La Chronique du Vélo tire sa révérence ces jours-ci, mais nous avons décidé, avant de partir, de vous concocter une dernière série d’articles. Le site est né en 2012, il y a neuf ans. Pour l’occasion, nous avons donc décidé de nous projeter un peu, neuf ans plus loin, soit en 2030. Que sera le cyclisme à ce moment-là ? L’évolution entre 2021 et 2030 sera-t-elle aussi grande qu’entre 2012 et 2021 ? Au travers d’analyses, de décryptages, d’entretiens ou de fictions, nous tentons de déblayer ce vaste thème.

Cet article a déjà été publié le 20 septembre 2019, exactement sous cette forme. Mais il correspond au thème de nos derniers articles sur la Chronique du Vélo, alors nous avons décidé de vous le reproposer, tel quel.

Madrid, 17 septembre 2029. Tour à tour, Pavel Sivakov, Remco Evenepoel, Egan Bernal, Valentin Madouas, Tadej Pogacar, Caleb Ewan, David Gaudu, Mathieu Van Der Poel et Wout Van Aert rentrent dans la salle de conférence de l’hôtel Pullman. Certains d’entre eux viennent d’en finir avec la Vuelta. « Ma toute dernière avant le retraite », glisse Pascal Ackermann, 35 ans, tout sourire et dernier débarqué dans la pièce. Ils sont au complet. Dix. Dix coureurs qui ont dominé le circuit au cours de la décennie écoulée. Dix coureurs nés entre 1994 et 2000. Ils ne sont pas tout à fait de la même génération mais ils ont un point de départ commun. Pour eux, tout – ou presque – a commencé il y a dix ans, en 2019.

Souvenirs de jeunesse

Ils s’assoient au centre de la salle, face à l’écran du rétroprojecteur. Une fois tous installés, un journaliste fait signe à son collègue de lancer la vidéo. Défilent alors des images de cette désormais fameuse saison 2019. Ça commence en Belgique. Entre Roulers et Waregem, plus précisément. Ce jour-là, Mathieu Van Der Poel s’adjugeait A travers les Flandres en battant tout de même des clients comme Bob Jungels ou Tiesj Benoot. « Ma première victoire sur le World Tour », rappelle l’intéressé. Le début d’une razzia. En moins de vingt jours, le Néerlandais a ajouté une étape du Circuit de la Sarthe, la Flèche Brabançonne et surtout l’Amstel Gold Race à son palmarès. Une classique qu’il a remportée trois fois de plus depuis. Il n’est plus qu’à un succès de Jan Raas, détenteur du plus grand nombre de victoires sur l’épreuve. Au fil des années, MDVP a multiplié les bouquets sur les courses d’un jour, avec notamment un maillot arc-en-ciel de champion du monde, avant de changer de profil et de se concentrer sur les grands tours, son « plus grand rêve ». Une ambition pas aboutie jusqu’à présent même si son Tour de France 2026, ponctué par deux victoires d’étapes, une tunique à pois rouges et une neuvième place au général reste dans les mémoires.

« Ah, je me souviens très bien de ce Tour, s’exclame David Gaudu en grinçant des dents. Pas pour les bonnes raisons. Deux chutes, des problèmes mécaniques… Une vraie tannée. Mais je suis quand même allé au bout. » Septième à Paris, solide, certes, mais loin des attentes – trop élevées ? – du public tricolore qui l’imaginait mettre fin à plus de quarante ans sans maillot jaune sur les Champs. Un espoir né des belles promesses de sa superbe saison 2019, quand il avait notamment gagné une étape du Tour de Romandie, bouclé à la cinquième place, et terminé sixième de Liège-Bastogne-Liège, avant de faire forte impression au côté de Thibault Pinot en montagne, lors du Tour de France, le tout à seulement 22 printemps. « J’ai fait quatrième de la Vuelta deux ans plus tard. » Quatrième, ce sera finalement sa meilleure place sur la Grande Boucle, en 2024. En faisant vibrer les supporters avec sa victoire au sommet du Mont Ventoux, sous une chaleur étouffante, d’abord, pendant 200 kilomètres, avant la grisaille et l’atmosphère pesante lors de l’ascension du géant de Provence. Ce jour-là, Gaudu s’était extirpé d’un groupe de favoris asphyxié à huit bornes de l’arrivée, résistant aux retours des Colombiens Daniel Martinez et Egan Bernal.

