Au cœur des années 2000, puis au début de la décennie suivante, les Français ont dû se satisfaire de rôles secondaires chaque été, sur les routes du Tour de France. Pinot, Bardet et Alaphilippe n’étaient pas encore là. Les fantômes d’Armstrong à peine dissipés, quand l’Américain lui-même n’était pas de retour. Ce qui n’a pas empêché certains de tirer leur épingle du jeu. Jamais dans la bagarre pour la victoire finale, mais pour des accessits ou des maillots distinctifs. La Chronique du Vélo a décidé d’aller à la rencontre de ces acteurs et de raconter leurs Tours. Aujourd’hui, c’est Sandy Casar qui nous raconte son Tour de France 2009, où il terminait 12e du général mais manquait par deux fois la victoire d’étape. Avant les déclassements d’Armstrong et Astarloza, qui ont changé beaucoup de choses au palmarès.

Tous les entretiens :
Cyril Dessel : « Aujourd’hui tu vas tout faire : maillot jaune, maillot à pois, victoire d’étape » (1/5)
Sandy Casar : « Madiot m’a dit ‘Mon salaud, tu m’as bien baisé !’ » (2/5)
Christophe Le Mével : « En réalité, je crois que j’ai fait bien mieux que 10e » (3/5)
Anthony Charteau : « Je n’étais pas loin derrière Contador et Schleck » (4/5)
2014 : Jean-Christophe Péraud

Comment avez-vous appréhendé le Tour 2009 ?

C’était une année un peu spéciale parce que je n’ai pas couru pour le général. Cela faisait quelques années que j’étais leader sur le Tour, mais depuis ma victoire en 2007 (victoire d’étape à Angoulême sur la 18e étape, ndlr), je voulais davantage viser les victoires d’étape. Si le général devait se faire, il se faisait, mais cela restait secondaire. L’arrivée de Christophe Le Mével m’a déchargé d’une partie de la pression puisqu’il a joué les premiers rôles. Moi, j’étais plus là pour l’aider et pour faire une ou deux étapes sur le Tour. La différence entre viser le classement général et viser une victoire d’étape est énorme : quand on est concentré sur le général, on ne peut jamais décompresser ou se relâcher parce que c’est à ce moment-là que l’on perd des secondes ou même des minutes pour un truc tout bête. On ne vit pas le même Tour. En fait, ça a été un Tour un peu moins stressant pour moi.

Vous étiez donc totalement concentré sur les étapes ?

Oui, c’est ça. Je voyais le général comme un bonus puisque c’était l’objectif de Christophe. Je ne m’en occupais pas du tout.

Comment préparez-vous le Tour cette année-là ?

J’étais, on va dire, plutôt un coureur à l’ancienne : j’avais besoin de courir pour me sentir en forme. On faisait des stages au mois de mai en altitude puisqu’on a besoin d’avoir ce coup de pédale, mais j’avais surtout besoin de courir énormément. C’est pour ça que je faisais soit le Dauphiné soit le Tour de Suisse. Après, ça se faisait tout seul. Le mental est important aussi. Dès que j’avais des sensations sur le Dauphiné ou sur le championnat de France, ça me donnait le moral pour la suite. Au niveau des courses, j’ai appris à aimer le Tour du Pays-Basque au fil des années parce que c’est une course qui se fait vraiment à la pédale. Je faisais souvent l’impasse sur Liège pour faire l’Amstel, la Flèche et le Tour de Romandie. Les courses d’une semaine étaient pour moi plus accessibles. Il y avait plus de haute montagne sur le Tour et j’avais quand même un point faible à partir de 1500 mètres d’altitude, je n’aimais pas trop les cols au-dessus de ce seuil.

Revenons sur votre saison 2009 : 13e de Paris-Nice, 12e du Tour du Pays-Basque, 19e du Tour de Romandie et 20e du Tour de Suisse. Physiquement, comment vous sentiez-vous ?

