Premier coureur à réaliser le doublé Tour-Vuelta depuis 1978 et Bernard Hinault, Christopher Froome a écrit un nouveau chapitre de son histoire. Avec cinq grands tours à son actif, l’enfant de Nairobi peut regarder (presque) droit dans les yeux les monstres de son sport. Désormais devant Nibali et débarrassé du tout-juste retraité Contador, il est un patron qui ne souffre d’aucune contestation.

Made in Froome

Il a le profil type du vainqueur de grands tours, et ce n’est pas nouveau. Mais sur les routes espagnoles, Chris Froome a dû manger son pain noir plus qu’ailleurs. Trois fois deuxième avant d’enfin s’imposer, il savourera sans doute ce succès comme il l’a rarement fait jusqu’ici. Sur la Vuelta, il subissait depuis plusieurs années ce qu’il inflige à tous ses rivaux sur le Tour. Une succession d’échecs. Mais cette fois, avantagé par le nombre de kilomètres contre-la-montre (il a pris près de 1’20 sur Nibali, son dauphin au général, dans les chronos par équipes et individuels) et la défaillance précoce de Contador, il n’a pas tellement tremblé. Intenable en Andorre, offensif à Alcossebre, puis tout en maîtrise lors du week-end valencian, avec une victoire d’étape en haut de la Cumbre del Sol, Froome n’a fait que distancer ses rivaux, au train ou en plantant des banderilles, quand ses coéquipiers ne s’en chargeaient pas directement pour lui.

À l’exception du vaillant Miguel Angel Lopez, aucun autre coureur n’a fait meilleure impression dès que la route s’élevait, et Froome a contrôlé. Avec une seule frayeur, aux Machucos. Une ascension inédite, courte, et diablement plus pentue que les déjà indigestes Peña Cabarga et Angliru. Mais la quarantaine de secondes concédées à Vincenzo Nibali sont restées sans conséquence tant le Sicilien était branché sur courant alternatif. En rouge au bout de trois étapes, le grand seigneur britannique a laissé aux échappées une grosse part du gâteau, a débridé la course rapidement et permis l’incroyable destinée d’Alberto Contador, largué dans l’Alto de la Comella, puis remonté comme un coucou dix-huit jours durant. Plus serein que jamais sur la Vuelta, Froome a donc cueilli une victoire finale qui lui a semblé promise de bout en bout.

Le Giro ? Dans nos rêves

Si le style du Britannique et de son équipe continuent de faire grincer quelques dents, l’humain s’est fait sa place au-dessus des polémiques lancinantes. Qu’on le veuille ou non, personne ne semble actuellement en mesure de faire trébucher Christopher Froome à la régulière sur trois semaines. Quintana décevant cette saison, Nibali plus aussi vaillant, Bardet, Aru et Lopez trop justes, Dumoulin encore intriguant, Froomey ne manque pas de challengers, mais il manque quelque chose à ces challengers. Le leader de la Sky, lui, ne progresse plus physiquement mais devient chaque année un peu plus pointilleux sur tout le reste. Impensable il y a quelques années, il se découvre sans la moindre entrave dans des étapes de transition et profite de chaque descente ou coup de vent pour créer des écarts.

De quoi laisser rêveur pour la suite à donner à sa carrière. Premier coureur à remporter deux grands tours lors d’une même saison depuis Contador en 2008, il pourrait aussi égaler Merckx et Hinault, les seuls à avoir réalisé le triplé – à cheval sur deux années. Il faudrait alors faire un tour par l’Italie, une contrée qui ne a pas laissé que des bons souvenirs : exclu du Giro en 2010 pour s’être accroché à une voiture, battu par Nibali sur Tirreno-Adriatico en 2013, Froome a une autre malédiction à briser après celle de la Vuelta. Pour la légende, l’histoire, en tout cas, serait belle. Mais chez Sky, le pragmatisme a souvent le dernier mot. Dans sa quête d’un cinquième Tour de France, le Britannique sait qu’un détour par le Giro est une idée risquée. Alors sa soif de défis devrait être épanchée par la seule perspective de rejoindre Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain au palmarès de la plus grande course du monde. Tant pis pour l’Italie.

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