Tout contrôler est le leitmotiv de plus en plus de coureurs. De la préparation et l’alimentation aux watts développés en course en passant par la moindre phrase prononcée face à la presse. Ne pas dévoiler ses plans, cacher ses ambitions réelles, le langage est lissé. Alors quand Simon Yates brise les codes, comme la semaine dernière en marge du Giro, cela surprend. Le Britannique use du “trash-talking”, une méthode éprouvée notamment sur les parquets de NBA, dans un milieu qui n’y est pas forcément habitué.
Pas au goût du jour
Les interviews accordées par les coureurs à la presse sont devenues un rituel, où les mots sont choisis et répétés course après course. Il ressortait alors une pointe d’étonnement quand Simon Yates livrait ses impressions, à quelques jours du départ du Giro. « Si j’étais à la place de mes rivaux, j’aurais peur. Je me chierais dessus », lançait-il au micro de Cyclingnews. Avant d’en rajouter une couche en conférence presse. Le Britannique de la formation Mitchelton-Scott assurait voir un favori évident pour les semaines qui viennent : « Moi », disait-il le plus naturellement du monde. Une manière, une fois de plus, de dire à ses rivaux qu’ils n’ont aucune chance. Bien tenté. Nibali, qui n’est pas le dernier venu en terme de victoire sur les grands tours, a préféré en sourire. « Maintenant, je vais aller aux toilettes comme l’a conseillé Simon Yates, réagissait-il devant la Rai, avant de calmer le jeu. Essayons de respecter tous les coureurs du Giro. »
Dans le cyclisme actuel, les provocations de Simon Yates ne passent pas toujours bien. En tout cas, elles divisent. On peut apprécier le défi lancé par le Britannique, qui n’est pas seulement physique, ou le fait qu’ils sortent des schémas préétablis. Certains aiment aussi sa prise de risque. D’autres y voient un manque de respect flagrant. « Ça fait drôle de l’entendre parler comme ça. Il faut savoir rester humble, garder la tête sur les épaules. Le vélo n’est pas une science exacte », prévient Matthieu Ladagnous, surpris. Garder certaines pensées pour soi et ne pas se mettre le peloton à dos est aussi une vertu. Surtout dans un sport où la bonne entente et les alliés de circonstance peuvent faire de grandes différences.
Une pratique qui a déjà existé
Mais l’art de la provocation, s’il a pu se perdre ses dernières années, n’est pas nouveau. « À l’époque d’Anquetil et Poulidor, les mots volaient, explique Christian-Louis Eclimont, auteur des Bad Boys du cyclisme. On ne parlait pas de provocation. C’est un défi. » Une manière de faire monter la pression, une indication de santé sportive. Dans les années 1950, Géminiani n’hésitait pas s’en prendre à son jeune aîné Charly Gaul pour le remettre à sa place. « Le sport n’est pas seulement un jeu de muscles, reprend Eclimont. La guerre psychologique existe autant dans le sport que dans n’importe quel défi humain. » Un esprit qu’avait bien compris Laurent Fignon. Connu pour ses mots tranchés, l’« intello » des années 1980 n’était pas réputé pour avoir beaucoup d’amis dans le peloton.
« Je l’ai vu débarquer en 1982, se remémore Alain Vigneron, ancien coureur de Renault, dans 20 Minutes. Avec sa répartie, il narguait le Blaireau à l’entraînement, du genre : ‘Je te laisse un an puis je t’arrangerai.’ » Bernard Hinault, d’ailleurs, n’était pas non plus le moins bon dans l’exercice. Lui aussi savait poser les bases de la course. « Je vais gagner, c’est tout. Je me dis que je suis le plus fort. J’agis et je parle en conséquence », disait-il au départ du Tour 1979, où il se présentait en tenant du titre. Plus que de la provocation, une forme d’arrogance qui a pu en énerver plus d’un. Quelques années plus tard, son palmarès étoffé et ses qualités reconnues de tous, il revenait chargé de confiance sur le Tour 1984, où il savait pourtant devoir affronter Laurent Fignon : « À partir du moment où je suis au départ, il n’y a qu’un favori, moi. » Cette fois-là, il avait perdu.