Dans mes souvenirs, j’étais mieux en 2008 et 2010. 2009 n’est pas une mauvaise année mais ce n’est pas la meilleure. Tous les ans, on a beau essayer de refaire le même programme ou apporter des petites améliorations, la forme ne vient pas comme on le veut. Il y a les aléas de la course qui font que, parfois, on a besoin d’un petit déclic comme une victoire ou une bonne sensation. Le physique est important mais je pense que le mental l’est encore plus. Ça fait plus de 50 % de nos performances. Dès qu’on a des résultats, on a souvent deux ou trois semaines d’euphorie derrière.

La première semaine est assez rythmée : un prologue, un contre-la-montre par équipe, Voeckler qui surprend le peloton sur l’étape de Perpignan ou encore l’étape accidentée de Barcelone. Quels sont vos souvenirs de la première semaine ?

« Souvent j’arrivais à voir, au bout d’une heure, une zone où l’échappée allait partir. Je me trompais de temps en temps mais pas tant que ça. Cette zone, pour moi, c’était la ligne d’arrivée. Je dis toujours aux jeunes qu’il vaut mieux être le plus mauvais de l’échappée que le meilleur dans le peloton. »

– Sandy Casar

Quand on n’est pas sprinteur, on se rappelle plus des chutes que des étapes sur la première semaine. Par contre, je me rappelle bien du contre-la-montre par équipe. C’est un exercice qui marque les esprits.

C’est un exercice que vous appréciez ?

Oui, j’appréciais ça. Ce n’est pas comme un contre-la-montre individuel où l’on peut gérer son effort comme on le veut mais ça ressemble à une échappée, avec une véritable cohésion de groupe. Ce n’est pas toujours simple parce que l’on est très proche mais c’est un exercice que je trouvais beau. Après, c’est dommage parce que dans l’équipe personne n’avait trop envie de se mettre au maximum donc je savais que sur ces étapes, je perdais deux bonnes minutes sur les autres.

Dans cette première semaine, il y a aussi l’étape qui arrive à Barcelone. Une étape accidentée avec une arrivée sur la colline de Montjuic. Vous perdez 50 secondes sur le peloton ce jour-là…

Il pleuvait, c’était une catastrophe… C’était très glissant, ça tombait dans tous les virages. C’était assez joli tant que l’on longeait la côte mais tout le final était super dangereux. Les routes étaient grandes et larges mais ça tombait parfois même en ligne droite. Comme je ne faisais pas le général, je me suis mis derrière dans le final. En première semaine, je préférais perdre du temps pour éviter les chutes. Je suis tombé à Valkenburg en 2006 (sur la 3e étape, ndlr). Le Tour s’était pour moi fini ce jour-là. Je ne m’en suis jamais remis.

Votre objectif de la première semaine était donc d’arriver en pleine possession de vos moyens en seconde semaine, c’est ça ?

C’est ça. En fait, c’était presque ça chaque année. Je savais que j’avais plutôt une bonne récupération. Souvent, j’entends dire qu’on s’améliore en troisième semaine mais c’est faux. C’est une question de récupération. Je l’avais compris avec Carlos Da Cruz (coureur à la Française des Jeux de 2002 à 2007, ndlr). Il n’était pas fan de l’entraînement et il fallait presque le pousser en première semaine, mais il était toujours bien en troisième semaine. Il y a toujours des opportunités pour les hommes les plus frais en troisième semaine. Ça ne veut pas dire que c’est plus facile de gagner, mais si on n’est pas trop fatigué et que l’on n’a pas connu de chutes, on a une possibilité de gagner une étape.

En 2007, à Angoulême, Sandy Casar remporte sa première étape sur le Tour de France – Photo DR

Jussi Veikkanen, votre coéquipier, a porté le maillot à pois plusieurs jours. C’est un maillot qui vous a déjà tenté ?

