Si aujourd’hui, la France du vélo vit un âge d’or avec Romain Bardet, Julian Alaphilippe ou Arnaud Démare, la décennie précédente était bien moins faste. Il y a un peu moins de dix ans, un top dix au classement général du Tour de France était alors un exploit pour le cyclisme tricolore. Christophe Le Mével l’avait fait en 2009, dixième à Paris et même neuvième, quelques années plus tard, avec le déclassement de Lance Armstrong. Mais la carrière du Breton dépasse largement ce Tour 2009. Alors pour la Chronique du Vélo, Le Mével a pris le temps de revenir sur ces années passées dans le peloton et sur l’avenir.

Le vélo, ça représentait un rêve depuis tout petit pour vous ?

Non, je suis arrivé un peu par hasard dans le cyclisme. Au départ, je voulais faire de la moto. Je ne rêvais pas du vélo à ce moment-là. Mais avant d’acheter la moto, mes parents m’ont acheté un VTT pour voir si j’aimais vraiment la boue. Je me suis pris de passion pour ce sport, j’ai fait des courses et j’en ai gagné quelques unes. Après, je suis arrivé au niveau national, où on m’a dit que si je voulais continuer le VTT, je devais faire de la route. Et finalement, ça m’a plu, et je suis rapidement passé pro ensuite.

Vous êtes passé pro au Crédit Agricole, avec beaucoup de grands coureurs : Thor Hushovd, Bradley Wiggins, Stuart O’Grady, Christophe Moreau… Lequel vous a le plus marqué à vos débuts ?

Thor Hushovd, c’était le leader de l’équipe. J’en garde un très bon souvenir, et je reste en contact avec lui. Le premier Tour de France que je fais, en 2006, il prend le maillot jaune le premier jour, sur le prologue de Strasbourg. Pour mes premiers jours sur le Tour, je me retrouvais donc à rouler pour le maillot jaune. J’en garde un bon souvenir, c’est vraiment quelque chose qui m’a marqué.

« J’étais bien au Crédit Agricole, c’était plus une famille qu’une équipe. Lorsque le Crédit Agricole s’est arrêté, j’ai changé d’optique dans ma carrière. »

Christophe Le Mével

Sur ce même Tour, vous faites quatrième d’une étape, avec des gars comme Popovych, Ballan, Freire… C’est un super apprentissage, non ?

Oui, c’était un 14 juillet. C’était un départ d’étape compliqué, violent, beaucoup de coureurs voulaient s’échapper, la lutte a duré deux heures, et je me suis retrouvé qu’avec du beau monde autour de moi. Ça a été un vrai apprentissage.

Et avant, en 2005, vous courez Giro et Vuelta, où vous vous révèlez en remportant notamment une étape en Italie. Ce sont des débuts prometteurs.

C’étaient mes deux premiers grands tours. Au Giro, j’arrive à gagner une étape sur mon premier grand tour et je termine 26e. A partir de là, je me suis dit que j’étais pas mal au niveau de la récupération. J’étais un coureur qui récupérait assez facilement. Et en plus, j’ai rencontré ma femme sur le Giro. J’ai vu une belle fille, j’ai été lui parler, et à partir de là, ça s’est bien passé, on s’est rapidement mis ensemble, et aujourd’hui on est mariés et on a deux enfants.

Vous êtes resté jusqu’au bout au Crédit Agricole en 2008, vous vous y plaisiez vraiment ?

Si l’équipe avait continué, je pense que je serais resté jusqu’à la fin de ma carrière. J’étais bien là-bas, c’était plus une famille qu’une équipe. Lorsque le Crédit Agricole s’est arrêté, j’ai changé d’optique dans ma carrière. J’ai rejoint la FDJ parce que je voulais travailler avec Fred Grappe (l’un des entraîneurs). C’est pour l’entraîneur avec lequel je sentais pouvoir progresser que je suis venu.

En tout cas, ce transfert vers FDJ se passe bien, puisque vous terminez dixième du Tour 2009…

J’ai pris une échappée qui m’a permis de gagner quatre ou cinq minutes. Même sans l’échappée, je crois que je termine dixième du général (en réalité, le onzième, Sandy Casar est trois minutes derrière lui, et le douzième Vladimir Karpets quatre, NDLR). Ça change pas grand chose. Cette saison-là, je fais aussi dixième de Paris-Nice et du Dauphiné, ça a été vraiment une super année pour moi. Mais à mes yeux, ma meilleure saison, c’est l’année d’après, quand je fais mon pire Tour. J’avais gagné le Tour du Haut-Var, je termine quinzième de la Vuelta. Le problème c’est que le Tour est l’arbre qui cache la forêt : tu peux faire une super saison et un mauvais Tour, et les gens vont penser que tu as fait une mauvaise saison. C’est totalement faux.

« A la Française des Jeux, je ne voulais pas de pression non plus, mais je me suis retrouvé dans les dix du Tour de France, et après tout le monde voulait que je fasse mieux, sauf que j’étais au maximum de mes capacités. »

Christophe Le Mével

Vous avez ressenti cette pression que Romain Bardet peut aujourd’hui avoir sur ses épaules ?

