A la fin du mois de juillet, à quelques jours de l’arrivée du Tour de France, Amaël Moinard annonçait que sa onzième Grande Boucle serait la dernière. A 37 ans, le Normand a décidé de raccrocher, quatorze ans après être passé professionnel. Leader, parfois, équipier souvent, il a connu le Graal en remportant le Tour de France, en 2011, comme coéquipier de Cadel Evans. Il y a quelques semaines, au cœur de l’été, Amaël Moinard a donc pris le temps de revenir sur les moments clés de sa carrière. Les grandes joies comme les déceptions, l’évolution de son rôle, aussi, il n’a évité aucun sujet.

En juillet dernier, vous avez bouclé votre 11e Tour de France. L’émotion n’était pas trop intense au moment de remonter une dernière fois les Champs-Elysées ?

Pas plus que pour un autre Tour… On est toujours content d’arriver sur les Champs, même si le fait que ça soit mon dernier Tour de France, les émotions étaient, peut-être, un peu plus fortes. J’étais fier d’avoir bouclé mon 17e grand tour (en 17 participations, il n’a donc jamais abandonné, ndlr).

Avez-vous vécu différemment votre dernier Tour de France ?

Oui car j’avais aucune ambition individuelle et j’avais peut-être moins de pression que les années précédentes. Je n’avais pas besoin de faire mes preuves et d’aller chercher un gros résultat pour signer un nouveau contrat. Mais sportivement, c’était un Tour comme les autres, je l’ai vécu à fond, je n’ai jamais relâché la pression.

Vous avez décidé d’annoncer votre retraite pendant le Tour de France, pourquoi ?

En fait, je n’avais pas pris la décision définitive avant le départ. Je m’étais toujours dit que lorsque je prendrais cette décision, je me relâcherais peut-être, alors je n’avais pas envie de la prendre trop tôt. Sur ce Tour, j’ai senti que c’était le moment, ça roulait hyper vite, comme les éditions précédentes, mais je commençais à subir davantage. Je ne voulais surtout pas faire une année de trop.

Revenons un peu dans le passé. Vous disputez le Giro en 2006, votre premier grand tour, un an après être passé professionnel. Vous étiez déjà prêt ?

Je suis passé professionnel à 23 ans, je devais avoir 24 ans au départ du Giro. Maintenant, on voit Bernal qui gagne à 22 ans, alors tout est relatif. J’étais prêt physiquement, j’avais fait une première année assez complète chez Cofidis en tant que néo-pro. Un premier grand tour, c’est toujours très difficile, j’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre, mais c’est ce qui m’a permis d’avoir une bonne progression par la suite. Si on le fait dans de bonnes conditions, on progresse énormément, d’autant plus quand on est jeune et apte à faire cet effort. On gagne en résistance, en puissance mais aussi au niveau psychologique. On dit souvent que l’on passe un palier après un grand tour, je pense que j’en ai passé un cette année-là.

L’année suivante, en 2007, c’est un peu celle de votre révélation, avec une victoire d’étape sur la Route du Sud et une sélection pour les Mondiaux.

J’ai aussi fait pas mal de résultats au mois d’août, je termine notamment 11e du Tour d’Allemagne. J’avais enchaîné pas mal de courses à étapes World Tour, je suis arrivé un petit peu émoussé sur ces championnats. Je l’ai quand même bien vécu, car c’était un objectif pour moi. À la fin, j’étais tout de même un peu déçu du résultat, je m’étais dit que je voulais refaire les championnats du monde dans une autre dynamique, c’est ce que j’ai fait l’année d’après. En 2008, c’était beaucoup mieux, j’avais des bonnes sensations, j’ai réussi à être acteur toute la course et je me fais reprendre dans le dernier tour.

« Quand on fait une performance, on veut toujours aller chercher plus haut. Mais quand on se pose et que l’on voit tous les sacrifices que l’on a dû faire pour atteindre ce niveau, on se dit que ce n’est pas possible d’aller chercher plus haut. »

– Amaël Moinard

Votre histoire avec le Tour de France commence elle en 2008, avec Cofidis. Comment le vivez-vous à l’époque ?