En 2010, j’avais l’intention de le faire (il termine 6e au classement de la montagne, son meilleur classement, ndlr). C’est Anthony Charteau qui le ramène à Paris cette année-là et je crois qu’il n’avait pas envie que ce soit un autre Français qui gagne. J’avais toujours quelqu’un sur le dos. Que ce soit lui ou quelqu’un de son équipe comme Thomas Voeckler. Donc j’ai vite laissé tomber. Il avait déjà de l’avance et je préférais me battre pour des victoires d’étape. J’y ai pensé à plusieurs reprises après mais, entre les victoires d’étape et les fois où j’étais dans le coup au classement général, c’était compliqué. Quand on est classé au général, il y a toujours le 10e, le 11e ou le 15e qui ne veulent pas que vous vous échappiez. Sur le Tour d’Italie 2006 (où il termine 6e du général, ndlr), j’avais aussi montré qu’il ne fallait pas me laisser revenir trop près. J’y étais allé juste pour préparer le Tour de France parce que j’avais eu quelques blessures en début d’année. Le premier jour, on arrivait à Namur, il flottait et je m’étais écarté. Ensuite, j’avais repris beaucoup de temps dans une échappée et là, on ne lâche plus. On était partis au pied d’une montée de trente bornes, j’étais dernier du peloton et il y en a qui ont attaqué. Ca m’avait énervé alors j’avais attaqué juste pour faire ralentir l’allure et au final, on est partis. Pour jouer le maillot à pois sur le Tour, en revanche, il aurait peut-être fallu que j’ai une heure de retard.

La 7e étape est la première en montagne avec une arrivée au sommet à Andorre-Arcalis. Vous n’y perdez que 38 secondes sur les favoris. Vous vous rassurez sur cette première arrivée au sommet ?

Ce jour-là, je n’étais pas trop mal. On n’avait quasiment pas roulé de l’étape, on avait juste fait la dernière montée sur une belle allure. Je crois même que seuls les derniers kilomètres de la montée avaient été rapides. Il faut savoir que là-bas, ce sont de grandes routes très larges donc, à la différence des cols des Alpes où le placement est très important au pied, on peut vite remonter même si l’on démarre l’ascension dernier du peloton.

Ça n’était donc pas vraiment un test pour vous ?

Non, je ne me rappelle pas m’être testé là-dessus. Après quand on arrive à suivre comme ça, on a le moral oui.

C’est sur la 8e étape (Andorre la Vieille-Saint Girons) que vous prenez votre première échappée sur le Tour de France. C’est un peu le profil d’étape sur lequel on s’attendait à vous voir devant : une étape de montagne/moyenne montagne sans arrivée au sommet. Vous cochiez ce type d’étape ?

« Je crois que Luis Leon Sanchez avait compris que j’arrivais à sentir où les échappées allaient partir. Parfois, il ne cherchait même pas à prendre les échappées et il se contentait de me pointer. A chaque fois que je levais les fesses, il levait les fesses. »

– Sandy Casar

Pour gagner une étape quand on n’est ni sprinteur, ni un grand grimpeur, ni le meilleur au contre-la-montre, il n’y a pas cinquante solutions à part les étapes de moyenne montagne sur lesquelles les échappées vont au bout. Sur les vingt jours d’un Tour de France, il n’y a que quelques étapes où les échappées se disputent la victoire. Je cochais ces étapes-là, il y en avait souvent quatre. Sur les quatre, toutes n’arrivaient pas au bout mais il fallait les prendre. Souvent j’arrivais à voir, au bout d’une heure, une zone où l’échappée allait partir. Je me trompais de temps en temps mais pas tant que ça. Cette zone, pour moi, c’était la ligne d’arrivée. Je dis toujours aux jeunes qu’il vaut mieux être le plus mauvais de l’échappée que le meilleur dans le peloton. C’est-à-dire qu’il vaut mieux être dans l’échappée en ayant déjà tout donné plutôt que d’être dans le peloton. Je me fixais vraiment une ligne d’arrivée et jusqu’à cet endroit, même si j’avais mal aux jambes, j’en remettais toujours plus jusqu’au moment où ça sortait. Tant que je n’étais pas sorti, je me disais que les autres avaient aussi mal aux jambes que moi et je continuais.

Comment vous récupériez après un tel effort et alors que vous étiez dans l’échappée ?

Quand on est dans l’échappée, on n’est pas tout le temps au maximum. Au contraire, il faut laisser faire les autres. C’est très dur pour sortir, après il faut insister pour prendre du temps. Ensuite, si l’échappée continue d’accélérer, le peloton accélère également donc il faut ralentir et tout le monde récupère à ce moment-là. Mais je me rappelle que sur certaines étapes, notamment en 2011 lorsque Hoogerland tombe dans les barbelées, derrière j’en remettais beaucoup trop et je terminais complètement naze. On va jusqu’au kilomètre, Thomas Voeckler et Luis Leon Sanchez avaient peur de moi au sprint mais je savais que ce n’était pas possible, je faisais semblant d’être bien.