Bardet est bien meilleur que moi (rires). Moi j’ai ressenti la pression, mais lui est capable de l’assumer sur le vélo. Lui, c’est un vrai leader, moi je ne l’étais pas et je n’étais pas fait pour ça. D’ailleurs, c’est pour ça que je suis parti chez Garmin. J’étais dégoûté que tout le monde ne m’attende que sur le Tour de France. En fait, au Crédit Agricole, j’avais vraiment un rôle de coéquipier. Je n’avais pas de souci, j’étais sans pression. A la Française des Jeux, je ne voulais pas de pression non plus, mais je me suis retrouvé dans les dix du Tour de France, et après tout le monde voulait que je fasse mieux, sauf que j’étais au maximum de mes capacités. En 2010, je fais un mauvais Tour, et je me suis dit qu’à Garmin, on ne me ferait pas chier avec ça. Et finalement, ça a été une super expérience.

Chez Garmin, vous avez couru deux ans avec Dan Martin, qui fait un très bon début de Tour. Jusqu’où est-il capable d’aller pour vous ?

Je pense que Dan est capable de faire un podium sur le Tour de France. Il termine neuvième l’an dernier, il a gagné un Liège. C’est un mec capable de beaucoup de choses, il a de sacrées qualités.

Vous avez vraiment couru toute ta carrière avec 30 % d’invalidité dans la jambe gauche ?

J’ai eu un grave accident aux Quatre Jours de Dunkerque en 2002, et après j’ai malheureusement eu des problèmes avec un nerf sciatique dans ma cuisse gauche, qui s’est coupé. J’aurais aimé courir toute ma carrière sans accident. Malheureusement, j’en ai eu un. Je ne sais pas ce qui serait arrivé sans cette chute, si j’aurais réussi à aller plus haut, mais j’ai réussi à faire ma petite carrière. J’en suis heureux, je n’ai pas de regret. On ne peut pas revenir en arrière. Ça fait partie de ma vie, de mon histoire. Ça m’a appris beaucoup de choses en même temps, j’ai géré mon corps autrement.

Quand vous avez quitté le vélo, aviez-vous des regrets ? Vous aviez notamment plusieurs propositions…

Non, c’est moi qui ai décidé d’arrêter, au moment où je me suis dit que je n’avais plus le niveau. Mes deux dernières années ont été compliquées chez Cofidis, je ne me suis pas retrouvé, et sur le vélo, ce n’était pas fantastique. Mon niveau a vraiment baissé. A cette époque, j’ai eu des jumeaux, deux petits garçons, et je me suis dit que c’était le moment d’arrêter. Je pense que mon corps commençait à fatiguer, peut-être à cause de ces 30 % d’invalidité. Mon corps a toujours dû compenser, et à un moment, il m’a dit stop. Les deux dernières années, j’étais réellement mauvais.

« Il y a beaucoup d’agents qui attendent la signature d’un nouveau contrat pour se montrer. Mon idée, c’est au contraire être au plus proche du coureur tout au long de sa carrière, surtout lorsqu’il ne va pas bien. »

Christophe Le Mével

Et aujourd’hui, pourquoi êtes-vous sur le Tour ?

J’y suis parce que j’aime le Tour avant tout. Mais aujourd’hui, je suis à l’école, je vais un master en économie et droit du sport à Limoges. J’ai mon diplôme en septembre. Mais j’ai beaucoup de temps libre à côté de ça. J’ai profité de mes deux années d’après carrière pour refaire des études, et j’ai ainsi validé mon diplôme d’agent sportif. A côté de ça, avec ASO, je garde un pied en parallèle dans le cyclisme, sport que j’adore. Mais le plus important, ça reste l’école !

Quel type d’agent voulez-vous être ?

Ce que je veux, c’est accompagner le coureur au mieux tout au long de sa carrière. J’ai acheté une maison à Villefranche-sur-Mer, à côté de Nice, où le coureur qui sera sous mon aile pourra l’utiliser en cas de besoin. S’il ne fait pas beau, s’il doit entre deux courses aller monter des cols sur Nice, s’il doit récupérer tranquillement… A côté de ça, je pourrais évidemment gérer ses contrats avec l’équipe et ses partenaires. J’ai été un coureur avec pas mal de relations, j’ai couru à l’étranger et j’y vis toujours d’ailleurs, puisque j’habite à Bergame en Italie. Je connais pas mal de choses par rapport à ça, aux accidents de la vie professionnelle. J’ai envie de protéger au mieux mon coureur. Il y a beaucoup d’agents qui attendent la signature d’un nouveau contrat pour se montrer. Mon idée, c’est le contraire, être au plus proche du coureur tout au long de sa carrière, surtout lorsqu’il ne va pas bien. Il doit garder la décision finale. L’agent ne doit pas trop jouer, ce n’est pas sa vie qui change. Quand je suis parti chez Garmin, tout a changé, j’ai vécu à l’étranger, découvert de nouvelles choses. Dans d’autres sports, comme en foot, en NFL ou en NBA, les joueurs n’ont pas forcément le choix. Le sportif doit rester au centre. C’est pour ça que je préfère employer le terme d’accompagnant plutôt que d’agent. Ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est gérer l’humain.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.