Julian Alaphilippe, Wout Van Aert et Mathieu Van der Poel, les trois épouvantails du peloton depuis plusieurs mois, étaient voués à se jouer la gagne sur Milan-Sanremo. Mais trop surveillés, pas toujours parfaits sur le plan tactique, ils ont été battus. Ce pourrait ne pas être la dernière fois qu’ils passent à côté d’un monument qu’on leur promet.

Sans pression

Ces trois-là paraissent en permanence insatiables, toujours en quête de victoires et souvent imprévisibles dans leurs attaques. Sur Milan-Sanremo, une épreuve déjà remportée par Alaphilippe et Van Aert, et qui correspond parfaitement aux qualités de Van der Poel, le trio semblait donc imbattable. Mais Jasper Stuyven est un homme qui aime se confronter à l’impossible. Il devait être de ceux qui défiaient la ligue Pokémon avec un Magicarpe dans sa jeunesse, avant de se poser en bourreau du trio le plus prolifique du peloton sur la via Roma. Il y a quatre ans, dans un entretien qu’il nous avait accordé, le Belge apparaissait serein et taquin sur les bords. « Ce sont vous, les médias, qui essayez de me mettre la pression », soulignait-il face aux attentes suscitées par ses résultats. Il disait aussi croire en ses chances de victoire sur un monument, un jour, sans préciser davantage où il s’imaginait lever les bras. Il fait désormais partie du club.

Si on avait dû parier, pourtant, on aurait plutôt coché son nom pour le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, là où les pavés lui offrent toujours un terrain à sa convenance. C’est sur le vélodrome roubaisien, d’ailleurs, qu’il avait jusqu’ici décroché ses meilleurs résultats sur un monument (4e en 2017, 5e en 2018). Mais Stuyven est davantage un homme d’opportunités que l’homme d’une seule course. Il l’a illustré dans les trois derniers kilomètres de ce Milan-Sanremo. Le rythme imposé par l’équipe Ineos, dans la montée du Poggio, n’a pas été suffisant pour le décrocher, pas plus que les accélérations d’Alaphilippe et Van Aert, plus tard dans l’ascension. Le Belge a suivi, parfois en lâchant quelques longueurs, mais toujours dans le coup, sur le porte-bagage de cadors un peu trop timides, effrayants pour le reste du peloton mais méfiants les uns envers les autres.

Un festin à partager

Stuyven était fort, mais il n’était pas le seul. Sa victoire est avant tout tactique, grâce une attaque bien sentie, trois kilomètres avant la ligne d’arrivée. Tout le monde savait que lui laisser 100 mètres serait dangereux. Mais tout le monde – à l’exception de Sören Kragh Andersen – a laissé faire. Mathieu Van der Poel, jamais vraiment dans les premières positions dans le final, n’a pas réagi et n’a pas souhaité se mettre à la planche. Wout Van Aert non plus, et après l’arrivée, où il a pris la troisième place, il a regretté son erreur. Julian Alaphilippe, lui, a tenté d’attaquer juste avant Stuyven, mais s’est retrouvé bloqué sur la gauche de la route. Cinq secondes plus tard, il n’était que spectateur de l’offensive du coureur de Trek. Trop forts, peut-être, les trois favoris annoncés n’ont pas su comment courir dans ce final. Incapables de s’isoler puis de faire les bons choix tactiques.

Les trois s’en remettront. Ils comptent déjà tous un monument à leur palmarès, des titres de champions du monde sur route ou en cyclo-cross, et surtout, les grandes courses pavées qui arrivent sont autant de chances de reprendre leur marche en avant. Mais cette défaite, si tant est qu’on peut parler en ces termes, est symbolique. Le trio est au-dessus des autres physiquement, mais peut se trouer tactiquement. Leur rivalité naissante peut aussi les desservir s’ils prennent un peu trop l’habitude de s’observer. Jasper Stuyven en a profité ce samedi. Ce pourrait être un autre sur le Tour des Flandres ou lors de Liège-Bastogne-Liège. Jusque-là, Alaf, Van Aert et VDP agissaient comme des gloutons affamés qui remportaient tout sur leur passage. Désormais, ils se rendent compte que le festin doit se partager et que leur gourmandise les dirige vers la même tarte à la crème.

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