Loin du golfe Persique, où s’est formée l’équipe Bahrain-Merida, une autre équipe bâtie cet hiver débarque dans le peloton avec une grande soif de réussite. Que ce soit sur le plan sportif ou financier, les Irlandais d’Aqua Blue Sport tentent une nouvelle approche pour bousculer les codes du peloton. Le manager Stephen Moore et le coureur protégé Larry Warbasse nous en disent un peu plus. Avec enthousiasme et ambition.

Un propriétaire discret et des leaders confirmés

« Au départ, nous étions une équipe amateur de Cork. Puis il y a eu un effet boule de neige… » Tout est allé très vite pour Stephen Moore, manager général d’Aqua Blue Sport. Et il ne compte pas s’arrêter là. Nouvelle venue dans le peloton, la formation du pays celte se targue d’être la première équipe irlandaise à évoluer en Continental Pro, le deuxième échelon mondial. Une étape seulement, car « ABS » aspire déjà à côtoyer le World Tour et à briller sur le Tour de France d’ici quatre ans. A la tête de ce projet, un homme d’affaires irlandais de 48 ans : Rick Delaney. On sait qu’il a fait fortune dans la distribution d’alcools, mais c’est à peu près tout, justement. Difficile d’en savoir plus au sujet de Rick Delaney. Le propriétaire s’étend davantage sur sa passion pour le vélo qu’il pratique régulièrement sur la Côte d’Azur que sur les moyens mis en œuvre pour financer Aqua Blue Sport.

Reste que le natif de Cork n’a pas fait les choses à moitié avec un recrutement à la hauteur de ses ambitions. L’équipe irlandaise a réussi à piocher au sein du World Tour, notamment chez IAM et Tinkoff, qui mettaient la clé sous la porte à l’intersaison. Elle a même racheté le bus de la formation russe. En tout, sept recrues d’Aqua Blue Sport (sur seize) roulaient en 2016 dans l’élite. « Au sein de notre effectif, nous avons déjà beaucoup d’expérience du World Tour », se réjouit Stephen Moore. Symbole de cette philosophie, les deux leaders que sont Adam Blythe et Lars Petter Nordhaug ont connu ces dernières années de grosses écuries, dont respectivement Tinkoff et Sky.

En quête de viabilité économique

Dès sa première année, Aqua Blue Sport espère donc se faire une place de choix au sein du peloton. Depuis plusieurs mois, l’équipe irlandaise multiplie ainsi les prises de contact auprès des organisateurs, en quête d’invitations pour les épreuves World Tour. « En tant que nouvelle équipe, nous devons faire nos preuves, mais il est difficile d’obtenir des invitations », reconnaît Stephen Moore. Milan San-Remo a déjà éconduit la jeune formation, qui garde l’espoir d’être au départ de l’Amstel Gold Race, de Paris-Roubaix ou du Tour de Suisse. Mais pour le moment, la seule wild card accordée vient de la Cadel Evans Great Ocean Road Race, disputée ce week-end en Australie. Une épreuve secondaire malgré sa nouvelle classification, où Aqua Blue n’a pas vraiment brillé (aucun coureur dans le top 20). Heureusement, ce n’est que le début. La formation au trèfle doré voit plus loin.

Optimiste, l’équipe irlandaise pense avoir trouvé la solution pour perdurer au plus haut niveau. Elle a développé une plate-forme de e-commerce consacrée au cyclisme sur le modèle d’Amazon. L’objectif est simple : que le site puisse générer un chiffre d’affaires assez important pour entretenir l’équipe et lui permettre de ne plus être dépendante d’un sponsor ou d’un propriétaire. « Nous ne voulons pas réinventer le vélo, mais nous souhaitions mettre en commun les compétences que l’on avait pu acquérir dans d’autres sports ou dans les affaires au profit d’une équipe cycliste », raconte Stephen Moore, qui a déjà travaillé dans le commerce d’articles de sport et dans le marketing. Un discours qui a séduit l’ancien coureur de IAM, Larry Warbasse, marqué par la fin brutale de la formation suisse : « Ce n’est pas facile de vivre la fin d’une équipe parce que tu vois tous tes amis se battre pour retrouver du travail. Aqua Blue Sport essaye de créer une équipe cycliste viable et c’est super car cela n’a jamais vraiment existé dans ce sport. » En attendant que le site prenne de l’ampleur, tous les coureurs se sont vus garantir un contrat pour deux saisons. Un luxe à ce niveau là.

Un Sky à l’irlandaise ?

Autre initiative à long-terme, la volonté de développer le cyclisme irlandais. Pour le moment, seuls trois coureurs sur seize sont originaires du pays, mais Aqua Blue Sport veut faire évoluer ce ratio. Première mesure en ce sens, 5 % des gains en course seront reversés à The Emerald Fund, un fond de soutien qui accompagne de jeunes amateurs irlandais souhaitant percer chez les pros. « Nous voulons aussi lancer une académie pour valoriser les coureurs talentueux, ajoute Stephen Moore. J’espère que nous pourrons montrer la voie car nous avons un beau vivier national en ce moment. » Le manager général veut susciter une émulation autour du cyclisme dans le pays de Sean Kelly et Stephen Roche. Une ambition qui rappelle celle affichée il y a désormais sept ans par le Team Sky en Grande-Bretagne. Mais le manager général réfute la comparaison : « Je ne dirais pas qu’on est le Sky irlandais. On a simplement de grandes ambitions et on vise le très haut niveau. J’espère bien que le cyclisme en Irlande grandira avec nous. »

Pour le moment, Aqua Blue Sport ne s’interdit rien. Interrogé sur la possibilité de recruter une star nationale du calibre de Nicolas Roche, Dan Martin ou Sam Bennett l’année prochaine, Stephen Moore admet que c’est une hypothèse « concevable ». Gagner plusieurs étapes sur le Tour de France ? Même réponse. Dès cette saison, plusieurs objectifs d’envergure ont été couchés sur papier. « Mais il est trop tôt dans l’année pour pouvoir les dévoiler », nous assure le patron. Tout est à construire. Avec l’inconnue que cela comporte. « Il y a toujours un risque, relativise Larry Warbasse. Mais il peut aussi y avoir une grosse récompense à la clé. Vous devez bien commencer quelque part, c’est ça qui est passionnant. » Les Irlandais savent qu’ils ont tout à prouver pour ne pas garnir la liste des projets aux yeux plus gros que le ventre.

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