Jean-Patrick Nazon est le dernier coureur français à avoir gagné sur les Champs-Élysées. C’était en 2003, il y quatorze ans. Il avait alors devancé Baden Cooke, Robbie McEwen, Thor Hushovd ou Erik Zabel. La crème de la crème. Le sprinteur vosgien, retraité depuis 2008, a accepté de revenir avec la Chronique du Vélo sur ce rêve réalisé un 27 juillet, et nous raconte pourquoi l’arrivée sur la plus grande avenue du monde lui convenait si bien.

Qu’avez vous pensé à l’instant où vous avez levé les bras sur les Champs ?

Sur le moment j’ai eu du mal à réaliser. Pour n’importe quel sprinteur, gagner sur une avenue si énorme, ce n’est pas commun. Et pour moi c’était aussi ma première victoire sur le Tour. L’effort du sprint est particulier, avec une forte décharge d’adrénaline, et à 20 mètres de la ligne, ça n’est jamais gagné. Tu n’as pas le temps de réfléchir pendant l’effort. Ce n’est pas comme une victoire en solitaire où l’on a davantage le temps de savourer. Mais une fois la ligne franchie, j’ai pensé à beaucoup de choses en quelques secondes. C’était l’accomplissement d’un rêve. Tous les jeunes cyclistes français ont des rêves : Roubaix, le Tour de France… J’en ai réalisé un !

En plus, vous gagnez sur les Champs pour le centenaire du Tour…

Il y a des étapes plus mythiques que d’autres : les Champs, l’Alpe d’Huez, le Mont Ventoux, ces arrivées ont un cachet encore supérieur. On se souvient toujours de ces victoires-là. On n’est qu’une poignée de français à avoir eu la chance de gagner sur les Champs (quatre, NDLR). En plus, je le fais pour les cent ans du Tour donc ça rend ma réussite encore plus belle.

Pendant ce sprint, à côté de vous, Baden Cooke et Robbie McEwen se rentrent dedans, cela a-t-il influé sur votre dernière ligne droite ?

Les deux se jouaient le maillot vert, ils s’étaient déjà bien bagarrés lors du sprint intermédiaire. Sur la fin, ils se sont frottés un peu mais c’est le lot du sprint. De mon côté, je n’ai pas fait attention à eux, il y avait de l’électricité mais ça ne m’a pas perturbé.

« Je me sentais bien dès le matin, j’avais une forme de sérénité, presque un pressentiment. Et puis, je tournais un peu autour depuis le départ. »

Jean-Patrick Nazon

Vous vous attendiez à l’emporter ?

Je me sentais bien dès le matin, j’avais une forme de sérénité, presque un pressentiment. Et puis, je tournais un peu autour depuis le départ. J’avais fait deuxième pour quelques centimètres à Sedan en début de Tour. Il y avait eu une photo dans L’Equipe où l’on me voit encore devant au panneau des 20 mètres, c’est dire à quel point j’étais déjà passé près. Quand on n’est pas emmené, quand on ne dispose pas d’un train qui permette de calculer au mètre près quand on va être libéré, c’est moins évident. Mais je n’étais pas revenu de l’arrière avec l’aspiration comme certains le font, j’avais pris les choses en main, j’avais lancé le sprint et il ne m’avait manqué que quelques centimètres à l’arrivée. Alors cette victoire sur les Champs, elle n’est pas tombée du ciel. Elle a été l’accomplissement d’un très bon Tour où j’ai aussi porté le maillot jaune. Je savais que j’étais capable de gagner.

En parlant du maillot jaune, vous en gardez quel souvenir ?

C’était une très bonne sensation. J’ai vraiment apprécié la partie extra-sportive, le protocole, en profiter avec ma famille… Sur le vélo, je n’ai pas pu vraiment le savourer car c’était lors d’un contre-la-montre par équipes, j’étais à bloc du début à la fin et je n’ai jamais été sur mon petit nuage. Ce n’était pas l’idéal mais malgré ça, j’ai eu la chance de le porter et ça reste un excellent moment.

En 2004, vous êtes tout proche de faire coup double en terminant deuxième sur les Champs. Pourquoi cette étape vous convenait-elle si bien ?