A Saint Girons, vous finissez deuxième derrière Luis Leon Sanchez. C’est le début de votre histoire avec lui. Comment vous viviez cette rivalité entre vous ?

On avait le même profil mais il savait qu’il allait un peu plus vite que moi au sprint. C’est comme ça que je l’ai ressenti. Je crois qu’il avait compris que j’arrivais à sentir où les échappées allaient partir. Parfois, il ne cherchait même pas à prendre les échappées et il se contentait de me pointer. A chaque fois que je levais les fesses, il levait les fesses. Je me rappelle qu’une fois ça avait mis beaucoup de temps à sortir. En arrivant dans un village, je m’étais dit : « C’est tout ou rien, après c’est fini. » De toute façon, je n’en pouvais plus. Dans le village, ça faisait droite, gauche puis encore droite, gauche. Je suis entré d’une telle façon que soit je tombais soit je passais. A la sortie, on était échappés et Luis Leon Sanchez était dans ma roue.

Vous aviez une petite appréhension quand vous le voyiez avec vous dans l’échappée ?

Oui, c’est obligatoire. Mais je savais aussi qu’on irait au bout avec lui. Ce n’était pas un coureur qui faisait semblant. Il travaillait comme il avait à travailler, sans plus, mais c’était un très bon rouleur et avec lui on était quasiment sûr d’aller au bout.

A Saint-Girons, Luis Leon Sanchez bat Sandy Casar au sprint – Photo DR

Vous avez beaucoup gagné sur le Tour mais vous avez aussi fait souvent podium (six fois deuxième d’une étape). Avec le recul, comment vous l’expliquez ?

La première fois que je fais deuxième c’est derrière Guerini (Sur la 19e étape du Tour 2005, mais c’est en fait sa seconde deuxième place sur une étape du Tour, il avait également terminé deuxième quelques jours plus tôt lors de la 12e étape, ndlr). Je me suis retrouvé dans les barrières quand il a attaqué. J’ai lancé mon sprint de 500 mètres, je reviens dans sa roue mais c’était trop tard. Je fais plusieurs fois deuxième derrière Luis Leon Sanchez aussi. Une autre fois, c’était derrière Cédric Vasseur, à Marseille. Je n’aurais pas mis un seul centime sur moi le matin de cette étape. Je n’avais rien dans les jambes ce jour-là. Ça avait roulé pendant plus de 50 kilomètres et j’étais le dernier du peloton, juste devant la voiture rouge de Jean-François Pescheux, à attendre que ça s’arrête. Il n’y avait toujours pas d’échappée au bout de 50 kilomètres. A ce moment, je dis dans l’oreillette « les gars je suis désolé je ne vais pas chercher les bidons, je remonte. » Je remonte et au moment où on me donne un bidon, Jens Voigt attaque juste devant moi. Je le suis et on est partis. Dans le final, j’avais du mal à suivre les autres mais j’aurais dû gagner. Je savais qu’on était les plus rapides avec Vasseur donc je le surveillais. Il était bloqué entre la barrière et Jens Voigt et moi j’étais troisième. A un moment, Jens Voigt a ouvert la porte, volontairement ou non, je ne le saurais jamais, et Vasseur a pu passer. J’ai été surpris et c’est ce qu’il m’a manqué. Je suis deuxième au niveau de la ligne mais je le remonte juste après. Il n’a pas manqué grand-chose. Mon regret, c’est celle-ci, et celle derrière Guerini.

Au sortir de la journée de repos, il y a cette polémique sur les oreillettes. La 10e étape entre Limoges et Issoudun est neutralisée par les équipes pro-oreillettes alors que A.S.O. les avait interdites. Qu’est-ce que vous en pensiez ?