« C’est grâce à moi », se marre Valentin Madouas en tapant sur l’épaule de son ami et éternel coéquipier. Il avait causé de gros dégâts lors de cette journée en maintenant l’échappée sous la barre des trois minutes au pied du Ventoux, avant de dicter un train d’enfer en début d’ascension. Toujours ensemble dans les bons coups. Et ce depuis 2019, quand le natif de Brest s’était illustré en prenant la huitième place de l’Amstel, avant de finir treizième du Giro. Il n’a fait beaucoup mieux sur les courses de trois semaines – dixième de la Vuelta – mais il a gagné sur tous les terrains en remportant des étapes sur les trois grands tours, en plus d’une Clasica San Sebastian.

A toi, à moi

Un replay de la Vuelta 2019 est maintenant projeté à l’écran. Les regards se tournent alors vers Tadej Pogacar. « La belle époque », soupire le Slovène qui n’a pourtant pas pris une ride en dix ans. C’est à seulement 20 balais qu’il a arraché, au panache, la troisième place du Tour d’Espagne. Sensationnel. Mais la suite de sa carrière fut encore plus impressionnante. L’ancien vainqueur du Tour de l’Avenir a surpris son monde sur un autre terrain avec une victoire en costaud sur Liège-Bastogne-Liège. Il n’était pas spécialement considéré parmi les favoris au départ de la course, mais il a eu le culot pour se lancer dans un raid de cinquante bornes. D’abord au sein d’un groupe à trois avec Marc Hirschi et David Formolo, puis en solitaire dans le final. Un succès de prestige sur un monument puis, plus tard, deux sacres sur le Giro. Classe.

Pascal Ackermann bondit : « C’est enfin mon tour ! » Ses sprints sur le Giro 2019 sont diffusés sur le rétroprojecteur. Deux victoires d’étapes et le classement par points, avec une tunique mauve arrachée à Arnaud Demare. « Il l’avait mauvaise, le Français », balance-t-il en direction de Gaudu et Madouas. « L’équipe a compris cette année-là que j’étais le meilleur sur les arrivées massives. » Le plus véloce de la Bora… puis du peloton. Deux ans plus tard, Ackermann  a claqué quatre étapes sur le Tour de France. Mais sans ramener le maillot vert, la faute à un abandon en troisième semaine. « J’en ai bien profité », note Caleb Ewan. En effet, c’est lui qui a ramené la tunique à Paris en 2021. Il a même récidivé l’édition suivante. Le prolongement de sa saison 2019, lorsqu’il avait gagné trois sprints sur la Grande Boucle. Un digne descendant de Robbie McEwen.

Pavel Sivakov a nettement moins levé les bras qu’Ackermann – vainqueur de Gand-Welvegem également – ou Ewan au cours de sa carrière. L’année 2019, l’une de ses premières chez les professionnels, a tout de même été prolifique avec un Tour des Alpes et un Tour de Pologne, en plus d’une neuvième place sur le Tour d’Italie. Par la suite, il a surtout aidé Egan Bernal à s’affirmer comme le coureur numéro un sur les grands tours. Mais il a aussi pu continuer à jouer sa carte personnelle sur le Giro. Il était même tout proche de la gagne en 2027. En rose pendant dix jours, il a subi une terrible défaillance dans le Zoncolan à trois jours de l’arrivée. « Le pire moment de ma carrière », reconnaît le grimpeur russe. C’est grâce à un sursaut d’orgueil qu’il a tout de même réussi à accrocher la troisième place en réalisant un excellent chrono sur l’avant-dernière étape. « Le plus émouvant de mes deux podiums en Italie », dit-il.

