L’an dernier, nous titrions que Dan Martin n’en revenait pas d’avoir pu gagner le Tour de Lombardie. Force est de constater qu’en 2015, la donne fut radicalement différente, et le scénario bien plus plaisant aux yeux des spectateurs. Piqué au vif après avoir été bêtement exclu de la Vuelta, Vincenzo Nibali aurait très bien pu arrêter sa saison sur un coup de tête. Mais non, bien au contraire, le Sicilien s’est remis en selle et n’a quasiment rien laissé sur son passage dans sa préparation au dernier Monument de l’année. Thibaut Pinot et Dani Moreno, pourtant excellents, n’ont pu déjouer ses plans.

RCS a enfin (re)trouvé le parcours idéal

Cela faisait depuis 2011 que les organisateurs transalpins de la société RCS Sport cherchaient à donner du piment à leur bijou. D’abord en introduisant la Villa Vergano trois années de suite, puis en inversant les villes de départ et d’arrivée l’an passé. Mais avec des courses de côte peu enthousiasmantes, et une formule novatrice totalement loupée, l’essai n’était pas concluant, et le choix annoncé durant l’été de revenir au tracé des éditions de la dernière décennie avait été salué. Les nouveaux venus, ainsi que les passionnés confirmés, auront partagé le même sentiment aujourd’hui, en voyant les meilleurs grimpeurs s’attaquer mutuellement dans les célèbres difficultés lombardes. La mythique Madonna del Ghisallo s’est donc enchaînée sans transition avec la Colma di Sormano, et son fameux mur remis au goût du jour il y a trois ans, avant de plonger rapidement sur les assassines montées du Civiglio et du San Fermo della Battaglia. La volonté générale de durcir les parcours fut donc respectée avec le maintien de portions spectaculaires, sans bafouer les traditions. Toute course de mouvement s’inscrivait donc dans un cheminement historique naturel, au cœur d’une topographie ayant vu s’illustrer Bartoli, Bettini, Cunego et Gilbert à des époques différentes.

Un régal pour un attaquant de la trempe de Vincenzo Nibali, d’habitude malheureux sur les Monuments de la saison. Parti trop tôt ici-même en 2011, il avait également lâché prise de manière frustrante dans la dernière difficulté de Liège-Bastogne-Liège en 2012, quelques mois après s’être fait avoir par Gerrans dans le final de Milan-Sanremo. Beaucoup de désillusions sur des classiques lui permettant pourtant d’exprimer pleinement son comportement sur le vélo, alors qu’à côté de ça, les grands tours lui sont eux intégralement propriété. Paradoxe du jour, tous ses adversaires l’attendaient de manière unanime porter un démarrage dans le Civiglio, anticipant alors les débats dans l’avant-dernière ascension. Mais avaient-ils les armes pour résister à un Nibali tout sourire depuis le milieu du mois de septembre, lancé dans sa dynamique victorieuse ? Sur les petites courses de la Coppa Italiana, il avait régi à sa façon leur format, remportant aisément la Coppa Bernocchi, les Tre Vailli Varesine, avant de laisser la victoire à son compatriote et coéquipier Diego Rosa au sommet de la colline turinoise de Superga. Un homme au grand cœur, souvent prêt à tout perdre pour n’avoir aucun regret, ayant bénéficié d’un phénomène de réciprocité au sein de sa formation Astana. Même en ayant contraint Fabio Aru a parader au Kazakhstan pour les impératifs de Vino au Tour d’Almaty, l’équipe aux maillots bleu ciel était au-dessus de la mêlée, avec en lieutenants de luxe Michele Scarponi, Mikel Landa, et enfin Diego Rosa, explosant enfin sur la scène internationale.

La gloire retrouvée

Aurait-ce été tabou de se questionner plus profondément sur l’acceptation rapide de Vincenzo Nibali du sort qui lui fut infligé par Javier Guillen au soir de la deuxième étape de la Vuelta ? Une épine dans le pied d’Astana ? Que nenni, puisque Fabio Aru eut la possibilité d’imposer ses vues. Le signe d’une saison ratée après avoir été l’ombre de lui-même en première moitié de Tour de France ? Encore une fois, la réponse s’avère négative. Gagner un Tour de Lombardie apporte quoi qu’il arrive à votre saison un motif de satisfaction. Et même plus encore pour tout coureur italien. Les deux Monuments cyclistes prenant part dans la botte sont très différents, et si Nibali s’était déjà aventuré dans la quête de la Primavera du temps de la Liquigas, le Tour de Lombardie l’a toujours fait rêver comme la Doyenne peut faire fantasmer dans les écoles de cyclisme wallonnes. Alors, pour remporter la classique des feuilles mortes, il fallait être frais, et revanchard. Un avantage qui lui a justement été conféré par une exclusion rapidement raillée sur les réseaux sociaux, généralement peu enclins aux mots doux. Le Requin de Messine n’avait alors plus terminé la moindre course par étapes depuis la Grande Boucle, et avait pu mettre le paquet pour finir en beauté une saison des plus contrastées.

Autre élément important de la journée, la pluie qui s’est abattue sur le peloton au départ de Bergame, forçant inévitablement l’usure des organismes avant même les principales difficultés. Pour Nibali, nostalgique des raids chevaleresques, le terrain était même très bien préparé par l’offensive conjuguée de Tim Wellens, spécialiste en la matière, et du désormais ex-champion du monde Michal Kwiatkowski. Très agile, le duo a fait dans un premier temps le show, alors que les hommes de main d’Astana avaient sérieusement écrémé le peloton. Ils étaient à peine vingt à revenir sur le Belge et le Polonais au pied du Civiglio, qui a éparpillé tout le monde. Loin des pelotons entiers approchant du Mur de Huy ou de la côte de Saint-Nicolas. En ayant piégé les attentistes Costa et Gilbert, les audacieux étaient sûrs de gagner, ce qui a quelque peu décomplexé Esteban Chaves, Dani Moreno et favorisé la course de Thibaut Pinot, très en verve aujourd’hui. Mais quand un fuoriclasse place une, deux, trois, puis quatre attaques, et s’envole dans les épingles d’une descente effleurant les reliefs naturels, que pouvaient-ils bien faire ? Monter sur le podium, au bord du lac de Côme et aux côtés de Nibali, est déjà remarquable. Parce que l’Italien était de toute façon irrésistible, et que sa victoire sonne comme une sublime conclusion de la saison. On a déjà hâte d’être à 2016.

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