Bruno, vous étiez à la fin du mois de mars dans la région niçoise où vous avez notamment réalisé quelques sorties avec David Gaudu. Pourquoi être allé du côté de Nice ?
Tout simplement parce que ma copine est de Nice (il rigole) ! Les entraînements sont similaires à ceux que j’aurais pu réaliser chez moi (dans les Hautes-Pyrénées, ndlr) mais le climat est meilleur du côté de Nice. C’est plus agréable pour rouler et il y a quelques cols, c’est une bonne région pour s’entraîner.
Comment décrire votre relation avec David Gaudu ?
On a une très bonne relation. On est collègues de travail sur le vélo mais en dehors, on est aussi des amis. On s’entend super bien. On se connait maintenant depuis quelques années (Armirail a débuté comme stagiaire à la Groupama-FDJ en août 2017, ndlr) et on a fait pas mal de courses tous les deux. On a connu plusieurs galères ensemble, notamment au Dauphiné 2018 où je l’avais attendu après sa chute (Bruno et David terminent ensemble à près de 9 minutes du peloton sur la première étape, ndlr). En 2017, il était tombé au Tour du Limousin alors que j’étais encore stagiaire, quelques semaines plus tôt j’étais aussi avec lui lors de sa première victoire chez les professionnels, sur le Tour de l’Ain. On a même connu le confinement sur l’UAE Tour l’année passée.
Vous aviez pu rentrer plus tôt que lui chez vous !
Oui, on va dire que je m’en étais mieux sorti ! On a fait beaucoup de trucs ensemble. Et après, il y a eu la Vuelta.
« Lors de sa seconde victoire d’étape (sur la Vuelta), David me disait : ‘Continue, tu vas me faire rentrer dans le top 10.’ L’écart que je maintenais lui permettait de gagner des places au général et dans le même temps, David se disait que j’avais roulé toute la journée et qu’il ne fallait pas qu’il se loupe. »
Sur cette Vuelta, vous formiez un sacré binôme. Est-ce vous vous sentez plus fort auprès de lui ?
Me sentir plus fort, je ne sais pas. Le grand public croit que je suis avec David depuis la Vuelta parce qu’on a marché ensemble. Mais personne ne se souviendrait de ma présence sur la Vuelta si je n’avais pas été échappé avec lui quand il gagne. Par exemple, quand je fais l’UAE Tour avec David, ça ne marque pas autant. En Espagne, on était ensemble dans l’échappée lors de ses deux victoires. C’est pour ça que les gens le retiennent. Le public ne voit que quand on est bon. Je suis sûr que beaucoup de personnes ne savent même pas que j’étais sur Paris-Nice avec lui.
Revenons sur ces deux échappées victorieuses sur la Vuelta. Quel est votre objectif à ses côtés ?
Quand je suis là, il sait qu’il peut compter sur moi. Pour lui, le but est de prendre le moins de vent possible et de s’économiser au maximum. Pour moi, c’est d’aller le plus loin possible, de maintenir l’écart le plus important avec le peloton et de le lâcher dans le dernier col. Mais ce n’est pas une science exacte, on ne peut pas dire « Tu le déposes à 5 kilomètres du sommet et David finit tout seul. » Le vélo, ce n’est pas Pro Cycling Manager. Cela étant, j’essaie aussi de le rassurer. Chacun se dit qu’il doit faire un effort pour l’autre, on se motive mutuellement.
Thierry Bricaud, votre directeur sportif sur la Vuelta, disait que vous n’étiez jamais aussi bon que dans des étapes difficiles et usantes, au service d’un leader. Qui plus est quand c’est quelqu’un que vous appréciez, comme David. A quel point ce feeling avec votre leader est-il important ?
Je ne pense pas que travailler pour David, ou un autre leader que j’apprécie, me permette d’aller plus loin dans l’effort. Je donne le maximum, peu importe mon leader. C’est mon rôle, celui de l’équipier. Si on donne plus le jour où on est avec un leader qu’on apprécie, c’est que les jours d’avant on ne se donne pas à fond. Si un coureur peut gagner, je donne le maximum, peu importe qui c’est.