À utiliser avec prudence
Un aveu de supériorité – supposée – qui en dit long sur le niveau de confiance et les ambitions de celui qui s’exprime. De quoi légitimer les mots de Simon Yates ? Il est en tout cas dans la fleur de l’âge, récent vainqueur de la Vuelta, et il retourne sur les routes italiennes revanchard. Au départ de Bologne, la sérénité qu’il dégageait impressionnait. Caché derrière ses lunettes teintées, aucune émotion ne s’échappait de son visage. Il n’a pas, pourtant, l’expérience de certains de ses rivaux. « Nibali ce n’est pas un lapin de six semaines, il connaît le vélo, tempère Matthieu Ladagnous. Il ne va pas déstabiliser un Nibali en disant ça. » Après quasiment une semaine de course, les deux hommes se tiennent d’ailleurs en seulement quatre secondes.
Cet art de la provoc’, ou “trash-talking”, comme l’appellent les Américains depuis des décennies, doit donc être usé avec minutie. Yates ne se fera pas d’amis avec ces sorties médiatiques, en témoigne le commentaire virulent de Landa, l’accusant de l’avoir fait chuter. Sa grosse défaillance de l’an dernier aurait aussi pu l’amener à se montrer plus prudent. Mais ce n’est pas la philosophie du bonhomme, qui dans cette histoire, a autant à perdre qu’à gagner. « Si Yates est défait, il aura eu tort, maintenant s’il gagne, on dira qu’il a pris de la hauteur parce qu’il aura annoncé la couleur », conclut Eclimont. Chez ceux qui usent de déclarations salvatrices, il y a donc deux catégories de coureurs : ceux qui parlent, et ceux qui agissent après avoir parlé. Le verdict à Vérone dira où l’on doit placer Simon Yates.
C’est vrai que c’est du trash talking pur et c’est devenu très rare, même inexistant dans le vélo aujourd’hui. Moi j’aime plutôt bien, ça change du langage policé qu’on entend tout le temps “je vais donner le maximum sur le vélo”, “on verra étape par étape” etc…
Maintenant c’est sûr que s’il prend 20 minutes en troisième semaine il aura l’air con.
Du “trash-talking”, comme vous dîtes, il y en a toujours eu, et le Giro s’y est toujours assez bien prêté. Il y a de cela deux ans seulement, je me souviens que Nibali l’avait jouée à l’intimidation en début de Tour d’Italie face à Quintana : “Nous sommes rivaux, c’est normal, Nairo est là aussi pour gagner. Nous ne nous aimons pas. Je n’ai pas avec lui les rapports que je peux avoir avec (Fabio) Aru. Ou les mêmes conversations par exemple qu’avec (Alberto) Contador.” Avant que Dumoulin ne vienne mettre son grain de sel là-dedans : “Ce n’est pas une façon de courir très sympa. Maintenant, les autres coureurs en course pour le podium, comme Pinot, se sont rapprochés. Et j’espère que s’ils continuent à courir comme ça, Nibali et Quintana perdront leur place sur le podium à Milan. Ce serait vraiment bien, je serais content.” Et que Nibali le reprenne de volée : “A mon avis, il fait un peu le fanfaron. Je n’ai jamais parlé comme ça. Il a montré qu’il était fort, mais il ne faut pas en dire trop, lui aussi peut perdre le podium, personne n’est à l’abri. On ne va pas l’emmener en… Lire la suite »
Je préfère ça au politiquement correct appris en stage de com’ qu’on nous ressert à longueurs de temps….
[HS]Et sinon, on en parle des casques Scott qui font une tête d’Alien ? [/ HS]
A part ça, j’ai remarqué (à mon tout petit niveau) que sur les courses et de façon général sur un vélo, ceux qui en disaient le moins, c’était ceux qui avançaient le plus. Pas la peine de la ramener, ils savent qu’ils vont vous mettre la misère.