Je n’étais pas plus que ça en faveur de la grève mais c’était pour être solidaire du peloton. Pour moi, l’oreillette est un faux problème. L’oreillette sert à nous communiquer des informations liées aux dangers de la course. On parle peu de tactique en réalité. En plus, ça empêche certains véhicules d’être dans le peloton.

L’oreillette n’avantage-t-elle pas un coureur dont la lecture tactique est moins bonne ?

Non. Ça peut aider sur quelques petites choses mais c’est vraiment ridicule. Il faudrait tout le temps être derrière le coureur. Dans une échappée, le directeur sportif voit le coureur. Mais derrière le peloton, on ne peut pas tout voir. Je me rappelle d’un Liège-Bastogne-Liège où Marc Madiot nous disait « soyez devant au pied des ascensions, vous reculerez ensuite au fur et à mesure. » Au bout d’un moment, il nous parlait dans l’oreillette alors qu’on était à sa hauteur. Il n’avait pas vu qu’on avait tous reculés. Pour moi, la polémique, c’est le capteur de puissance. Dès fois, on a des mauvaises sensations, et ça m’est arrivé plus d’une fois, mais on regarde autour de nous et on est plus que vingt ou trente. D’autres fois, on se sent bien et dès que ça accélère, on se fait lâcher. Avec le capteur de puissance, on peut simplement le suivre pour donner le meilleur de soi à tout moment et ne jamais être dans le rouge. Aujourd’hui, le coureur n’a plus besoin de cette science de la course puisqu’il lui suffit de regarder son capteur. Le premier à avoir fait ça dans notre équipe, c’est Jérémy Roy. Il était échappé sur une étape avec Thor Hushovd et David Moncoutié, ce n’était pas un grand grimpeur, mais il ne s’est jamais mis dans le rouge et il a basculé avec eux. Je pense par exemple à un coureur comme Tom Dumoulin qui est plutôt un homme de contre-la-montre à la base. En montagne, on le voit se faire lâcher, il revient au train et ne se met jamais dans le rouge. Grâce au capteur de puissance, les coéquipiers des leaders restent plus longtemps avec les favoris également. Avant quand un leader attaquait, les coéquipiers sautaient dans la roue pour essayer d’empêcher l’attaque. Aujourd’hui, ils laissent partir les attaques mais reviennent au train.

« C’est quoi la victoire ? C’est le fait de monter sur le podium, de lever les bras. C’est toute l’euphorie du passage sur la ligne qui fait le plaisir de la victoire, pas le fait d’être marqué sur un bout de papier. Il me manquera toujours ça. »

– Sandy Casar

Vous pensez à l’exemple de la Sky/Ineos ?

C’est ça. Pourquoi on n’a pas d’attaque avant les cinq derniers kilomètres aujourd’hui ? Parce que tous les leaders ont deux ou trois coéquipiers. Ça change tout si les leaders n’ont plus de coéquipiers. Il y aura des attaques et certains devront se mettre dans le rouge.

Revenons au Tour 2009. La 14e étape, arrivant à Besançon, donne une autre tournure au Tour de France de votre équipe puisque Christophe Le Mével prend l’échappée. Il termine l’étape avec 5’20 d’avance sur le peloton et revient à la 5e place au général. Qu’est-ce que ça change pour vous ?

Le général devient un objectif pour l’équipe. J’avais moins de champ libre pour les échappées et un rôle de coéquipier. Le lendemain, je roule pour lui lors de la montée de Verbier.

Vous êtes de nouveau dans l’échappée sur la 16e étape dont l’arrivée est jugée à Bourg-Saint-Maurice. Vous terminez encore deuxième, derrière Astarloza cette fois. Quel souvenir avez-vous de cette étape ?

Je me fais lâcher et je ne reviens qu’à un kilomètre et demi de l’arrivée dans la descente. On avait fait la descente à bloc, c’est comme ça qu’on rentre. On s’était fait attaquer dans le dernier col (le Petit Saint-Bernard, ndlr) et j’avais du mal à respirer au-dessus de 1800 mètres. Astarloza est sorti juste avant la jonction. Il a attaqué et a pris quelques mètres d’avance. Derrière, ça se regarde un peu. Avec Pierrick Fédrigo, on y va tout de suite. A quelques mètres près, avec la lancée, on serait partis avec Astarloza mais il a anticipé. J’ai clairement vu qu’il avait regardé derrière. Il a vu qu’on rentrait et il a attaqué.

