La liste est longue comme le bras : Almeida, Guerreiro, Geoghegan Hart, Dunbar, Narvaez, Powless, Bjerg, Philipsen… Avant d’intégrer l’élite du cyclisme mondial, tous ces coureurs sont passés dans les rangs d’Axeon Hagens Berman. La formation américaine, qui a remporté à trois reprises la course U23 de Liège-Bastogne-Liège entre 2016 et 2019, est l’un des principaux fournisseurs de talents des équipes World Tour depuis plusieurs saisons. Le Tour d’Italie, tenu cette année en octobre, constitue d’ailleurs la plus belle preuve de cette réussite puisque les anciens pensionnaires d’Axeon comptent quatre victoires d’étape et animent le général. Le responsable de cette fabrique à pépites, Axel Merckx, s’est confié à la Chronique du Vélo.

Athènes, 2004. Douzième quatre ans plus tôt en Australie, Axel Merckx décroche le bronze olympique sous les yeux de son père, qui commentait l’évènement pour la télévision belge. C’est à quatre kilomètres de l’arrivée, alors que le groupe des favoris était lancé à la poursuite de Bettini et Paulinho, que le fils du Cannibale s’extirpe du peloton pour passer la ligne en troisième position. Ce podium reste, avec sa victoire d’étape sur le Tour d’Italie et son titre de champion de Belgique, un des moments marquants de sa carrière. Retiré des pelotons depuis 2007 et aujourd’hui directeur de l’équipe Hagens Berman Axeon, Axel Merckx continue de collectionner les breloques, par procuration cette fois, grâce aux jeunes pousses qu’il s’attache à polir année après année.

Lancée en 2009 sous le nom de Trek-Livestrong, l’équipe est à ses débuts étroitement liée à Lance Armstrong. Les liaisons sont à la fois financières – la fondation de l’Américain est un des principaux sponsors – mais aussi sportives – l’équipe U23 est perçue comme une filiale de Radioshack, formation de l’époque du Texan. Dès sa première année d’existence, Trek-Livestrong truste le haut du pavé, portée par Taylor Phinney vainqueur chez les espoirs de Paris-Roubaix et du chrono des championnats du monde. Autour de celui que l’on présente alors comme un crack, on retrouve Ben King, Alex Dowsett ou Jesse Sergent, futurs pensionnaires du World Tour. La formation, elle, chance de nom plusieurs fois après les accusations de dopage qui touchent Lance Armstrong. Axel Merckx, jusque-là directeur sportif, en devient finalement le propriétaire en 2014, avant de la repabtiser Axeon, la contraction entre Axel et le fonds d’investissement Neon Adventures, qui fera son apparition dans le nom de la formation.

Référence formatrice

Pour briller malgré les départs inéluctables de ses meilleurs éléments, Axeon devient alors une référence en terme de détection. Les résultats et la renommée aidant, Axel Merckx pourrait aujourd’hui construire trois équipes compétitives au vu du nombre de candidatures qu’il reçoit chaque année. Les heureux élus (seize coureurs entre 2016 et 2019, douze auparavant) sont méticuleusement sélectionnés. Première façon de faire le tri, les résultats. Puis le Belge interroge son réseau et ses protégés du moment afin de recueillir leurs impressions. Ultime étape, un entretien pour « savoir comment ils peuvent se comporter avec le public, les autres coureurs et même les sponsors. »

Seul coureur français à avoir évolué au sein de la structure, Clément Chevrier décrit son aventure américaine comme « un palier entre le monde amateur et le monde professionnel ». Au sujet du boss Axel Merckx, outre le nom, il retient sa capacité à s’adapter au groupe. « On n’a pas l’impression d’avoir une relation de travail, mais plutôt une relation amicale. C’est un peu comme une grande famille. » Tao Geoghegan Hart parle lui d’un « programme incroyablement varié », savamment dosé entre l’Europe et les Etats-Unis, entre les courses espoir et celles au contact des formations World Tour. Profitant de la reprise du calendrier cycliste européen, les protégés d’Axel Merckx ont ainsi enchaîné en août le Tour de l’Ain et le Tour de Wallonie où Kevin Vermaerke, qui rejoindra Sunweb en 2021, s’est offert à même pas vingt ans une prometteuse 14e place au général.

« Rapidement, je me suis rendu compte qu’il y avait un creux entre les jeunes et les professionnels aux États-Unis et au Canada. Les coureurs n’avaient pas l’occasion de se rendre en Europe, là où les courses sont les plus relevées. C’est ce que j’ai voulu faire avec Axeon, donner cette chance. »

– Axel Merckx

« Cette réussite, c’est avant tout grâce aux coureurs, explique Merckx modestement. C’est eux qui font les résultats et qui nous amènent à ce niveau-là. Cette équipe a été créée dans le but de former de jeunes coureurs pour qu’ils intègrent le monde professionnel, dans tous les sens du terme. Rapidement, je me suis rendu compte qu’il y avait un creux entre les jeunes et les professionnels aux États-Unis et au Canada. Il n’y avait de système en place, hormis l’équipe Garmin à mon époque. Les coureurs n’avaient pas l’occasion de se rendre en Europe, là où les courses sont les plus relevées. C’est ce que j’ai voulu faire avec Axeon, donner cette chance. » La suite logique a été d’intégrer des coureurs non-américains, pour créer une mixité dans l’équipe qui correspond au passage aux standards des équipes World Tour. Hagens Berman Axeon ressemble dans le fond à une équipe professionnelle qui n’aurait que des coureurs de moins de 23 ans.

