Ce jeudi, lors de la sixième étape du Tour de France 2019, les coureurs emprunteront les routes du Ballon d’Alsace, proposé au beau milieu de ce parcours escarpé entre Mulhouse et la Planche des Belles Filles. L’occasion de revenir 114 ans en arrière, au temps des pionniers, quand le Tour s’aventurait pour la toute première fois en montagne, en 1905.

Une montée vers l’inconnu

L’histoire du Tour a consacré le col du Tourmalet comme le premier grand sommet franchi, en 1910. Avec l’invraisemblable aventure d’Adolphe Steines, éclaireur zélé sous les neiges pyrénéennes, parti en reconnaissance quelques mois plus tôt, et les mots forts d’Octave Lapize envers les organisateurs, qualifiés « d’assassins » au terme de cette étape dantesque entre Luchon et Bayonne. Mais de premier col de l’histoire de la Grande Boucle, le Tourmalet n’a pas l’honneur. Il faut pour cela remonter un millier de kilomètres au nord-est, et cinq ans en arrière, pour trouver la trace des premiers forçats de la pente. 1905, année du premier col franchi pour les coureurs du Tour, du côté des Vosges, avec ce nom qui revient fréquemment dans les discussions cyclistes de toutes époques : le Ballon d’Alsace. Entre les Vosges et le Territoire de Belfort, c’est une route serpentant jusqu’à 1173 mètres d’altitude, datant de l’époque Louis XV, qui va se dresser sous les roues de ces pionniers du Tour. Nous sommes alors dans la deuxième étape, qui va de Nancy à Besançon.

De Tour 1905, il s’en est fallu de peu pour qu’il n’y en ait point. L’année précédente, deuxième édition de la Grande Boucle, fut chaotique. Déclassements, actes avérés de tricherie, incidents lors des arrivées d’étape… le bilan négatif est lourd. Et les suspensions pour l’édition 1905 pleuvent : Maurice Garin, premier vainqueur deux ans plus tôt, est privé de course deux ans. Suspension à vie pour Lucien Pothier (ramenée à trois ans ultérieurement), avertissement pour Aucouturier. Tout le monde est prévenu, la sévérité sera de mise. Même si Desgrange fera preuve de compassion à l’arrivée de la première étape entre Paris et Nancy, en reclassant les nombreux hors délais, même ceux, exténués, arrivés par le train en Lorraine. Le 11 juillet 1905, c’est donc une date historique pour le Tour de France : un premier col sera franchi, sur la route de Besançon. Passé la commune de Saint-Maurice-sur-Moselle, ce sont 9 kilomètres à près de 7% de moyenne qui attendent les coureurs.

Le roi « Pottier 1er »

Voici les hommes de tête au pied du col. Henri Desgrange, en chef d’orchestre omniprésent, est bien évidemment aux premières loges. Celui-ci voit les principaux favoris changer de monture, délaissant leurs vélos de plaine pour enfourcher des modèles équipés d’un développement plus adapté. Reste donc à se hisser au sommet, pas une mince affaire compte tenu des conditions de roulage, incomparables avec celles de l’ère moderne. Mais ces forçats ne se posent pas de question. A près de 20 kilomètres/heure, les voici à l’ouvrage. Henri Cornet se permettant même de fausse compagnie à ses compagnons de galère. Louis Trousselier et Emile Georget, incapables de suivre, baissent pavillon, tout comme Aucouturier un peu plus loin. Seul suit René Pottier, qui rend coup pour coup au jeune Henri Cornet.

Et de nos jours, au sommet du Ballon d’Alsace, face au Bar des Démineurs, se dresse une petite stèle à la gloire d’un pionnier : René Pottier, qui restera à jamais l’homme qui a franchi en tête le premier col de l’histoire du Tour de France. Au paroxysme de l’effort, plié en deux sur sa machine, il devance Aucouturier, Trousselier et Cornet, en difficulté après son numéro du début de col. Malheureusement pour lui, le voici qui doit attendre vingt minutes au sommet avant de pouvoir changer de vélo, son mécanicien étant tombé en panne. C’en est fini de ses espoirs de victoire. Devant, ses adversaires n’en ont cure : il leur reste 83 kilomètres à parcourir et ce n’est pas le moment de musarder. Pottier, « le roi de la Montagne », est dépassé par Aucouturier qui file vers Besançon décrocher une magnifique victoire. René Pottier prend lui le maillot jaune, malgré tout, mais il abandonnera le jour suivant, entre Besançon et Grenoble. Pour son premier contact avec les altitudes, le Tour de France sort grandi. Depuis ce jour-là, la face du cyclisme ne sera plus jamais la même. Il n’est plus possible de résister à l’appel des cimes.

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