Le final à Paris était propre avec une belle ligne droite. Frotter ne me dérangeait pas mais je n’avais pas forcément l’équipe pour me remonter devant et y rester longtemps. Sur les Champs, ce critère était un peu moins important. J’étais aussi bon finisseur quand l’emballage final était bien emmené, quand le peloton était en file quand ça se jouait vraiment à la pédale, au plus fort. Je n’aimais pas les finals d’étapes trop nerveux avec des risques de chutes, quand c’était davantage la loterie. Je préférais quand il y avait de la fatigue avant la dernière ligne droite, une vraie allure.

L’année d’après, vous remportez une autre victoire sur le Tour dès la troisième étape vers Wasquehal. Le sentiment était-il différent ?

Ça n’avait pas la même saveur, c’est sûr, mais c’était une confirmation pour moi. Je gagne quand même une belle étape, atypique puisqu’elle signait le retour des pavés sur l’épreuve. C’était un parcours un peu compliqué, en début de Tour, qui avait fait polémique car plusieurs gars avaient peur de perdre du temps. Je me souviens d’ailleurs qu’Iban Mayo était à la dérive ce jour-là. Ce parcours difficile m’a permis de gagner car ça s’est vraiment joué à la pédale, dans un groupe d’une soixantaine de coureurs, c’était dans ce type de journée que j’étais le plus à l’aise.

Serait-il encore envisageable aujourd’hui pour un sprinteur de se débrouiller seul et de gagner, comme vous l’avez fait en 2003 et en 2005 ?

Non, c’est impossible. Pour être au top au niveau mondial c’est vraiment improbable. Il peut y avoir un coup d’éclat de temps en temps quand le coureur a de vraies bonnes qualités, mais sur la durée, je ne vois pas comment ça serait possible dans le cyclisme actuel.

« Je suis tombé dans une période qui n’avait pas la passion du sprinteur. Les équipes misaient davantage sur le fait de gagner le Tour. »

Jean-Patrick Nazon

N’est-ce pas l’un de vos plus grands regrets de n’avoir jamais eu un train pour vous lancer ?

Si, je suis tombé dans une période qui n’avait pas la passion du sprinteur, contrairement à aujourd’hui. Les équipes misaient davantage sur le fait de gagner le Tour. Elles cherchaient à trouver le futur vainqueur du Tour à défaut de miser sur des sprinteurs qui tout au long de l’année peuvent remporter dix à quinze courses. C’est un petit regret c’est sûr, j’aurais aimé avoir cette possibilité mais aussi cette petite pression qui permet de se sublimer. Après, ça n’aurait pas forcément marché, ça ne fonctionne pas avec tout le monde.

Quels sprinteurs vous redoutiez le plus ?

Les gars comme Robbie McEwen, Jimmy Casper étaient incapables de gagner des sprints de 300 mètres, ils étaient par contre beaucoup plus redoutables sur des demi-étapes. Ils avaient une accélération folle qui les rendait imbattables. Si à 50 mètres ils déboulaient à côté moi, c’était impossible de les suivre. J’avais plutôt le profil d’un Cipollini, d’un Petacchi, ces longs sprinteurs capables de gagner sur 250 mètres. Dans ces conditions, j’avais mes chances, sinon c’était plus compliqué.

Est-ce que vous voyez un Français enfin vous succéder cette année, quatorze ans après la dernière victoire française sur les Champs ?

J’aimerais bien avoir un successeur rapidement, ça fait maintenant quelques années… Ils ont déjà montré qu’ils pouvaient gagner dans les plus grandes courses du monde. Ils ont encore un peu de mal à rester au top sur toute la saison mais ils sont capables de le faire. Après, nos meilleurs français n’ont pas un physique exceptionnel, ce ne sont pas des monstres à la Kittel ou Greipel. Démarre a de bonnes épaules, certes, mais Bouhanni et Coquard ne sont pas des armoires. C’est probablement un problème quand il faut aller frotter car le profil idéal du sprinteur reste quand même celui d’un athlète. Je pense qu’il vaut mieux galérer un peu plus sur les étapes difficiles et gagner en puissance au sprint.

Lequel vous préféreriez voir gagner ?

Je dirais Nacer Bouhanni… Ça serait sympa qu’un Vosgien succède à un Vosgien !

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