Un mois et demi après avoir perdu un Tour de France qui ne pouvait plus lui échapper, Primoz Roglic remporte la Vuelta, en ayant accroché entre-temps Liège-Bastogne-Liège. Sa saison ne ressemble pas du tout à ce que l’on aurait pu imaginer, mais elle restera comme une grande réussite, malgré la plus grosse désillusion de la carrière du Slovène.

Toujours aussi affamé

On a souvent entendu que Laurent Fignon ne s’était jamais remis de ce Tour de France perdu pour 8 secondes sur les Champs-Elysées. Primoz Roglic aurait pu lui aussi basculer dans une fin de carrière discrète. La trentaine passée, son rêve venant de s’envoler sous ses yeux, la jeune garde prenant le pouvoir, tout était franchement réuni. Mais le Slovène a voulu se replonger dans la bagarre le plus vite possible. Peut-être était-ce sa façon d’oublier. Depuis la fin du Tour de France, on l’a vu partout, alors qu’on aurait tellement compris qu’il range le vélo jusqu’à la saison prochaine. Arrivé chez les pros après tout le monde, sans doute a-t-il envie de rattraper le temps perdu, ce qui implique de ne pas louper une fin d’année avec des Mondiaux, une campagne de classiques et un Tour d’Espagne. Sans reparler de sa déception, aidé par ces bulles qui empêchent les journalistes de venir poser toutes leurs questions, Roglic le glouton a enchaîné les courses comme on se réfugie dans la nourriture après une déception amoureuse.

Le Tour s’est refusé à lui. Ce devait être que la Grande Boucle n’est pas assez bien pour lui. Une semaine après Paris, Roglic était sixième des Mondiaux à Imola. Une semaine après Imola, il remportait Liège-Bastogne-Liège, son premier monument. Enfin, un mois et quatre jours après Liège, le voilà en rouge à Madrid, pour la deuxième année consécutive. Le dernier jour de la saison, à l’aube de l’hiver, va consacrer le Slovène, comme un pied de nez à cette fin d’été qui avait vu le ciel tomber sur sa tête. Ça ne veut pas dire que tout a été facile dans l’après-Tour, parce que le bonhomme doit sa victoire à Liège à la bourde de Julian Alaphilippe, et parce que la Vuelta lui a malgré tout offert quelques frayeurs. Mais ce maillot rouge est à lui, il est le premier à le ramener deux années de suite depuis Roberto Heras au début du siècle. Cette tunique est aussi la preuve que Roglic reviendra sur le Tour très vite pour effacer ce mauvais souvenir qui devrait le hanter jusqu’au départ de Bretagne, en juin prochain.

Une image en mutation ?

Leader de la Vuelta pendant les deux tiers de la course, en première et en dernière semaines, surtout, le Slovène a pris tout ce qu’il pouvait, à savoir quatre étapes. L’ivresse de la victoire pour oublier le traumatisme, encore une fois. Samedi, pour la dernière journée montagneuse, Roglic n’était pourtant pas très loin de finir avec le mauvais rôle, encore une fois. Dans la montée finale vers l’alto de la Covatilla, ce devait être tempête sous un crâne. Carapaz était plus fort, les secondes s’égrainaient et on a cru revivre un retournement de situation inattendu. « Tout n’était pas toujours sous contrôle », reconnaissait le Slovène à l’arrivée, soulagé d’avoir le maillot rouge encore sur le dos pour 24 secondes. Le leader de Jumbo-Visma pourra payer sa tournée aux Movistar, qui gonflés par leur guéguerre avec Carapaz, parti de la maison espagnole l’hiver dernier, ont tiré Roglic sur les derniers hectomètres.

Mais au-delà des circonstances, du sprint d’Alaphilippe à Liège et des relais inattendus de Mas et Soler à l’alto de Covatilla, Roglic retiendra qu’il a gagné cette année un monument et un grand tour, exploit rarissime dans un cyclisme ou les classicmen et les spécialistes des courses de trois semaines ne sont généralement pas les mêmes. Preuve que l’on peut réussir une saison tout en perdant sur le fil un Tour de France que l’on disait déjà joué. Pour toujours, Primoz Roglic sera associé à cet échec, ce maillot jaune perdu dans un contre-la-montre taillé pour lui. C’est le prisme déformant du Tour. Il faudrait pourtant retenir davantage ce qui a suivi, une réaction de champion pour un coureur qui ne fait pas vibrer les observateurs. Froid, ennuyeux, taiseux, le Slovène est surtout devenu un exemple de force mentale. Le premier pas, peut-être, pour enfin conquérir le public.

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