paolo Bettini au départ de Paris-Tours, en 1997 – Photo Eric Houdas

Je ne pense pas que l’Italie manque de talents ou de coureurs capables de gagner. Je crois en revanche qu’il y a, en ce moment, un véritable manque d’enthousiasme en Italie pour ce type de courses. On pense plus à ne pas perdre la face qu’à avoir de l’ambition. On a appris aux athlètes à ne pas perdre, pas à gagner. Au fil des années, ce mode de pensée a poussé les coureurs à vivre cette période avec davantage la peur au ventre qu’avec le courage et la détermination obligatoires pour s’y imposer. Nous avons besoin de croire à nouveau en nos compétences, en nos possibilités. Nous devons nous sentir en mesure de faire de grandes choses. Les équipes ne doivent pas simplement traiter ces courses comme des courses lambdas. Il faut produire un imaginaire fort autour de ces classiques, que les coureurs les désirent à nouveau… C’est comme ça que nous redeviendrons compétitifs.

Avez-vous une idée du prochain Italien qui pourrait gagner Liège ?

J’ai une petite idée là-dessus. Je dirais Diego Ulissi. Mais, pour lui, c’est le même bémol que pour les autres. Je le répète pour gagner il faut du courage, de la détermination et le désir de bien faire.

Cette année, on fête les 20 ans de votre première victoire à Liège. Quelque chose a changé dans le cyclisme depuis ?

Au fond, du point de vue sportif, je ne pense pas que le cyclisme se soit vraiment transformé.

Les équipes ne sont-elles pas plus timides qu’avant ? Vous qui avez gagné en solitaire deux fois, en partant de loin, ça ne vous déçoit pas de voir cette course se décider uniquement dans les derniers kilomètres ?

« Mon plus grand regret reste de n’avoir participé qu’une seule fois à Paris-Roubaix. Cette course était probablement l’une des plus appropriées à mes caractéristiques. »

Michele Bartoli

C’est vrai que de ce côté-là il y a eu un peu de changement. J’ai l’impression qu’on ne cherche plus à mettre en difficulté les coureurs les plus forts. On les accompagne souvent jusqu’à la victoire. Les équipes devraient se mettre en place et promouvoir plus fortement les attaques de loin. Même celles qui ont les meilleurs coureurs doivent encourager les attaques au cours des deux dernières heures de la course. Anticiper, c’est très souvent la meilleure façon de s’offrir une vraie opportunité de surprendre les meilleurs.

Trouvez-vous que les changements de parcours de Liège-Bastogne-Liège enlèvent du charme à la course ?

Peut-être que, pour ceux qui en font le récit, cela lui fait perdre un peu de sa force historique. Mais Liège restera toujours Liège.

Liège deux fois, le Tour de Lombardie deux fois et le Tour des Flandres une fois… Comme Merckx, De Vlaeminck ou Argentin, vous avez gagné ces trois Monuments. Lequel est plus cher à votre cœur ?

Michele Bartoli sur le Tour des Flandres 1996, qu’il a finalement remporté – Photo Fabricia della Bici

Ma course préférée, c’est le Tour des Flandres. C’est la plus dure et certainement la plus fascinante par ses nombreuses difficultés : le vent, ses pavés, ses côtes, ses petites rues… Toutes ces choses en font pour moi la plus belle course du monde.

Philippe Gilbert a réussi le même exploit que vous, gagner ces trois Monuments. Il a aussi, comme vous, remporté toutes les ardennaises. Ça vous inspire quoi ?

Dès ses premières années de professionnalisme, j’avais senti qu’il pourrait un jour gagner une classique. Je pense que c’est un athlète qui a les caractéristiques du champion idéal. Sa victoire sur le Tour des Flandres le prouve à 100 %. Même s’il doit certainement beaucoup à son équipe, cette course s’est jouée dans les jambes. S’il n’avait pas eu cette force incroyable, il n’aurait certainement pas été en mesure de tenir face au retour de ses adversaires.

Et votre carrière à vous, avec le recul, elle vous plaît ?

Je suis très content de ma carrière mais malheureusement elle a été ralentie par trop d’accidents graves (deux grosses blessures au bassin et une au genou droit, ndlr) qui m’ont enlevé quelques-unes de mes meilleures années. Je n’ai jamais pu remporter le championnat du Monde, mais mon plus grand regret reste de n’avoir participé qu’une seule fois à Paris-Roubaix. Cette course était probablement l’une des plus appropriées à mes caractéristiques.

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