« Walko » a pris une dernière échappée. A 89 ans, le vainqueur du Tour de France 1956 est décédé ce mardi. Il était le plus vieux lauréat de l’épreuve. Un de ses personnages les plus symboliques, aussi. Qui n’aura jamais su enchaîner après ce succès inattendu. Mais qu’importe, il aura marqué le Tour de son empreinte. Parce qu’il était Roger Walkowiak.

Maillot jaune, Ducazeaux et Izoard

La mémoire est sélective. Le choix des mots parfois tragique. Roger Walkowiak a été un grand champion. Pourtant, de sa victoire sur le Tour 1956 n’est restée qu’une chose, une expression. « Un Tour à la Walko. » Comprenez gagner par surprise et par défaut, avec un peu de chance et parce que les meilleurs étaient absents. Ce n’est pourtant pas tout à fait le résumé du Tour 1956. Certes, il manquait Anquetil, Bobet ou Coppi. Certes, Walkowiak n’était pas l’un des favoris. Mais le Tour ne s’est pas offert à lui, il est allé le chercher. Tout part d’une échappée, en première semaine, qui lui offre le maillot jaune et dix-neuf minutes d’avance. Une situation inespérée pour l’Auvergnat, qui va toutefois vite déchanter. « Roger, demain ce maillot il faut que tu le perdes », lui annonce le soir même son entraîneur, Sauveur Ducazeaux. Le garçon n’en croit pas ses yeux, lui veut défendre son paletot. Mais il va finir par comprendre qu’il a une chance d’être sacré à Paris, et que pour y parvenir, il doit se plier à la stratégie de Ducazeaux.

Il négocie alors pour garder le maillot jaune deux jours, jusqu’à Bordeaux. Pour que sa femme, en vacances dans la région, puisse le voir vêtu de la tunique de leader. Une fois fait, il accepte de céder sa première place du classement général. A ce moment-là, personne ne le prend de toute façon au sérieux. Walkowiak ne court même pas pour l’équipe de France mais pour la formation régionale du Nord-Est-Centre. Pourtant, il ne sort pas de nulle part. Un peu plus d’un an auparavant, il n’avait été battu que par Louison Bobet sur le Dauphiné. Et en 1952, il avait terminé deuxième du Tour de l’Ouest, considérée comme l’épreuve la plus importante après le Tour de France. Pas de quoi inquiéter les Gaul, Bahamontes, Ockers ou Nencini, persuadés que « Walko » va finir par craquer. Sauf que le Polonais d’origine (par son père) va résister. Lors de la dix-septième étape, entre Gap et Turin, il franchit l’Izoard juste derrière le duo Bahamontes-Ockers. Il est en route pour récupérer le maillot jaune et s’offrir la Grande Boucle.

Jusqu’au bout, il va malgré tout se faire quelques frayeurs. Vers Saint-Etienne, à trois jours de l’arrivée, il est pris dans une chute collective au crêt de l’Oeillon et se retrouve à plus de deux minutes de son dauphin Gilbert Bauvin. Il va finalement recoller en moins de trente kilomètres, presque seul. Le lendemain, il se pointe au contre-la-montre, dernier grand rendez-vous du Tour, sans échauffement. Sauveur Ducazeaux a voulu le laisser dormir jusqu’au dernier moment. « Walko » perd du temps, mais reste leader pour un peu plus d’une minute. Il vient de sceller son exploit. Qui déjà fait polémique. « Je sentais que dans l’opinion, le Tour, c’était trop important pour un coureur comme moi », dira-t-il quelques années plus tard. A 29 ans, Walkowiak succède à Bobet. Mais il n’a pas son charisme, et ça dérange.

Blondin, Chany et Goddet

La campagne de dénigrement se fait alors plus virulente. Le tout juste vainqueur est pointé du doigt, son succès est dévalorisé. Seules quelques plumes prennent alors sa défense. « ‘’Walko était le plus courageux, le plus constant, le mieux portant », résumera Antoine Blondin quelques semaines après l’arrivée au Parc des Princes. Plus de vingt cinq années plus tard, c’est alors Pierre Chany qui en remet une couche. « Il nous resterait le souvenir d’une course riche en rebondissements pour les Gaul, Bahamontes, Nencini, Debruyne, Bauvin, Ockers, Forestier et Poblet qui durent se contenter de satisfactions secondaires. Leur seule présence accréditait la qualité de ce que l’ignorance s’obstine à minimiser. » Jamais considéré à sa juste valeur, « Walko » restera comme un incompris. Qui lui-même n’a sans doute jamais compris pourquoi son sport l’a ainsi mis de côté. Comme s’il ne méritait pas de côtoyer Anquetil, Bobet et Coppi, les grands champions de son époque. Alors qu’une chose reste incontestable : un Tour de France se gagne avec les tripes. « Il y a des gens pour dire que Walkowiak n’aurait pas dû gagner le Tour. Ils n’avaient qu’à être là, a toujours assuré Bernard Hinault. Personne n’a le droit de dire que le Tour lui fut offert. Le Tour n’est pas un cadeau. »

Pour Roger Walkowiak, il fut même tout le contraire. La gloire lui est tombée dessus, il n’a jamais su l’appréhender. En 1957, enfin intégré à l’équipe de France, il porte le dossard numéro 1. Mais il n’a pas le rôle d’un patron et doit se plier en quatre pour Jacques Anquetil. Il finira par abandonner, à quelques jours de Paris. En 1960, il mettra même un terme à sa carrière. A 33 ans. « A l’époque on ne gagnait pas autant d’argent, regrettera-t-il plus tard. Avec ma victoire, je n’ai même pas pu me payer une baraque. » Alors il reprend sa vie d’avant : tourneur sur métaux. En prenant soin de mettre de côté ce Tour de France 1956. Dans les médias, il se fait discret. Et avec sa femme, il n’en parle jamais. Les larmes aux yeux, il s’était enfin livré en 2013, pour France Télévisions : « On a toujours dit que j’ai gagné le tour dans une étape de plat. Quand je pense à tous les efforts que j’ai dû faire et qui n’ont jamais été reconnu, ça me laisse pantois. »

« Walko » l’a toujours eu en travers de la gorge. Il y a de quoi. Jamais son talent n’a été vraiment reconnu. Pas plus que sa hargne, sa détermination et son mérite, que ce soit sur ce Tour 1956 ou ailleurs. Pour l’éternité, il restera comme celui qui a brillé, le temps d’un mois de juillet, alors que personne ne l’avait vu venir. Pour l’éternité aussi, dans le palmarès de la Grande Boucle, son nom sera coincé entre ceux de Louison Bobet et Jacques Anquetil. Mais c’est tout ça qui a fait son histoire. Et amené quelques admirateurs. Jacques Goddet, directeur du Tour de France de 1937 à 1988, avait ainsi dédicacé l’un de ses ouvrages à ce coureur de l’ombre. « A Roger Walkowiak […], vainqueur du Tour que j’ai le plus aimé. » Preuve que certains n’ont jamais douté de la place de « Walko ». Au milieu des champions.

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