Quel est votre état d’esprit à l’arrivée de l’étape ?

Je suis dégoûté qu’il ait anticipé parce que sinon j’aurais gagné. Par rapport à d’autres places de deuxième, comme celle derrière Guerini, il y a tout de même une certaine satisfaction puisque je suis rentré, j’ai pris des risques dans la descente et il ne manque pas grand-chose. Après, on est sur le Tour. Il y a très peu d’opportunités et c’est une opportunité de plus de perdue.

A Bourg-Saint-Maurice, c’est Mikel Astarloza qui s’impose, devant Sandy Casar, en arrière plan – Photo DR

Mikel Astarloza sera déclassé pour dopage après le Tour. Aujourd’hui, est-ce que vous vous considérez comme le vainqueur de l’étape ?

Non, pas vraiment. C’est quoi la victoire ? C’est le fait de monter sur le podium, de lever les bras. C’est toute l’euphorie du passage sur la ligne qui fait le plaisir de la victoire, pas le fait d’être marqué sur un bout de papier. Il me manquera toujours ça.

Vous avez couru dans une période où les affaires de dopage gangrenaient le cyclisme, auriez-vous préféré courir aujourd’hui ?

Oui et non. Déjà, je ne changerais rien à ma carrière. On ne peut pas revenir en arrière et j’ai passé de supers années. Mais oui, j’aurais aimé courir aujourd’hui parce que mon palmarès ne serait pas le même. J’aurais eu plus de possibilités. Et non, parce que le monde du vélo est aujourd’hui trop professionnel à mon goût. Même si toutes ces histoires de dopage nous ont minées, j’ai réussi à faire des résultats. Dans cette période compliquée et en courant honnêtement, j’ai réussi à faire quelques résultats. C’est une belle satisfaction. Je trouve que le monde du vélo était plus familial avant, on y allait entre potes. On ne s’entendait pas avec tout le monde mais il y avait quelque chose d’humain. Aujourd’hui, ce que je reproche, outre les capteurs de puissance, c’est qu’il y a un leader par équipe et c’est le seul à avoir le droit de gagner.

Vous n’auriez pas eu envie de prendre part à l’aventure de la Groupama-FDJ autour de Thibaut Pinot ?

D’accord, ils peuvent gagner le Tour de France. Peut-être même qu’ils le gagneront à un moment. Pour moi, le vélo est une passion et un sport. J’étais content qu’on me donne de l’argent pour ça mais je l’aurais aussi fait en amateur. J’aurais adoré travailler pour un grand leader mais je pense que les coéquipiers ont besoin d’avoir un peu de reconnaissance. On est des compétiteurs, on a besoin d’aller gagner une étape ou de faire un petit résultat. On critique beaucoup la Quick-Step mais je suis très content que Julian Alaphilippe soit là-bas, parce que tout le monde a le droit de gagner. Le vélo, c’est aussi le partage. C’est un sport d’équipe. Prenons l’exemple de mon ancienne équipe, la Groupama-FDJ, aujourd’hui il n’y en a que deux qui ont le droit de gagner… Ça, je ne suis pas d’accord.

Le lendemain de cette deuxième place derrière Astarloza, donc, c’est une étape titanesque qui s’offre au peloton avec une arrivée au Grand Bornand et les ascensions du Cormet de Roselend, du col des Saisies, du col de Rome et de la Colombière. Vous retournez une nouvelle fois dans l’échappée.

Ces étapes-là, on ne sait pas trop comment cela va se passer. Je crois que je n’avais pas particulièrement coché cette étape et je me suis retrouvé devant un peu sans le faire exprès, après avoir pris des risques dans une descente.

« En 2007, Marc Madiot pensait que, parfois, je m’écartais parce que je n’en pouvais plus, mais je le faisais exprès pour pouvoir gagner une étape derrière (il rigole). »

– Sandy Casar

Le soir de cette étape, vous êtes 14e à 1’02 d’Astarloza, qui est à ce moment-là 10e. L’objectif est d’aller chercher un top 10 sur les derniers jours de course ?