Ah quelle horreur ce franglais … Pouces rouges SVP.
On dirait du Donald T.
J’avais lu cette déclaration de Simon Yates et j’ai dû me tromper depuis l’origine, associant son superbe style en montagne à une grandeur d’esprit.
Cela dit, rien n’empêche de s’engueuler et de se provoquer, mais il y a suffisamment d’adrénaline en jeu dans la course pour ne pas rajouter celle des petites obsessions quotidiennes qui, parfois, nous pourrissent la vie. On est peut-être ici, dans le domaine du gain marginal au point de vue ascendant psychologique.
Ce langage de Simon Yates peut aussi s’apparenter à un fayottage politique envers ce qui a le vent en poupe en Italie en ce moment. Vivement que ce pays redevienne le pays des arts et de la délicatesse que nous aimons.
Triste d’employer un terme aussi laid pour encore un peu plus imposer ce charabia international à la traîne des maîtres à penser anglo-saxons. Plutôt qu’accélérer la déchéance de notre langue, prenons exemple sur le sauvetage de leur langue par les québécois ou encore la résurrection du catalan par sa population. C’est comme l’abominable “jump” dans la bouche de nos commentateurs télé ( bonjour Monsieur Durand).
Encore plus anachronique si l’on se rend compte que cette pratique du défi oratoire vient du fin fond des âges : du temps de l’iliade ou des chevaliers. Très loin du pathétique et lisse politiquement correct, c’est la marque du champion qui entre en lice et défie son ( ses) adversaires.
Difficile de battre en ce domaine Mohammed Ali alors dénommé Cassius Clay qui annonçait avant le match que Joe Frazier allait se retrouver le premier noir en orbite autour de la Lune.
“Oh attaque de Richie Porte ! C’est le money time, l’aussie fait parler son punch !” Les temps changent ; quand Jalabert attaquait dans les années 90, on louait sa “giclette”, à présent c’est le punch, oui. Ca dénote l’importance prise par le monde anglophone, alors même que le cyclisme est culturellement francophone ou italophone. C’est d’ailleurs surprenant de voir des marques françaises ou européennes prendre des noms à consonance anglaise pour vendre des produits marqués par une culture franco-italo-belge (Time, Look, etc.)
C’est vrai que les casques Mitchelton-Scott sont très moches.
Cher Monsieur Pimont,
Je pensais consulter un site de cyclisme francophone.
Profitons de la profondeur de notre magnifique langue pour trouver des termes aussi poétiques, qu’à propos. Ne pensez-vous pas?
Ce franglais à tout-va me donne la nausée, je ne pense pas être le seul.
Cordialement
Bah remplacez le titre par “l’art de la provoc'” et calmez-vous cher Monsieur Alex.
@ tous : Ce n’est pas utile de vous emballer à ce point pour un anglicisme ! Je comprends que vous aimiez la langue française et nous l’aimons tout autant, mais utiliser un mot anglais, ce n’est pas une marque d’irrespect. Il n’y a pas, non plus, de volonté d’imposer quoi que ce soit.
Simplement, c’était, de notre point de vue, le meilleur mot pour désigner le sujet sur lequel on s’est attardés. Parce qu’en parlant de « provocation » ou de « chambrage », on n’y est pas totalement.
Surtout, notre ami Simon Yates, au cœur du sujet, a sans doute bien plus été influencé par les actuels sportifs qui officient aux Etats-Unis, et notamment en NBA, dans leur manière d’utiliser justement ce « trash-talking », que par la façon dont pouvait s’exprimer Bernard Hinault il y a 40 ans.
Il ne s’agit donc pas d’une utilisation aléatoire et répétitive du franglais, mais d’une utilisation, pour un terme qui n’a pas de réelle équivalence en français. Sachez donc rester mesurés.
