On savait que tout pouvait se passer. Voir les routes blanchies cette semaine par la neige nous laissait envisager une course dans des conditions dantesques. Ca n’a pas manqué. Par des températures très basses et sous la pluie, les coureurs sont devenus des guerriers, pour nous offrir une course dont on osait à peine rêver.

Une bande de forçat

Maillot manches courtes, cuissard court, pas de gants : l’image de Tiesj Benoot, filant vers la victoire à Sienne, était saisissante. Le visage maculé de boue jusque dans les yeux, les bras rougis par la pluie et le froid, le Belge a été le symbole de cette course décousue, où les coureurs se sont retrouvés éparpillés comme rarement, en petits groupes de deux ou trois, parfois légèrement plus. Dans l’enfer Toscan, il devenait ainsi presque impossible de distinguer Valverde et Amador autrement que par leur façon de pédaler. Chez Bora, heureusement, chacun portait un maillot différent pour que l’on puisse faire la différence entre Sagan, Burghardt, Oss et Muhlberger. La course entrait dans une nouvelle dimension, presque apocalyptique, à la manière de certains Paris-Roubaix de légende ou d’étapes du Giro sous la neige. Le genre de course qui n’arrive pas chaque saison et qui reste dans les mémoires pour plusieurs années.

Le genre de course, aussi, qui promeut des acteurs inattendus. Benoot, Bardet, Van Aert. Qui aurait mis une pièce, ce samedi matin, sur le fait que ne serait-ce que l’un des trois finirait sur le podium sur la Piazza del Campo ? Sûrement pas grand monde. Romain Bardet et Wout Van Aert découvraient les Strade Bianche, et pourtant. A l’initiative du Français, c’est eux qui ont fait basculer la course à presque cinquante kilomètres de l’arrivée. Ils ont été les visages de cette course de guerriers. Le spécialiste des grands tours, qu’on n’imaginait pas se mettre dans un tel état sur une classique du mois de mars, et le triple champion du monde de cyclo-cross, que l’on annonçait encore un peu tendre malgré un talent indéniable, ont plus que fait le show. Ils ont montré de quel bois ils étaient fait. Il y a quelques décennies, on les aurait volontiers appelé des forçats.

Un dépucelage pour Benoot

Voir Bardet saisir les bidons tendus par la voiture neutre pour se nettoyer le visage avait quelque chose d’original. De jouissif, aussi. Les coureurs ont souffert, ce samedi. Ils sont arrivés exténués, frigorifiés, et pour beaucoup, ils n’auront sans doute jamais autant rêvé de la douche d’après-course. Mais nous, spectateurs, avons adoré. Eux aussi, probablement. Parce que les coureurs ont un côté maso, qu’ils aiment se faire mal jusqu’au déraisonnable. Il le faut pour s’aventurer sur des pentes à plus de 18%, non goudronnées et avec plus de 150 kilomètres dans les pattes. C’est peut-être parce qu’il est encore plus dur au mal que les autres que Tiesj Benoot s’est extirpé de la masse. A bientôt 24 ans, il s’offre sa première victoire chez les professionnels. Pour le coureur qu’il est, symbole d’abnégation, il aurait difficilement pu rêver mieux. A l’arrivée, il se tenait la tête et ne semblait pas y croire. On n’aurait pas parié sur lui non plus, ce matin. Mais au final, il fait le vainqueur parfait.

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