Le sourire paysan de Raymond Poulidor a fait des merveilles dans le peloton pendant presque vingt ans. Mais ce sont ses victoires, surtout, qui sont restées à la postérité. Parce qu’il était loin d’être seulement l’éternel second. La Vuelta gagnée de justesse en 1964 et Milan-Sanremo 1961, remporté à 25 ans devant le redoutable Rik Van Looy, sont pour l’éternité de superbes conquêtes. Mais de tous ses succès, ceux obtenus sur Paris-Nice en 1972 et 1973 se détachent. Par le niveau de ses adversaires et la manière dont il renversa des situations bien mal engagées.

Merckx détrôné

A l’époque, le contre-la-montre du col d’Eze commence tout juste à être le juge de paix de l’épreuve française et déjà les belles pages du cyclisme vont s’écrire. En 1972, Eddy Merckx est en passe de remporter un quatrième succès consécutif. Le Belge arrive au départ du chrono final avec trois étapes et le maillot de leader bien accroché sur le dos, et personne ne se fait d’illusions. Pas même Poulidor, 35 ans bientôt 36, qui accusait seize secondes de déficit en partant de la rampe. Mais sur un braquet inimaginable de nos jours – 47 x 16 -, le Français établit le record de la montée et devance le Cannibale de vingt-deux secondes. Suffisant pour remporter le général, et faire taire les nombreuses critiques qui le voyaient bon pour la retraite. « Je suis content pour lui, il mérite cette victoire », confiait même Eddy Merckx après sa défaite.

Cette victoire va même relancer le Français pour plusieurs années, comme un déclic sur ses capacités à battre les meilleurs. Poulidor attendait un succès de cette ampleur depuis le Critérium du Dauphiné, trois ans plus tôt. Trois podiums supplémentaires sur le Tour de France suivront ce Paris-Nice qui marque le début d’une autre carrière pour l’ancien vainqueur de Milan-Sanremo. Le journal L’Equipe, au lendemain de cette victoire, ira même jusqu’à parler d’un des « moments les plus stupéfiants de l’histoire de ce sport. » Car battre Eddy Merckx, quand il se trouvait en position favorable pour gagner, était tout simplement inconcevable à l’époque. Si cet échec ne marquera pas un coup d’arrêt dans la carrière du Bruxellois, il ne gagnera plus jamais Paris-Nice. Pire, il va connaître un scénario similaire l’année suivante.

Un exploit confirmé

En 1973, Raymond Poulidor possède au pied du col d’Eze un retard encore plus conséquent que l’année précédente. Vingt-deux secondes sont à combler et personne n’ose croire à un nouvel exploit. Mais Eddy Merckx, bien que maillot blanc de leader avant l’ultime étape, a vécu une semaine compliquéE. Constamment harcelé par des adversaires qui l’isolent trop facilement, le champion belge arrive exténué au moment du dernier rendez-vous sur les hauteurs de Nice. Sa défaite de 1972, au lieu de le transcender, va augmenter ses doutes sur sa capacité à vaincre. Et une fois de plus, c’est Poulidor qui en profite. Il devance le Cannibale de 34 secondes et un mois avant ses 37 ans, remporte un deuxième Paris-Nice consécutif.

Mais le natif de la Creuse n’est pas satisfait de sa performance. « J’ai moins bien marché que l’an dernier, j’avais un plus gros braquet et j’ai trouvé que c’était plus dur », lance-t-il après la cérémonie protocolaire. Obligé de monter presque toute l’ascension en danseuse, à cause du mauvais choix de développement, il termine deuxième de l’étape battu par Joop Zootemelk. Si la remontée de Poulidor est moins spectaculaire que l’année précédente, elle le propulse tout de même devant le meilleur coureur de tous les temps. Réussir à le battre deux années de suite, sur la même épreuve, alors que le Belge était leader au départ de la dernière étape est juste sensationnel. Un exploit trop méconnu du grand public, trop habitué à voir Poulidor échouer. Incontestablement, ceux qui n’ont eu écho que de la « poupoularité » qui existait en juillet sur les routes français sont passés à côté de quelque chose.

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