C’était mon premier Tour, j’y allais pour découvrir, je n’étais pas leader. Au départ, je n’étais pas du tout présent pour jouer le général, je me suis retrouvé à essayer de jouer les premiers rôles après avoir repris du temps grâce une échappée. Pour un premier Tour de France, être dans les vingt premiers, c’est exceptionnel (14e à Paris, ndlr). Je me suis battu tous les jours, la question ne s’est même pas posée, je me devais de tenir. Quand j’étais adolescent, je rêvais de faire le Tour de France. Alors quand on le fait et que tout se passe bien, c’est super.

Vous avez terminé cette édition à la 14e place, votre meilleur résultat sur un grand tour. Mais ensuite, vous n’avez jamais réussi à faire mieux, pourquoi ?

En 2009 et 2010, j’ai essayé mais ça n’a pas marché… Mes limites étaient là, il fallait que tout se passe bien pour être classé dans le top 20. Je suis quand même satisfait de ce classement. Avant de passer pro, je ne pensais pas arriver à un tel niveau. Les années d’après, je n’ai plus cherché à jouer le général, physiquement et mentalement, c’est très compliqué, on laisse beaucoup d’énergie sur la route. J’ai préféré changer ma manière d’aborder les courses en essayant de faire des coups sur les étapes.

En 2009, vous enchaînez le Tour puis la Vuelta et vous terminez votre premier Tour d’Espagne à la 18e place. L’enchaînement était donc possible ?

C’est dur mais c’était mon choix, je voulais vraiment faire deux grands tours dans la même saison. En plus ça s’est plutôt bien passé pour moi. Je ne me suis pas senti épuisé après cette enchaînement, ça a été révélateur pour moi.

L’année suivante, sur Paris-Nice, vous commencez très bien la saison en remportant le maillot à pois et la dernière étape. C’était une course particulière pour vous ?

J’ai toujours aimé Paris-Nice, oui. Je marchais bien en début de saison, et souvent, c’était la course où j’avais les meilleures sensations. Le profil me correspondait bien, j’ai toujours eu envie de remporter une étape sur cette épreuve. Cette victoire, c’était un rêve, je l’ai réalisé en 2010, ça restera le plus beau souvenir de ma carrière.

Après ce beau résultat, vous n’avez pas voulu essayer d’aller chercher la victoire sur une épreuve d’une semaine ?

Je n’en était pas capable, tout simplement. Quand on fait une performance, on veut toujours aller chercher plus haut. Mais quand on se pose et que l’on voit tous les sacrifices que l’on a dû faire pour atteindre ce niveau, on se dit que ce n’est pas possible d’aller chercher plus haut.

En 2011, vous arrivez sur le Tour avec un autre statut, celui de coéquipier pour Cadel Evans au sein de la formation BMC. Avant de débuter le Tour, vous sentiez-vous déjà capable de le remporter ?

On sentait que Cadel était très bien. En début de saison, il avait remporté Tirreno puis le Romandie, et termine ensuite deuxième du Dauphiné. On a abordé ce Tour avec le plein de confiance, on savait qu’on avait une équipe solide aussi bien en montagne que sur les autres profils. Sur le Tour, on n’a pas trop douté.

Même avec Andy Schleck en jaune à quelques jours de l’arrivée ? Vous saviez que ça allait le faire ?

On ne savait rien du tout, mais on avait un plan et on essayait de s’y tenir. On n’était pas omnibulé par nos adversaires, on avait autant peur d’Andy Schleck que de Thomas Voeckler.

Une victoire sur le Tour, ça se fête comment ?

« Cadel était un vrai meneur d’hommes. Il nous donnait très peu d’instructions mais beaucoup de confiance, c’est important. On avait tous envie de se surpasser. Quand on a un leader comme Cadel, on essaie d’être toujours concentré, on se doit d’être présent le plus longtemps possible à ses côtés. »

– Amaël Moinard

Quand Cadel reprend le maillot jaune sur le chrono la veille de l’arrivée, on savait déjà que c’était gagné, on a commencé à le fêter un peu. Sur les Champs, c’était fantastique, on était tous fiers d’avoir réussi notre mission. On a fait une bonne fête, l’ambiance était super.

Quel genre de leader était Cadel Evans ?