Depuis le début de l’interview, on ne parle de vous que comme un coéquipier. C’est uniquement comme cela que vous vous considérez ou pensez-vous également que vous avez votre carte à jouer sur certaines courses, notamment les contre-la-montre ?
Je pense que j’aurai un jour ma carte à jouer sur certaines courses, des courses avec un contre-la-montre pourraient me convenir. Mais pour le moment, je fais ce qu’on me demande de faire. Comme sur Paris-Nice où on m’a demandé de ne pas faire le chrono à bloc alors que j’étais dans le temps du peloton le matin. Si j’avais fait le chrono à bloc, qui sait, j’aurais peut-être gagné et pris le maillot.
Est-ce qu’à terme vous aimeriez pouvoir jouer votre carte sur ces situations-là ?
J’espère pouvoir jouer ma carte des courses comme Paris-Nice et les Tours de Catalogne, Romandie ou Suisse pour revêtir le maillot jaune grâce à un contre-la-montre. Je ne pourrais peut-être pas le garder jusqu’à la fin mais sur de telles courses, même s’il y a un peu de montagne, je peux basculer avec un groupe de trente mecs avant un contre-la-montre et viser le maillot.
Est-ce que vous en parlez avec vos directeurs sportifs ?
Cette saison, je cours beaucoup avec David donc je n’ai pas trop ma carte à jouer sur les contre-la-montre. Mais je le savais, on me l’a dit en début d’année. Avant Paris-Nice, on m’a dit que je ne pourrai pas faire le chrono à bloc car il y avait une arrivée au sommet le lendemain. J’étais le seul à pouvoir passer les bosses. Finalement, David tombe et je le ramène dans le peloton avant la bosse finale. Je n’ai pas fait le contre-la-montre à bloc mais j’ai été utile et j’ai aidé David. C’est sûr qu’au fond de moi j’aurais aimé avoir ma chance sur le chrono mais c’est comme ça. J’obéis, entre guillemets, aux consignes. A l’usine, si le directeur te dit de faire ça, tu le fais. Après, le choix est vite fait entre jouer un contre-la-montre sur le Tour du Poitou-Charentes et faire un grand Tour aux côtés de David ou Thibaut. Mieux vaut gagner un grand Tour autour d’un leader que de viser le chrono du Poitou-Charentes.
Vous voulez dire qu’être équipier d’un grand leader vous permet de vivre des choses que vous n’auriez pas eu la possibilité de vivre vous-même ?
C’est ça. Et être un très bon équipier a plus de valeur qu’être un tout petit leader. Mieux vaut avoir le rôle que j’ai eu après de David sur la Vuelta que de vouloir aller faire un podium en coupe de France.
« Le choix est vite fait entre jouer un contre-la-montre sur le Tour du Poitou-Charentes et faire un grand Tour aux côtés de David ou Thibaut. »
Avez-vous déjà défini des objectifs personnels ou collectifs pour la suite de la saison ?
D’un point de vue personnel, le championnat de France de contre-la-montre. Je ne peux pas encore dévoiler mon programme puisque pour l’instant rien n’est officiel à partir de mai mais le championnat de France sera sûrement un objectif.
Vous parlez souvent d’être « le meilleur équipier possible ». Comment est-ce que vous définiriez le meilleur équipier possible ?
C’est le mec qui roule sur le plat, qui sait aussi bien descendre que grimper et qui a une confiance absolue de son leader. Je sais que David pourrait être les yeux fermés dans ma roue.
Comment faîtes-vous dans votre entraînement quotidien pour être bon sur le plat et en montagne ? Il parait contraire de travailler les deux en même temps.