La vache ces commentaires de vieux qui je suis sur arrivent pas à aligner 2 mots d’anglais. Et vous écrivez mèl aussi au lieu de mail ?
On est en 2019 les langues se mélangent, restez cloitrés chez vous sinon.
Pour ma part, je manie presque aussi bien l’anglais que le français mais je ne l’utilise qu’avec des anglophones de naissance.
Mèl, ce sont les impôts qui l’utilisent et ce n’est pas une référence :-(
Je ne connaissais pas ce terme de trash talking (sans trait d’union SVP) car je ne connais strictement rien à la NBA.
Ce qui m’a aussi un peu gêné, c’est le vocable “intello” appliqué à Laurent Fignon. C’est vrai que mes enfants me l’avaient aussi répercuté depuis leurs cours de récréation. Il y a pourtant aujourd’hui, et c’est une évolution heureuse, beaucoup de pros qui suivent des études universitaires parallèlement à leurs premières années pros.
Une évolution : Autrefois, on parlait de doping, maintenant, de dopage.
Sans rancune et merci pour vos beaux articles bien rédigés.
Si je peux me permettre, l’intello, c’était le surnom de Fignon, comme le Blaireau l’est pour Hinault.
Dans les deux cas, d’ailleurs, on remarque que le mot peut être perçu péjorativement, mais c’était plutôt affectif, pour les deux.
Pour ce qui est du trash-talking, peut-être qu’à terme, il y aura en effet une traduction purement française, comme dopage pour doping. Mais en attendant, cela reste plus compréhensible pour tout le monde d’utiliser le terme le plus répandu. Et pour ceux qui ne savaient pas ce que c’était, on espère vous avoir appris quelque chose.
Personnellement, ça me fatigue ces anglicismes. J’ai du reste remarqué que c’est souvent ceux qui maîtrisent le moins l’anglais qui les utilisent. Celui qui est bilingue ne ressent pas le besoin de coller de l’anglais partout pour se faire mousser ou parler comme sur TF1 ou M6. Quand il n’y a pas d’équivalent, oui pour l’anglais, mais sinon… les québécois ont mieux saisis que nous l’importance de défendre une langue et la culture qui s’y rattache. Pour le reste, j’utilise le mot courriel, ça fonctionne aussi.
Pour revenir au sujet qui nous intéresse, les rivaux de Yates devaient se chier dessus, mais aujourd’hui c’est l’anglais qui s’est souillé, on peut même parler de fessée… avec 3min11 perdues face au Slovène.
What the fuck up ..
Provocateur, vulgaire, arrogant, prétentieux, imprudent… concernant la déclaration tapageuse de Simon Yates, notre langue, comme les autres dont l’anglais quand il est maîtrisé, offre tant de nuances qui permettent d’être plus précis que la reprise d’un terme à la mode, teinté de la fausse modernité associée à ce qui sonne américain… Sur le fond, votre article est excellent, passant en revue les différents aspects et conséquences possibles de sa déclaration téméraire. Personnellement, ce que je connais de Nibali me fait déjà savourer le moment où il va le crucifier, les yeux dans les yeux, dans ce Giro ou ailleurs. Le Requin de Messine mange froid, mais il finit toujours son repas… Cette déclaration illustre aussi la différence entre ceux qui ont de la classe et ceux qui n’en auront jamais, quoi qu’ils fassent sportivement sur le vélo. Cela me fait penser aux déclarations et actes anti-sportifs attribués à Moscon. L’étiquette “Campionissimo” ne concernera jamais ces coureurs qui s’élèvent parfois avec talent lorsque la route affronte la pente, mais ne contribuent pas à élever l’homme, ce qui a mes yeux est une composante indispensable du champion, celui qui écrit la légende. Bon, à me relire je trouve ce que j’ai écrit… Lire la suite »
Après avoir pris une ‘tite claque, il est revenu à une com’ beaucoup plus classique : “Le chemin est encore long, donc nous allons essayer. La course n’est pas terminée. “