Il y a deux Chris Froome. Le premier, imperturbable patron du Tour de France, quatre fois vainqueur, cinquante-neuf fois maillot jaune, invincible tête de proue de l’une des meilleures équipes de l’histoire de la Grande Boucle, est le plus célèbre. Son jumeau espagnol, trois fois deuxième de la Vuelta, maillot rouge une seule journée, jamais souverain, toujours battu, est le plus humain. Ce Chris Froome là est trop souvent oublié quand est dépeint le cyborg qui domine le mois de juillet. La Chronique du Vélo a décidé de vous raconter son histoire ibérique en deux épisodes. Le deuxième volet de cette série est consacré à ce Froome incapable de gagner, mais incroyable dans sa résilience.

Les médias, les fans et les simples spectateurs ont souvent fait de Chris Froome un robot. Une machine imperturbable dans la lignée de Miguel Indurain. La comparaison est un peu dure pour le Britannique, qui a toujours manifesté l’envie de faire, à sa manière, le spectacle. Sa domination outrancière l’a souvent desservi, autant que celle de son équipe. Si Froome essaie d’effacer cette image sur la Grande Boucle avec une bienveillance rare, sur la Vuelta, sa facette humaine est perceptible depuis ses débuts. Il a même endossé le rôle du perdant magnifique que le monde du sport aime tant.

Toujours placé, jamais gagnant

Nous avions laissé un Chris Froome encore jeune, frais, surprenant mais déçu au terme de notre premier épisode. Il avait déjà enregistré sa première deuxième place sur la Vuelta, derrière Juan José Cobo Acebo. Un an plus tard, il est considéré comme le meilleur grimpeur du peloton. Extraordinaire sur le Tour de France, il a terminé deuxième par obligation derrière un Bradley Wiggins enfin sacré sur la Grande Boucle. En Espagne pour finir l’été en beauté, Chris Froome a pour la première fois le rôle de leader. Dès la troisième étape il programme avec son équipe un coup de bordure qui fait perdre du temps au maillot rouge Alejandro Valverde. Le Britannique touche du doigt la première place dont le prive Joaquim Rodriguez pour une seconde. Mais, petit à petit, la brillante condition du Tour s’amenuisant, le Britannique perd du terrain sur le trio espagnol Contador-Valverde-Rodriguez. Syndrome de son déclin, sa défaite face au Pistolero lors du seul contre-la-montre. Froome termine quatrième de la Vuelta à plus de dix minutes de Contador. À bout de souffle, sa première en tant que leader est un échec relativisé par la fatigue accumulé en juillet.

Lorsqu’il revient sur la Vuelta en 2014, son statut a considérablement changé. Quasi démiurge sur le Tour 2013, Chris Froome est devenu un véritable rouleau compresseur intarissable. Il a démoli la légende Alberto Contador sur les routes de France, grimpé le Ventoux à toute vitesse, explosé la concurrence sur tous les terrains. Le Britannique n’a pas pu défendre son titre l’été suivant, la faute à une chute, et il se retrouve en duel face à un autre malchanceux, Alberto Contador, lui aussi tombé sur le Tour. Mais là encore, les performances de Chris Froome dans l’effort individuel trahissent une méforme incontestable. Cela ne retire rien à la lutte magnifique entre les deux hommes, avec pour bouquet final l’ascension du Puerto de Ancares la veille de l’arrivée, où Contador résiste aux multiples assauts de son rival avant de l’achever dans les derniers kilomètres. Une mise à mort à la hauteur de la corrida qui a tenu en haleine le monde du cyclisme, persuadé d’avoir cette année-là vu l’un des plus mémorables mano a mano que la Vuelta ait connu.

Après un rapide abandon en 2015, Chris Froome retrouve les routes de sa genèse dès 2016 avec, à nouveau, l’ambition de réaliser le doublé Tour-Vuelta. Triple vainqueur de la Grande Boucle, le Britannique est pour la première fois le favori numéro un. Mais pour sa cinquième Vuelta, il tombe sur un nouvel os. Le Colombien Nairo Quintana est transfiguré en Espagne après une Grande Boucle très fade. Le grimpeur prend le pouvoir dès la dixième étape et ne se sépare plus de son maillot sang de leader jusqu’au bout. Pourtant, l’envie est rejointe en deuxième semaine par la condition pour Chris Froome, qui remporte un bouquet à Peña Cabarga, lieu de son premier exploit cinq ans plus tôt. Mais une échappée précoce, menée par Alberto Contador autant que par Nairo Quintana, lors de la quinzième étape, met fin à ses espoirs de doublé. Pourtant, contrairement aux autres années, Chris Froome avait pratiquement fini par retrouver son meilleur niveau sur la Vuelta. Son écrasante victoire lors du dernier contre-la-montre le démontrait. Cela n’a pas suffi.