Je ne travaille pas vraiment ni le plat ni la montagne, je roule et je fais les deux. Avec le contre-la-montre, je fais pas mal de séances sur le plat. Pour la montagne, j’ai un bon terrain de jeu chez moi, que ce soit dans les Pyrénées ou à Nice. J’aime beaucoup les cols, c’est ce qui fait que je ne suis pas trop mal sur le plat et en montagne. En fait, le gros problème c’est le poids. Quand je veux réellement m’affuter pour la montagne, je perds en puissance sur le plat.
Quel est votre poids de forme ?
Lorsque je suis bien affuté, je suis à 70-71 kg.
Donc un peu plus que les purs grimpeurs.
Oui, quand même un peu plus. J’ai déjà été à 69 : dans ce cas-là je grimpe vraiment bien mais je n’ai plus de force sur le plat. A 72-73, j’ai beaucoup de force sur le plat mais quand ça monte, c’est plus compliqué. C’est un compromis qu’il faut trouver, ce n’est pas facile à gérer.
Il y a quelques mois, nous parlions avec Sandy Casar qui nous disait que l’utilisation du capteur de puissance favorise les rouleurs dans les cols. C’est également votre avis ?
Oui et non. C’est vrai qu’un bon rouleur, le jour où il est bien, peut se gérer par rapport aux watts. Mais le jour où on n’est pas bien, on peut se baser à 400 watts, on ne les tiendra pas et on finira le col à 330. Un autre jour, on va se baser à 400 watts alors qu’on aurait pu faire 420 ou 430. Ça peut être un avantage mais… Je vais prendre mon exemple : sur le Tour du Haut-Var, j’aurais dû monter les cols à 380-400 watts. Finalement, j’étais dans un très bonne journée et je suis monté à 420. C’est aux sensations. En fait, on ne regarde pas vraiment les watts. Enfin si, on va regarder parce qu’on ne va pas monter dès le pied à 500 watts et finir à 280. Mais il y a une part de feeling, on le sent.
En parlant des Pyrénées, vous êtes né à Bagnères-de-Bigorre, une ville qui résonne dans l’histoire du Tour de France. Etiez-vous prédestiné à monter sur un vélo ?
Pas du tout ! Mes parents faisaient du sport mais pas de vélo. Moi, j’ai commencé le vélo très tard, vers 15 ou 16 ans.
Qu’est-ce qui vous a fait monter sur un vélo ?
J’ai fait de la natation, de l’athlétisme, du ski, du tennis et cinq ou six ans de rugby. Au collège, j’étais à l’UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire) duathlon avec un copain. Le vélo m’a plu donc je me suis dit que j’aimerais bien en faire un peu. J’ai commencé par le VTT mais mon ancien entraîneur m’a dit que si je voulais être bon en VTT, il fallait absolument que je fasse du vélo de route lors des entraînements. C’est comme ça que je me suis mis au vélo de route. Comme il n’y avait pas beaucoup de courses de VTT chez les jeunes, j’ai fait quelques compétitions sur route et j’ai accroché quelques petits résultats. Ensuite, quand j’ai arrêté mes études, je me suis dit qu’il valait mieux faire de la route si je voulais vraiment gagner ma vie sur un vélo.
Vous êtes passé par l’équipe cycliste de l’Armée de Terre, de 2014 à 2016. Que retenez-vous de ces trois années ?
En 2014, c’était la meilleure équipe amateur. On gagnait quasiment tout. J’ai beaucoup appris là-bas, je sortais de seconde catégorie et je suis arrivé en première catégorie en intégrant directement la meilleure équipe amateur. On était nourris, logés, l’équipe avait un bus… En tant qu’amateur c’était exceptionnel. On avait des vélos aussi. Quand j’étais dans mon club à Bagnères-de-Bigorre, j’allais m’acheter mon propre vélo. C’est à l’Armée de Terre que j’ai eu pour la première fois un vélo fourni. Juste ça, ça fait un bien fou. Au niveau relationnel, on vivait à la caserne de Saint-Germain-en-Laye donc on était tout le temps ensemble avec les autres coureurs. On mangeait le soir tous ensemble, on partait s’entraîner en groupe, on allait même parfois au ciné. On créait pas mal de complicité et d’affinités entre nous. On était là pour le vélo mais on faisait aussi autre chose.
