Alors qu’il reste sur cinq succès d’étape sur le Tour de France, signe d’une suprématie sur le sprint mondial peut-être à son apogée, Marcel Kittel n’a toujours pas rempilé avec la formation Quick Step. En fin de contrat, le géant de Thüringe fait monter les enchères, et les signaux dégagés durant les dix premiers jours du mercato officiel indiquent que l’on se dirige plutôt vers un départ, et la fin d’une « success story » d’à peine deux ans. Qu’a t-il bien pu se produire ?
Des coéquipiers courtisés
Pour imposer sa domination à l’ensemble du peloton, le sprinteur requiert la plupart du temps un train des plus rodés pour fermer toutes les portes à l’entame du dernier kilomètre. Tout au long de son ascension sous la bannière Argos devenue Giant, Kittel n’a eu cesse de parachever l’incroyable effort collectif d’une équipe sacrifiée à 100 % pour les emballages massifs. À tel point que de redoutables poissons-pilotes ont pu obtenir leur passe-droit pour briller en solo, comme Arndt ou Sinkeldam. Du côté des Belges de Quick-Step, celui qui détient désormais quatorze succès sur le Tour de France ne faisait que reprendre le savoir-faire laissé vacant après les adieux de Mark Cavendish. Qu’ils soient rouleurs, spécialistes des classiques flamandes ou de corrects outsiders de la dernière ligne droite, les porteurs de la tunique bleue se sont employés corps et âme pour empocher le plus de bouquets par l’intermédiaire de leur leader à la crinière blonde. Bauer, Keisse, Martinelli, Richeze, Sabatini, Stybar, Trentin, et cerise sur le gâteau le prodige Gaviria, tous ont leur part de responsabilité dans cette fructueuse collaboration, marquée par des victoires sur la Grande Boucle, mais également au Giro, où il a porté le maillot rose.
Mais voila, alors que l’annonce du renouvellement de son contrat tarde de plus en plus, certains ont déjà acté leur départ pour d’autres destinations. C’est le cas de Matteo Trentin, désireux de garnir son palmarès en misant sur la confiance de la formation Orica-Scott. Plus symbolique peut-être l’exemple de Julien Vermote. Relativement méconnu du grand public, l’infatigable capitaine de route du groupe, sortit de l’ombre pour ses heures passées en tête de peloton, à condamner systématiquement les tentatives des baroudeurs, n’a rien connu d’autre que l’univers de Patrick Lefévère depuis son arrivée chez les pros en 2011. Mais il souhaiterait vivre une nouvelle expérience, et l’officialisation de son transfert chez Dimension Data est imminente. Ces départs semblent s’inscrire dans une tendance de dégraissage d’effectif régulière, au gré des figures de proues successives.
Le futur, c’est déjà Gaviria
Avec en parallèle la retraite de Tom Boonen au terme du dernier Paris-Roubaix, le nouvel homme fort est tout trouvé, il s’agit de Fernando Gaviria. Brillant sur les routes du Tour d’Italie, vainqueur du classement par points pour son premier grand tour, tout près de la gagne sur Milan-Sanremo, le champion colombien en a pratiquement terminé avec le temps de l’apprentissage. Alors, lorsque deux sprinteurs se retrouvent à devoir cohabiter dans une formation de haut niveau, il y en a bien souvent un qui choisit de faire ses valises afin de préserver son terrain d’expression. C’est ce que semble vouloir faire Kittel, après avoir peut-être compris que malgré ses immenses performances, il n’était pas la priorité numéro une de son équipe. En effet, dans une interview donnée à la RTBF le 7 juillet, son boss déclarait avoir « pris un risque » en prolongeant coûte que coûte Philippe Gilbert, qui rêve d’inscrire son nom au palmarès des cinq monuments. Un choix financier lourd, quand la côte de Kittel ne cesse de grimper toujours plus vite. « Si je peux me permettre de garder Marcel, je le tiendrais volontiers dans l’équipe, a affirmé Patrick Lefevere. Mais il faut avoir de l’argent bien sûr et maintenant il devient plus cher. »
C’est donc peut-être du côté des prétentions salariales du coureur d’Outre-Rhin que la clé du dossier se trouve, avec une formation qui revient avec insistance depuis la deuxième semaine du Tour, Katusha-Alpecin. En froid avec Alexander Kristoff depuis une campagne printanière ratée, la structure russo-suisse peut se gargariser d’avoir laissé partir le Norvégien sous les palmiers des Émirats Arabes Unis. Une première étape indispensable pour pouvoir décrocher la signature de Marcel Kittel, qui aurait ainsi l’opportunité de retrouver plusieurs compatriotes, dont son ami Tony Martin. Pour connaître la réponse définitive, il faudra sans doute attendre encore la fin du mois d’août, mais force est de constater que son statut a changé. Même en écrasant sa discipline et en repoussant toujours plus loin ses propres limites, les meilleurs restent à la porté des aléas du marché.