C’était un vrai meneur d’hommes. Il nous donnait très peu d’instructions mais beaucoup de confiance, c’est important. On avait tous envie de se surpasser. Quand on a un leader comme Cadel, on essaie d’être toujours concentré, on se doit d’être présent le plus longtemps possible à ses côtés. En dehors de la course, c’était un mec très sympathique. Les affinités, elles ne se créent pas sur le Tour mais bien avant. Et on travaille toujours mieux pour un leader que l’on apprécie.

En 2013, deux ans après votre victoire sur le Tour, on imagine que l’ambiance était moins festive (Evans avait terminé 39e, Van Garderen 45e).

Oui complètement, c’est le Tour le plus difficile que j’ai eu à vivre. En début de saison, on avait beaucoup couru, on est peut-être arrivé beaucoup trop en forme au mois mai. On avait notamment remporté le Tour de Californie avec Tejay (Van Garderen, ndlr). Le Tour, c’était l’objectif de la saison, mais ce n’est jamais simple de performer. Ce n’est pas parce que vous avez plusieurs leaders que vous allez réussir. Parfois, il vaut mieux avoir une équipe soudée autour d’un seul leader.

En 2014, vous êtes l’équiper de Tejay Van Garderen sur le Tour de France. Il termine 5e à Paris, mais était-ce vraiment satisfaisant pour l’équipe ?

Il était venu pour faire un podium. Pour ma part, je fais certainement mon plus beau Tour cette année-là. Malheureusement, Tejay a eu une défaillance au Port Balès. Il fait une fringale, je crois. Il a perdu beaucoup de temps sur cette étape. Terminer cinquième du Tour, c’est quand même bien mais je pense qu’il aurait pu accrocher le podium avec un peu plus de chance. Le vélo, ça se joue à peu de choses. Cette année-là, il a atteint son maximum sur une épreuve de trois semaines, il n’a pas réussi à faire mieux sur les éditions suivantes. C’était aussi un leader très différent de Cadel. Tejay était beaucoup plus réservé, ce n’était pas un meneur d’hommes.

Durant vos années chez BMC, aviez-vous assez de liberté pour aller dans les échappées ?

Oui, pour jouer les étapes ou pour être un point de chute pour mes leaders. Sur les grandes étapes de montagne, c’est toujours intéressant d’avoir un gars à l’avant, j’aimais bien avoir cette liberté. Sur le Giro 2015, j’avais aussi eu beaucoup d’opportunités.

En 2015 justement, vous êtes appelé à la dernière minute pour remplacer votre Klaas Lodewijk sur le Giro. Disputer un grand tour sans être vraiment prêt, c’est compliqué ?

J’étais prêt physiquement mais pas du tout mentalement… Quand je vois le résultat, c’est plutôt pas mal. J’ai été présent sur trois semaines, j’ai joué les étapes, je suis passé prêt du maillot rose et je termine finalement à la 15e place du général. C’est certainement mon meilleur grand tour. En plus, on avait décroché deux succès avec Philippe Gilbert. Sur les deux étapes, on est échappés tous les deux et il a réussi à conclure. Ce Giro a été une bonne leçon pour moi, j’ai compris que je pouvais performer sans avoir tout programmé.

Cette année-là, vous ne participez pas au Tour de France. Comment vit-on le fait de le regarder à la télé ?

C’est très frustrant… Pourtant, j’y avais déjà participé plusieurs fois, mais pour un coureur français, le Tour de France, c’est la course où l’on veut absolument briller. Après coup, en revanche, heureusement que je n’y suis pas allé. C’est compliqué d’être en forme en juillet quand on a fait un Giro plein.

« Devenir entraîneur, c’est quelque chose qui pourrait me plaire, mais j’ai dû mal à me projeter pour le moment. Je suis encore coureur, je vais prendre mon temps. J’ai déjà préparé ma reconversion en faisant des études et en obtenant un diplôme avant de passer professionnel. À la fin de saison, c’est une nouvelle opportunité, une nouvelle vie qui commence pour moi. »

– Amaël Moinard

Vous participez cependant à la Vuelta où vous remportez avec votre équipe le contre-la-montre par équipes. Pour faire parti des grandes formations dans cette discipline, aviez-vous une préparation spécifique ?

