Désigné comme le parfait outsider de ce Dauphiné, Esteban Chaves se présente au départ dans une situation qui n’est pas sans rappeler celle de Fabio Aru l’an dernier aux Gets. À une année d’intervalle, les deux hommes se préparent en vue de leur premier Tour de France, avec pour le classement général comme ambition. Mais le Colombien entraîne avec lui plusieurs interrogations. Où en-est il vraiment, après plus de quatre mois en dehors des circuits professionnels ?
Six premiers mois rudes
Révélé sur les routes italiennes et espagnoles, l’ancien miraculé n’était pas certain de tenter sa chance sur la Grande Boucle au moment de sa reprise, sur les routes du Tour Down Under. Mais sans doute toujours quelque peu frustré d’avoir vu l’avant-dernier Giro lui passer sous le nez lors de la dernière étape de montagne, Chaves a finalement laissé le leadership sur la course rose au britannique Adam Yates. Pour lui, il était temps d’accomplir son rêve, courir le Tour de France et rallier les Champs-Elysées. Pourtant, dès l’hiver, il fut proche de repartir dans une grande galère à cause d’une blessure au genou sur l’Herald Sun Tour – sa deuxième course de l’année, et la dernière jusqu’au départ du Dauphiné. Mais le garçon relativise et préfère valoriser les points positifs de cette coupure forcée, comme le fait d’avoir pu se remettre à la natation. Sans oublier qu’avant ce pépin, sa reprise avait été rassurante. Deuxième du Tour Down Under, il ne semble pas avoir perdu l’excellent rythme de sa fin de saison 2016, ce qui contraste avec ses habitudes hivernales et printanières poussives.
Sa tendinite au genou l’a toutefois privé de propres championnats nationaux et du Tour du Pays-Basque, de quoi faire naître l’inquiétude dans la presse nationale. Qu’importe, l’équipe Orica-Scott elle ne s’inquiète pas. Elle s’adapte judicieusement, et les programmes de chacun laissent présager de grandes ambitions pour la Vuelta, ou les frères Yates et Esteban Chaves devraient constituer une triplette enflammée. En attendant, le Colombien refuse tout bonnement de se mettre une quelconque pression supplémentaire pour la grande messe de juillet. « Quand tout le monde me parle du Tour, c’est pour dire que c’est une course différente, que c’est la plus dure, la plus importante de l’année, bla bla bla… J’ai vraiment besoin d’y aller, de voir si tout cela est vrai ou non, et d’apprendre des choses supplémentaires. » Ainsi, ses grands débuts en juillet n’auraient qu’une finalité d’apprentissage. 2014 était la saison du premier grand tour, 2015 celle du maillot rouge et des places d’honneur, 2016 l’a vu réaliser deux podiums à Turin et Madrid. Et en 2017 ?
Le Dauphiné sans grandes prétentions
Le parallèle avec le Sarde Fabio Aru, lui aussi de la génération 1990, n’est alors pas totalement incongru. Venu presque en touriste il y a un an, il avait remporté une d’étape en baroudeur, au terme d’une échappée victorieuse créée dans un long faux-plat descendant. Mais quelques semaines plus tard sur le Tour, l’Italien avait beaucoup déçu, ne parvenant pas à se hisser à la hauteur de Froome, Bardet et Quintana, subissant même une défaillance lors de la vingtième étape. Chaves, lui, ne devrait pas chercher à se brûler les pattes tout au long de la semaine. Matthew White, son directeur sportif, a bien annoncé la couleur. Jens Keukeleire, Simon Gerrans ou son lieutenant Simon Yates auront carte blanche pour décrocher des succès. Le leader, lui, vient simplement reprendre le rythme de la compétition.
Parti sur les hauts plateaux andins tout le mois de mai avec ses compagnons de fortune, Damien Howson et Sam Bewley, Esteban Chaves semble satisfait de cette préparation alternative, et ne regarde que vers les étapes clés du prochain Tour de France. L’objectif y est grand : à défaut de jouer la gagne dès sa première participation, un non-objectif d’après White, Chaves compte bien succéder à son idole de jeunesse Victor Hugo Pena, premier et seul « escabajador » du pays à avoir porté le maillot jaune sur la plus grande épreuve cycliste. Difficile, malgré tout, de ne pas voir un peu plus haut pour celui qui en 2016, s’est imposé comme l’un des meilleurs grimpeurs du peloton. Le Giro et la Vuelta lui avaient permis de se mettre en lumière grâce à des parcours pentus, peu fournis en contre-la-montre, et c’est justement la tonalité du Tour qui s’annonce. Alors pourquoi se refuser des grandes ambitions ? L’an dernier, Adam Yates avait créé la surprise en terminant quatrième à Paris. Chaves, lui, sera davantage attendu que son coéquipier britannique. Mais il est aussi bien plus en mesure d’aller titiller Froome, Contador et les autres. A condition de ne pas avoir pris trop de vacances depuis le mois de février.