Mais qui est le coureur de l’équipe Garmin-Sharp, en queue de peloton à la flamme rouge ? Slagter ou Martin ? 500 mètres plus loin, nous avions la réponse. Portant un démarrage pourtant peu impressionnant, l’Irlandais cueille son deuxième monument sans adversité digne de ce nom au terme d’un final ubuesque, symbole d’une course escamotée de bout en bout. Est-ce la victoire du plus fort du jour ? Du plus malin tactiquement ? Probablement celle du plus intelligent.

La faute aux coureurs

Les changements de tracés, pour des raisons diverses, mériteraient bien un débat à part entière, mais, paradoxalement, le problème du jour ne repose pas sur cette refondation d’une classique historique. Malgré un espoir d’alternative à la course de côte cinglante dans la Villa Vergano, RCS Sport croyait bien faire en allégeant les difficultés intermédiaires avant d’introduire un final semblable à celui des Strade Bianche dans les ruelles bergamasques. Bilan, une nouvelle course de côte sur les vieux pavés, mais n’aboutissant pas au détachement d’un puncheur hors-pair comme Joaquim Rodriguez, loupant l’occasion de rejoindre Binda et Coppi parmi les rares capables de remporter trois fois consécutivement la « Classique des Feuilles Mortes ». En ce dimanche, ce sont avant tout nos illusions qui sont passées outre-tombe, au fur et à mesure que les kilomètres défilaient. Car au final, que les grands favoris des courses d’un jour ne se dévoilent pas avant les ultimes pentes, on s’y était fait, à contre-coeur pour certains. Mais de là à assister au dernier kilomètre le plus incompréhensible de l’histoire récente des classiques, il y avait plus qu’un pas à franchir.

Les Mondiaux de Ponferrada avaient été la parfaite illustration d’un syndrôme régulier, frappant le groupe parti à la poursuite d’un homme seul, et intercalé entre ce dernier et le peloton, d’un attentisme criant, inexpliquable et dérisoire. Au moment où un courageux tente de décrocher une grande victoire, la petite dizaine de coureurs dont on suppose un intérêt aussi grand pour la première place, serait alors totalement déconnectée des enjeux immédiats, et se livrerait au jeu insupportable du chat et de la souris, au lieu de mobiliser ses forces pour viser plus haut ? Un scénario déjà observé dans le final des trois derniers Mondiaux, de l’Amstel Gold Race, de la Clasica San Sebastian, mais également sur quelques étapes de grands tours, pour souligner un peu mieux la banalisation de ce comportement. Toutefois, c’était jusque là dans la dernière descente ou dans le replat fatal que cette impression de fixation se produisait, pas dans les tout derniers mètres, après avoir passé la flamme rouge. Malgré tous les tords qui lui seront imputables, ce Tour de Lombardie new look ne peut être la cause de cet invraisemblable dénouement vécu. Comment un coureur accrochant in extremis le bon wagon peut remonter le paquet, s’envoler sans provoquer l’once d’un sursaut dans la tête des concurrents encore en lice, pour la plupart expérimentés ? Le vainqueur de Liège-Bastogne-Liège, s’est bien tâté de lever les bras avant de se rendre à l’évidence. Il venait d’échapper à un enterrement de première classe.

Valverde, le sans-ambition

En analysant méticuleusement ce dernier kilomètre, l’attaque de Dan Martin n’avait rien d’une surprise, puisque le septième du dernier Tour d’Espagne était loin d’être le plus rapide en cas de sprint en petit comité, face à des spécialistes comme Valverde, Gilbert ou Albasini. Ce qui est plus frappant, c’est bel et bien la réaction instantanée de ces derniers. On aperçoit alors le coureur de Movistar immédiatement se retourner derrière lui, pour regarder on ne sait qui. Joaquim Rodriguez reste caché, Fabio Aru, lui, estime avoir fait sa part du boulot, tandis que les BMC en surnombre, eux, se tirent une balle dans le pied. Voici comment on pourrait résumer l’imbroglio dominical devenu chronique, à savoir le récurrent à toi, à moi, et… à personne. Pendant que Martin s’en va ajouter une deuxième classique de taille à son palmarès d’homme d’un jour, les autres n’étaient pas en mesure d’aggraver le montage grandeur nature d’une vidéo destinée à n’être jamais montrée dans les clubs amateurs. Pourquoi ne pas contrer instantanément ? Par peur d’être soi-même dépassé ? On connaissait la peur de perdre, mais voilà que les leaders ont désormais la tremblotte au moment de concrétiser. Et pour illustrer la thèse, rien de mieux que le fameux exemple Valverde, qui fait, a fait, et fera encore couler beaucoup d’encre. Maintes fois auparavant, les observateurs soulignaient son manque d’initiative, son attentisme inégalable post-suspension, conduisant à sa collection démesurée de breloques tout sauf d’or. Beaucoup pensaient que sa quatrième place finale à Paris cet été allait le piquer au vif, et on a presque cru à son changement de comportement après son succès à San Sebastian.

Sauf qu’il préférait alors avancer qu’on attendait beaucoup trop de lui. Mais au vu des qualités du bonhomme, vainqueur de deux Liège-Bastogne-Liège et d’une Vuelta, ce n’est que la moindre des choses que d’attendre des grands succès. Le Murcian, surnommé El Imbatido durant sa jeunesse, enchaînant à haut niveau les Ardennaises, le Tour de France, la Vuelta et les classiques de fin de saison, gâche clairement ses horizons de fin de carrière, où les fenêtres restaient encore grandes ouvertes. Au lieu de ça, Valverde se contente des places d’honneur ? Insaisissable, il récidiva encore ce dimanche, expliquant qu’il avait fait au mieux : « Je ne pouvais pas suivre tout le monde, et nous nous sommes regardés. Je reste quand même satisfait, car cette deuxième place me permet de satisfaire les objectifs de l’équipe, et le mien concernant la place de numéro un mondial au classement UCI World Tour. Je dédicace ce résultat à ma fille Natalia. » A deux mots près, les propos sont identiques à ceux tenus il y a une semaine après son sixième podium mondial, un bien triste record. Enfin, quid d’un leadership à l’UCI World Tour si insignifiant ? Si la critique est dure mais justifiée envers l’un des meilleurs puncheurs du peloton, elle est tout à fait valable pour ses semblables, n’ayant pas assumé une seule seconde le poids de la course. Les voici couverts de déshonneur… Car au terme d’une farce à la sauce lombarde de bien mauvais goût, il y avait bel et bien le cerveau Martin, et la bêtise groupée, suscitant la révolte de bien des nostalgiques de l’âge d’or des classiques.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.