C’est un travail qui commence dès l’hiver. Avec une équipe comme BMC, vous êtes préparés à ce type d’efforts. La manière d’aborder le contre-la-montre par équipes est aussi très différente. Chaque année, on avait un matériel au top et on prenait le départ pour gagner. C’est complètement différent lorsque l’on est dans une équipe qui joue le milieu de tableau. Le chrono a toujours été dans la culture de cette équipe. En 2011 sur le Tour, on fait deuxième derrière Garmin, puis on a enchaîné. On a toujours beaucoup travaillé cette discipline, pendant les stages, on avait souvent des sessions consacrées au contre-la-montre par équipes. En plus de ces entraînements en équipe, on se devait aussi de répéter cette effort tout au long de l’année afin d’être prêt le jour de la course.

En 2017, vous décidez de quitter BMC pour revenir en France, chez Fortuneo. Vous vouliez finir votre carrière en France ?

Non, ce n’était pas ça du tout. J’avais 35 ans, je voulais me lancer de nouveaux objectifs. Le fait que l’équipe recrute Warren (Barguil), c’était pour moi un nouveau challenge à relever.

Vous êtes connu quelques moments délicats avec Fortuneo, comme ce Tour 2018 où Warren Barguil, très attendu, ne répond pas présent.

Ca été compliqué. On avait tenté des choses, ça n’a pas fonctionné, c’est comme ça. On a souvent été à l’avant, j’ai essayé de l’aider au maximum mais on n’a pas réussi à aller chercher une étape. Il y avait certainement une méforme cette année-là. En 2018, il a connu une mauvaise passe mais il est entrain de remonter la pente. C’est aussi à ce moment-là que j’ai compris qu’il serait difficile de continuer longtemps à ce niveau, j’avais bien souffert sur ce Tour.

Cette retraite, vous y pensez donc depuis un moment ?

Au bout d’un moment, il faut se rendre à l’évidence. Je subissais davantage, je freinais davantage et je mettais, peut-être, un peu moins d’engagement. Je ne voulais pas continuer pour continuer. Le vélo, c’est déjà un sport très difficile, alors quand vous êtes un peu moins passionné…

Sur les grands tours, vous avez connu tous les rôles : leader, coéquipier, électron libre. Dans quel rôle vous sentiez-vous le plus à l’aise ?

Tous sauf leader. Je ne suis pas un leader dans l’âme, je n’avais pas forcément les épaules pour assumer ce statut. Je ne voulais pas être leader pour aller chercher un top 10. Quand on est leader d’une équipe, il faut viser les premières places, et je n’étais pas capable d’aller chercher si haut. Je ne voulais pas être leader des seconds couteaux, c’est pour cela que j’ai préféré travaillé pour les autres.

Depuis vos débuts en 2005, le cyclisme a bien changé, notamment avec toutes les nouvelles applications qui permettent aux coureurs de gérer leurs efforts. Quel regard portez-vous sur ces évolutions ?

J’avais déjà tout cela. Pendant mes années juniors et en amateur, je me devais d’optimiser mon temps car je faisais des études à côté. Si j’ai réussi à atteindre ce niveau, c’est parce que j’ai su optimiser mes entraînements. Aujourd’hui, ce que j’ai pu constater, c’est que tout le monde s’y est mis. Le niveau global du cyclisme a grimpé du coup.

Après l’hiver, vous ne serez plus coureur pro. Mais comptez-vous rester dans le milieu ?

Devenir entraîneur, c’est quelque chose qui pourrait me plaire, mais j’ai dû mal à me projeter pour le moment. Je suis encore coureur, je vais prendre mon temps. J’ai déjà préparé ma reconversion en faisant des études et en obtenant un diplôme avant de passer professionnel. À la fin de saison, c’est une nouvelle opportunité, une nouvelle vie qui commence pour moi.

Si vous pouviez rajouter une victoire à votre palmarès, laquelle choisiriez-vous ?

Une victoire d‘étape sur un grand tour ! C’était un rêve… Je n’ai pas de regrets car j’ai tout fait pour, je suis passé pas loin de la gagne plusieurs fois. En 2009, sur le Tour de France, la 16e étape qui arrivait à Bourg-Saint-Maurice, lorsque Astarloza gagne, j’avais vraiment les jambes.

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