Vous aviez pu profiter de la fête des Loges (fête foraine se tenant chaque été à Saint-Germain-en-Laye) ?
Je n’y suis pas allé mais certains y allaient oui (il rigole) ! Chez les professionnels, hormis lors des stages personnels, on ne voit les autres coureurs qu’en course ou en stage avec l’équipe. Avec certains coureurs, on ne partage pas d’autres choses en dehors du vélo. Alors que ce qui nous lie le plus c’est quand il n’y a pas que le travail, pas que le vélo. Si on fait une soirée ensemble, ça crée plus de liens que d’aller faire une course de vélo.
L’équipe de l’Armée de Terre n’existe plus aujourd’hui, ça vous a fait un pincement au cœur qu’elle s’arrête ?
C’est sûr que ça fait un peu chier parce que c’était une équipe professionnelle. C’est malheureusement la vie, c’est comme ça. Ça faisait aussi chier pour pas mal de coureurs qui se sont retrouvés sur le carreau, plusieurs n’ont pas retrouvé de contrat professionnel. Moi, je n’étais plus dans l’équipe quand elle s’est arrêtée.
Vous étiez reparti chez les amateurs, c’est ça ?
Je ne suis pas parti, je me suis fait virer. J’avais eu mon accident en janvier 2015, je n’ai pas pu marcher jusqu’en 2016. A la fin de la saison 2016 on m’a dit : « On ne te garde pas. » Je suis donc reparti chez les amateurs en 2017 et je suis devenu stagiaire à la FDJ au mois d’août de cette année-là.
Entretien intéressant. Il faut des bons coéquipiers aussi.
Binôme et non binôm.
Magnifique interview ! Comme ça fait du bien d’en savoir un peu plus sur ceux dont on ne parle jamais (ou presque !)…. Merci pour ce beau portrait d’un équipier modèle ! Quelle lucidité et quelle abnégation chez ce très bon coureur au parcours tortueux mais qui semble avoir désormais trouvé sa voie et avoir une haute conscience de sa mission… sans avoir pour autant perdu son envie d’en découdre et de… gagner ! Chapeau !
Une super interview ! merci à l’équipe de Chronique du vélo pour interroger des champions qui nous font voir une autre vision de ce milieu.
Concernant le fond, je suis toujours gêné par ces analogies avec le monde du travail ou de l’entreprise et le sport de haut niveau qui me semblent toujours fallacieuses et hors de propos.
J’avoue que je ne vois pas d’analogie hors de propos avec le monde du travail puisqu’il fait justement son travail. On peut parfois le regretter mais la plupart des coureurs sont là pour faire ce qu’on leur demande, que ça leur plaise ou non, puisqu’ils sont payés pour ça. Bien sûr, c’est un métier passion (je suppose) avec des spécificités mais il les fait vivre donc on ne peut pas considérer cela comme un simple loisir.
Effectivement, je ne vois pas où est le “problème”… Les coureurs cycliste professionnel font leur métier. Ils sont payés (avec des inégalités de salaire criantes !) pour ça : nous faire rêver et vibrer, certes, mais ils ont un patron et “travaillent” pour une entreprise/équipe à laquelle ils doivent des comptes, comme n’importe quel salarié !… A réécouter à ce sujet, ou presque, (si c’est possible ?!) les propos de Laurent Jalabert, il y a quelques minutes, au cours de ses commentaires sur l’Amstel (Waouh ! Quelle arrivée !!!) où, bien qu’il comprenne que tout le monde puisse traverser des périodes difficiles, il s’étonnait et trouvait anormal qu’un coureur comme Dumoulin continu à être (très très) bien payé toute l’année alors qu’il ne coure plus… Pour quel(lle) salararié(e) une telle situation serait-elle en efffet possible ?