Bagarre de phénomènes

C’est aussi sur les routes transalpines que Wout Van Aert a vécu ses plus beaux moments sur le vélo. Après s’être affirmé en 2019 – victoires d’étapes sur le Tour et sur le Dauphiné Libéré – le Belge a étoffé un palmarès gigantesque. Avec, surtout, un sacre sur Milan-Sanremo en 2025. « Ma plus belle victoire. Je revenais de loin. La saison précédente avait été tronquée à cause de nombreuses chutes. J’avais même été obligé de renoncer à Paris-Roubaix. C’était dur de revenir. Ça a pris le temps. Mais j’ai vraiment savouré. » Agressif dans le Poggio, il a accéléré par deux fois, laissant derrière lui Mathieu Van der Poel, Alberto Bettiol et Matej Mohoric pour ensuite régler Maximilian Schachmann au sprint. De quoi compléter sa collection de monuments, lui le double vainqueur du Tour des Flandres. « Mon seul regret, c’est de ne pas avoir gagné Paris-Roubaix », reconnait-il. Il peut toujours consoler avec les deux maillots jaunes qu’il a portés sur la Grande Boucle.

Le jaune, justement, est à l’écran. Calme, souriant, Egan Bernal se replonge avec ces images dans les souvenirs de son premier sacre sur le Tour de France, en 2019. Il avait commencé l’année en remportant Paris-Nice, avant de devoir renoncer au Giro, la faute à une blessure. Il était revenu sur le Tour de Suisse, là encore gagné, avant de devenir le premier colombien couronné en juillet. « Même après toutes ces années, j’ai encore du mal à réaliser », confie celui qui a ramené trois autres maillots jaunes sur les Champs-Élysées depuis. « Je te rassure, moi je réalise bien. Et tous ceux qui ont essayé de te suivre dans les Alpes ou les Pyrénées depuis dix ans peuvent témoigner », lui rétorque Gaudu, entraînant les rires de la salle. « Je ne peux que confirmer, quand tu as gagné le Tour d’Italie (en 2026), j’étais loin de pouvoir rivaliser avec toi et pourtant j’ai fini cinquième », ajoute Pogacar. Bernal était présenté comme un futur crack à son arrivée chez les pros. Dix ans plus tard, il est un grand du vélo. « Quasiment personne ne l’a battu dans cette pièce. C’était beau à vivre de l’intérieur, et pour ça, Egan je te remercie », exprime Sivakov.

« Oh si, il y en a un qui m’a battu, répond Bernal en pointant Remco Evenepoel. Le champion, c’est lui ! » Deux mois plus tôt, le Flamand est venu à bout du Colombien sur le Tour de France. Son premier sacre sur les routes française. « La consécration », assure l’intéressé. Cela fait un moment qu’il courait après. Dix ans qu’il secoue la planète du vélo, depuis ses débuts en 2019. Ça a commencé avec une Clasica San Sebastian et un titre de champion d’Europe du contre-la-montre. Puis cela a continué. Sans arrêt. Partout. Tout le temps. Paris-Nice. Flèche Wallonne. Deux Tours de Lombardie. Un titre de champion du monde du chrono. Une médaille d’or olympique. Un Giro. « Ce n’est pas pour rien qu’il te surnomme le nouveau Eddy Merckx », plaisante Van der Poel. « Tous sports confondus, j’ai rarement vu un athlète répondre aussi bien à des attentes aussi élevées. C’est phénoménal », souligne Van Aert. Evenepoel accepte les compliments. Le voilà au sommet de son art, à 29 ans. Le plus fort de la pièce. Le plus fort de sa génération. D’une génération ahurissante.

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