Oui, on commence à y penser. Après, il y avait déjà Le Mével au général, donc on y pense mais pas à tout prix. En plus, je me suis pris une bordure sur l’étape du Ventoux et j’arrive au pied dans le deuxième groupe à une minute et demie du premier groupe. Je ne reviens sur eux qu’à trois-quatre kilomètres de l’arrivée.

Vous faîtes l’ascension du Ventoux à bloc alors ?

J’étais frustré de m’être fait lâcher dans une bordure mais, dans l’ascension, il fallait que je me batte pour faire une bonne place. Ce jour-là, il y avait tellement de monde dans le Ventoux que j’ai fait toute la montée derrière une moto d’un garde-républicain. Je crois que je n’ai jamais aussi bien monté le Ventoux. J’étais bien énervé aussi. Ce n’est qu’à partir du moment où les barrières étaient installées que je me suis aperçu qu’il y avait du vent.

Vous parliez du public présent dans le Ventoux. Le public vous aidait-il à vous surpasser ?

Oui, c’est obligatoire. On passe par tous les états sur le vélo : la fatigue, la dépression, le mal de jambes… Être poussé comme ça par le public, c’est un petit peu comme si on allait faire un footing. Quand une voiture arrive, on n’a pas envie de lui montrer qu’on marche à ce moment-là. Se faire pousser comme ça, ça m’aidait à entrer dans un état second. C’est un peu comme un taureau qui fonce dans la foule au tout dernier moment.

Est-ce que vous avez des images en tête de foule ou du public présent dans les cols ?

Lors de mon tout premier Tour en 2002. C’était la deuxième étape, on partait du Luxembourg et on passait en Allemagne. Ce n’était pas une étape de cols mais je n’ai jamais vu autant de monde. C’était à l’époque de Jan Ullrich. C’était une étape de plaine mais, pendant 200 kilomètres, on n’a pas eu un moment pour s’arrêter pisser. On s’arrêtait sous les ponts pour essayer de ne pas se faire voir. Sinon, je me rappelle d’un photographe qui m’avait pris en photo dans les lacets de l’Alpe d’Huez en 2004, lors du contre-la-montre. A ce moment, un garde-républicain est devant moi, Marc Madiot est trois mètres derrière et on est au milieu de la foule. Ce sont des bons souvenirs.

Ça vous manque, ce contact avec le public ?

Oui, tout à fait. C’est obligé. Le Tour c’est ça. Je ne suis pas le seul mais si beaucoup d’anciens coureurs reviennent d’une façon ou d’une autre sur le Tour, c’est pour revivre ça.

A Paris, Le Mevel est 10e. De votre côté, vous finissez 12e du général (ils sont finalement 9e et 10e après les déclassements de Armstrong et Astarloza). Tous les deux, vous n’avez jamais fait mieux. Vous vous êtes servis l’un de l’autre pour vous surpasser sur les derniers jours ?

Tout à fait. Habituellement, la pression était sur mes épaules puisque j’étais tout seul pour le général. Là, on était deux. Je n’avais plus la pression que j’avais depuis 2002. Depuis 2006 et le Giro, je ne voulais plus trop faire le général. En 2007, Marc Madiot pensait que, parfois, je m’écartais parce que je n’en pouvais plus, mais je le faisais exprès pour pouvoir gagner une étape derrière (il rigole). Je le lui ai dit plus tard. On sait comment il parle. Il m’a dit « mon salaud, tu m’as bien baisé ! »

Vous êtes satisfait de votre Tour en arrivant à Paris ?

Je suis satisfait parce que j’ai été présent et j’ai fait des échappées, mais il me manque quelque chose. J’échangerais bien toutes les places de deuxième contre une victoire d’étape.

Quel souvenir global gardez-vous de votre Tour 2009 ?

C’est une bonne année, c’est un bon Tour mais ce n’est pas l’année dont je me rappelle le plus. Il y a cette 10e place au général mais il n’y a pas de victoire. Je n’ai pas vraiment gagné à Bourg-Saint-Maurice, c’est bizarre.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.