Concurrence avec les équipes World Tour

Depuis 2009, 30 coureurs ont ainsi franchi le pas, passant d’Axeon à l’échelon supérieur. Certains, à l’image d’Alex Dowsett ou de Jasper Stuyven, y réussissent de longues carrières. D’autres, comme Neilson Powless et João Almeida, ont attendu cette saison pour se faire un nom. Reste une troisième catégorie de coureurs, ceux dont le rêve s’est envolé en cours de route. L’année 2017 fût particulièrement noire pour Axel Merckx et ses ouailles. Chad Young, pas encore 22 ans au compteur, participait à la dernière étape du Tour de Gila lorsqu’il chuta lourdement dans une descente. Transporté par voie aérienne dans un hôpital de la région, il succombera de multiples blessures à la tête quelques jours plus tard. Durant l’été, c’est Adrien Costa, l’un des plus grands espoirs du cyclisme américain, qui décide de mettre sa carrière entre parenthèses. Un an plus tard, alors qu’il pratique l’escalade, il est victime d’un grave accident et

Des drames qui ont marqué durablement Merckx et l’ensemble de la structure. Mais le boulot continue. La formation est l’un des grands enjeux du cyclisme actuel, où les jeunes gagnent de plus en plus tôt, et donc signent chez les professionnels de plus en plus tôt. Le déjà starisé Remco Evenepoel démarrait ainsi sa carrière chez Deceuninck-Quick Step, l’une des plus grosses écuries mondiales, à même pas 19 ans et avec un contrat rarissime de 5 ans. Sauf qu’il n’est même plus une exception tant ces opérations se multiplient. « On est arrivés à une situation où les équipes World Tour ont peur, décrypte Merckx. Peur de rater une occasion. Elles décident donc de faire signer les coureurs de plus en plus jeunes. Financièrement, ils sont gagnants. Un junior n’a pas de prétentions salariales élevées, contrairement à un espoir qui a le choix entre plusieurs équipes. Par contre, niveau maturité, ça peut être compliqué. Un gamin de 18 ans n’a pas la même maturité qu’un coureur de 22 ans. »

« Je peux comprendre que lorsqu’on est si jeune, quand une équipe World Tour frappe à la porte avec un contrat de plusieurs années, c’est très difficile de dire non. C’est l’ambition de tout le monde et on peut avoir peur que cette occasion ne se représente plus. »

– Axel Merckx

La vie en World Tour relève d’un autre monde. Un calendrier intense, une concurrence exacerbée. « A 18 ans, c’est difficile pour certains, souligne Merckx. Et tout cela se fait au détriment de la performance. Mais je peux comprendre que lorsqu’on est si jeune, quand une équipe World Tour frappe à la porte avec un contrat de plusieurs années, c’est très difficile de dire non. C’est l’ambition de tout le monde et on peut avoir peur que cette occasion ne se représente plus. » Remco Evenepoel, lui, aurait signé n’importe quand avec n’importe qui. Ce n’est pas certain pour les autres jeunes coureurs en devenir, un peu moins prodigieux que le phénomène belge.

Financer la poule aux œufs d’or

Mais qu’ils soient signés à 18 ou à 22 ans, les jeunes coureurs ne rapportent généralement pas grand chose à leurs équipes formatrices. Pour Hagens Berman Axeon ou pour Androni, équipe de deuxième division réputée pour avoir fait éclore Egan Bernal notamment, le problème est même. Gianni Savio a bien réussi à tirer quelques bénéfices de ses pépites colombiennes (300 000 euros pour Bernal, 120 000 pour son compatriote Ivan Sosa), mais ce sont encore des cas exceptionnels. Ce n’est pas arrivé beaucoup plus souvent à Axel Merkcx. « Rien n’oblige les équipes à nous verser une compensation financière, explique-t-il. Quand cela arrive, c’est un choix de leur part. Cependant, j’ai fait la proposition à l’UCI et l’idée, je l’espère, fait son chemin. Comme on l’a eu avec Androni, il faudrait un système de compensation, qu’on perçoive une contrepartie. J’avais proposé la moitié du salaire annuel du coureur. »

Pour une équipe comme Axeon, qui dispose d’un budget limité, une telle rétribution serait une bénédiction. Ses sponsors sont fidèles, depuis plusieurs années, mais les revenus ne sont pas infinis. Sans possibilité de participer aux plus grandes courses du calendrier, le business modèle tient toujours à un fil. « On a aucune voir très peu de visibilité pour nos marques, dit Merckx. On dispute les courses du calendrier américain, mais au final, peu de courses importantes. Le Tour de Californie, la Redlands, le Tour de l’Utah, c’est très limité et sans garanties. »

En Continental Pro lors des saisons 2018 et 2019, Hagens Berman Axeon est retournée en troisième division cette année. Une décision lourde de conséquences puisque la pandémie mondiale a annulé de nombreuses courses du calendrier espoir. « Malgré l’épidémie et l’arrêt net de la saison, on essaye de garder contact avec les coureurs en leur disant de rester le plus calme possible et de relativiser les choses, raconte le manager. Mais c’est vrai que pour un athlète qui est en dernière année chez les espoirs, c’est difficile. » Le cabinet d’avocats Hagens Berman a aussi réduit sensiblement sa contribution au budget de l’équipe. Il manque ainsi près de 300 000 dollars à la structure pour assurer sa pérennité pour la saison prochaine. Tout le monde a pourtant intérêt que la poule aux œufs d’or continue à vivre.

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