En mode guerrier

Comme si Christopher Froome l’Espagnol agissait en miroir inversé avec son comportement en France, il n’est pas le tyran dominant du Tour. C’est un homme qui souffre, qui perd, qui se bat jusqu’à l’agonie complète. Une image de l’année dernière illustre ce visage alternatif. Aux lacs de Covadonga, alors que Nairo Quintana s’envole à l’avant vers sa première victoire d’étape dans l’épreuve, Christopher Froome est loin derrière. Lâché au début de l’ascension, il semble connaître une défaillance. Mais, comme à son habitude en Espagne, il reprend un à un tous ses adversaires, à l’exception du Colombien. Trop fort dans l’Hexagone, le coureur de Sky n’y laisse jamais de suspense. En Espagne l’histoire est bien différente. Jamais, 2011 mis à part, il n’a été le plus fort. Le Britannique n’a pas la même armada autour de lui. Il faut fonctionner différemment et stratégiquement, il peut davantage être pris au piège.

Pourtant, il se bat, donne tout, comme lors de la quatorzième étape de l’édition 2014 où sur une attaque d’Alejandro Valverde à quatre kilomètres du but, Froome craque. Le peloton est pourtant épais d’une quinzaine de coureurs, mais le Britannique est le premier à lâcher prise. On pense alors que sa Vuelta est terminée, que ses ambitions se sont effondrées vers La Camperona. Quelques minutes après, alors que Valverde, Aru, Rodriguez et Contador sont désormais isolés à l’avant, redressé dans son maillot Sky, Froomey remonte un à un ses adversaires. Devant, Contador attaque à nouveau et distance Valverde… qui est repris dans la pédalée par Chris Froome qui fond directement sur Contador, Rodriguez et Aru ! La réalisation tv n’avait quitté le Pistolero en rouge qu’un instant pour narrer l’exploit de son équipier Oliver Zaugg à l’avant (il finira deuxième), alors quand l’image revient sur les favoris pour montrer le retour de Froome, les commentateurs du monde entier exultent presque, l’exploit est titanesque. Le Britannique prend la tête du petit groupe, accélère encore et isole Contador pour un duel royal avant de le clouer au goudron à 600 mètres du but en moulinant comme un fou. Le gain final est minime, la performance majuscule. Il est comme ça le Froome espagnol, époustouflant mais perdant. Et c’est bien la différence pragmatique avec son pendant tricolore.

Alors, finit le romantisme, le cirque est terminé. Froome a perdu de trop peu, trop de fois. « Je me sens comme si je n’avais pas fini le travail sur la Vuelta, j’ai fini deuxième trois fois, maintenant je veux gagner », prévenait-il sur Cyclingnews hier. Et la Sky y a mis les armes qu’il faut en l’entourant de Mikel Nieve, Wout Poels ou encore Diego Rosa. Lui même a retardé son pic de forme pour réaliser un doublé qu’il pense historique : « C’est une énorme motivation pour moi étant donné qu’aucun cycliste de l’ère moderne n’a fait le doublé Tour-Vuelta. » Il est donc clairement temps de conclure l’histoire d’amour entre Chris Froome et la génitrice de sa renommée. Avec seulement 48 jours de courses dans les jambes, il peut légitimement se considérer comme favori et appréhender ce grand tour qu’il sait si difficile. « La Vuelta est une course que j’aime faire mais c’est impitoyable. La course est beaucoup plus montagneuse que le Tour et les conditions sont encore plus dures. Mi-août en Espagne, c’est commun d’avoir des températures au-dessus de quarante degrés, c’est brutal. Absolument brutal. » Pour enfin l’emporter, Chris Froome devra lui aussi être brutal, et implacable.

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