Invitée de dernière minute dans la galaxie World Tour cette année, l’équipe cycliste des Emirats Arabes Unis se cherche toujours un projet sur le long terme, et devrait se faire remarquer encore un peu plus dans les prochaines semaines pour d’éventuels coups d’éclats sur le marché des transferts. Annoncé aux alentours des 30 millions d’euros selon l’Equipe, le budget prévisionnel pour la saison 2018 titille les fonds des formations Sky et Katusha, habituellement les plus riches du peloton. Les expédients financiers débloqués ne masqueraient-ils pas des secteurs de construction illisibles ?

Un appétit démesuré

Très discrète cette saison en matière sportive, l’héritière des maillots fuchsia de la Lampre aurait décidé d’investir massivement durant l’été et l’automne, temps des acquisitions. Hors du coup sur la Grande Boucle, guère plus active sur le Giro si l’on excepte l’exploit annuel du Slovène Jan Polanc en terre italienne, UAE Team Emirates a fait parler d’elle dans les coulisses du Tour, à l’heure des premières tractations entre coureurs et agents. Avec des cibles toutes extrêmement prestigieuses, parmi lesquelles Fabio Aru, Alexander Kristoff, Mikel Landa, Dan Martin, Domenico Pozzovivo, Rigoberto Uran et Elia Viviani. Le sprinteur transalpin est d’ailleurs le premier couac d’une formation qui a vite su rebondir médiatiquement en annonçant la venue du Norvégien, sacré champion d’Europe à Herning. Bridé comme la plupart des hommes véloces passés chez Sky, le médaillé olympique de Rio aurait un temps donné son accord à Carlo Saronni pour opérer une bascule au 1er août, comme l’a rapporté la Gazzetta Dello Sport. Officiellement, Viviani évoque un fantasme de journaliste. Officieusement, on est en droit de se demander si la venue pressante de Kristoff n’a pas fait capoter un transfert rondement mené.

Leader incontesté sur les classiques, le vainqueur du Tour des Flandres et de Milan-Sanremo doit déjà s’intégrer dans un univers où l’école du sprint italienne est solidement ancrée. Modolo, Ferrari, Guardini, sans oublier le transfuge Ben Swift, cela fait déjà beaucoup, surtout quand on sait que tous ont quasiment pour point commun de n’avoir jamais atteint les espoirs les plus élevés placés sur leurs épaules. En quête d’un challenge pour se relancer, le Véronais se retrouvait subitement bien mal embarqué, et a préféré ronger son frein pour une année de plus, faute de mieux. Annoncé de la manière la plus sobre qui soit en 150 caractères, l’accord de principe avec Kristoff doit être suivi d’une présentation officielle, ainsi que par la concrétisation de nouveaux renforts. Fort d’un train solide, le Viking devrait emmener quelques compagnons de route sur son porte-bagage. On pense au gregario danois Michael Morkov, au champion du monde 2014 des moins de 23 ans, Sven Erik Bystrom, et à l’Allemand Nils Politt.

Si cela se vérifiait, on pourrait alors identifier un premier secteur de construction intéressant, le sprint, et redynamiser une mécanique irrégulière. Sprint et classiques pavées, cela pourrait même représenter un bon compromis. Avant sa victoire au Tour de Pologne, Sacha Modolo expliquait avoir de plus en plus envie de frotter sur les courses d’un jour du printemps. Inattendu sixième du Ronde cette année, il pourrait se mouvoir en équipier de luxe, tel un Greipel à cette période identique. Cette orientation affirmée permettrait aux jeunes pousses identifiées, Consonni, Troia, Zurlo et Ganna, de développer leur agilité dans des domaines qui leur sont plutôt familiers.

Courir derrière plusieurs lièvres à la fois

Mais voila, notre analyse n’aurait sûrement pas eu la même saveur si le team UAE s’était décidé à claquer les nouvelles mannes financières dans le registre du sprint afin de monter un cocktail détonnant. Si elle bat désormais pavillon émirati, après l’illusion chinoise, la structure reste nostalgique de ses attaches italiennes, et semble prête à tout pour débaucher Fabio Aru du Kazakhstan. Et sportivement, là aussi, cela se justifie. Moyenne dans tous les domaines, UAE ne dispose en réalité d’aucun grand leader, à l’opposé de sa rivale du Golfe, Bahraïn-Merida, qui a tout misé sur Vincenzo Nibali. Le Sarde fait durer le suspens et ne se prononcera qu’à l’issue du Tour d’Espagne, mais ses prétentions salariales semblent largement compatibles avec l’investissement en pétrodollars, la presse italienne avançant un salaire avoisinant les trois millions d’euros annuels.

Il faut dire qu’en rachetant in-extremis la licence de TJ Sport, projet mort-né, Matar Suhail Al Yabhouni Al Dhaheri n’a pas eu le temps de mettre un peu plus la main à la poche pour se donner les moyens de ses ambitions. Et si lors de la première conférence de presse de son histoire, cet homme d’affaires se donnait plusieurs années pour faire émerger une génération de coureurs des émirats au plus haut niveau, on en doute très fortement. Alors, même si de mois en mois, le groupe paraît financièrement de plus en plus opérationnel, de quoi tripler son budget de janvier et doubler ses réserves estimées début juillet, la réussite sportive dépend de bien d’autres facteurs. Coaché par Philippe Mauduit l’année passée, Louis Meintjes n’a que très peu progressé cette saison. Pour accueillir un coureur de Grand Tour comme Aru ou Landa, le Sud-Africain devrait être libéré, mais le rôle des quelques tauliers de l’équipe sont tout aussi flous. Atapuma, Costa, Durasek, Polanc et Ulissi sauvent la baraque depuis janvier, mais ne doivent pas pour autant se sentir renforcés par les grands bouleversements qui se préparent.

Le cheikh Majid Al Mualla, qui supervise les investissements de la compagnie aérienne Fly Emirates, déclarait donner quatre ans à l’équipe pour atteindre les plus hauts sommets. Les liasses de billets peuvent facilement faire tourner les têtes, et se retranscrire dans des attentes immodérées. Une atmosphère qui nous rappelle les clashs à répétition au sein du team Tinkoff. Bien évidemment, nous n’en sommes pas là, mais la couleur sportive du projet du Golfe Persique suscite d’immenses interrogations. Certains y voient déjà l’avènement du « PSG du vélo ». Rien que ça.

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