Fabio Aru a pris le jaune hier à Peyragudes. Un événement, tant la domination de Chris Froome sur le Tour semblait ne jamais devoir se terminer. L’Italien a démontré qu’il avait l’étoffe d’un potentiel vainqueur en déclenchant l’attaque, certes très tardive, qui mit Froome à distance. Ménageant intelligemment offensives et discrétion, le Sarde connaît l’art de la guerre. Formé à être le Prince.

Désormais favori

Fabio Aru a l’habitude d’être en tête. L’Italien a déjà porté puis gardé le maillot rouge sur la Vuelta et s’est également vêtu de rose pour une journée sur le Giro. Il ne lui manquait que le jaune pour compléter une collection, qui, à 27 ans tout juste, est déjà exceptionnelle. « Je suis heureux mais je suis le même que ce matin », relativisait-il à l’arrivée. Pas vraiment le même, non. Le Sarde a changé d’univers, il est passé d’un statut d’outsider à celui de favori numéro un. Alexandre Vinokourov, son manager, ne le cachait pas à Peyragurdes, Astana y croit : « On a vu que Froome était battable. L’équipe Sky est très forte mais le capitaine a lâché prise ce soir. D’habitude il gagne toujours les premières étapes des Pyrénées. Aujourd’hui la Sky a fait le travail mais Froome n’est plus aussi fort. Sa performance aujourd’hui le prouve. Il a dû prendre un coup derrière la tête et son équipe aussi. ». Froome, dont Aru a subtilisé l’habituel costume jaune, ne pouvait que s’avouer vaincu à travers la voix de son directeur sportif Nicolas Portal : « Aru est très fort. La bagarre va être compliquée. » Le garçon a instillé ce doute dès la semaine passée en haut de la Planche des Belles Filles. Faire de grandes entreprises, donner par ses actions de rares exemples, c’est ce qui illustre le plus un prince, disait Machiavel. Aru applique le précepte à la lettre.

Aru est très fort. La bagarre va être compliquée.

Nicolas Portal

Ce maillot qu’aucun italien n’avait porté depuis Vincenzo Nibali en 2014, Fabio Aru le voulait : « Je crois toujours que les meilleures choses sont possibles. Dans une arrivée aussi difficile, je pensais vraiment pouvoir tirer mon épingle du jeu. » Mais il ne s’attendait peut-être pas à ce que son adversaire britannique craque dans la montée vers Peyragudes. « Le rythme des Sky était si élevé qu’on n’a pas vu Froome dans le dur. Je ne pouvais pas voir son état, expliquait-il. Juste après l’arrivée, j’ai regardé derrière moi et j’ai vu que Chris était un peu plus loin. Après quelques calculs, j’ai pensé que j’allais être maillot jaune. Quand il s’est avéré que c’était le cas, une terrible émotion m’a traversée. » Déjà expérimenté dans la gestion d’une place de leader, le Sarde avait de quoi sourire hier. L’affaire est bien engagée. Reste désormais à conserver sa tunique.

En infériorité numérique

Pour cela, l’Italien devra compter sur une équipe Astana à son meilleur niveau. D’ailleurs, à l’arrivée, Fabio Aru essayait de remotiver ses troupes ensanglantées. « Malgré les chutes, mes coéquipiers vont se plier en quatre pour moi. C’est à eux que je dédie ce maillot. Jakob Fulgsang a tout fait pour rester avec moi aujourd’hui malgré ses blessures. Certes, on a perdu Cataldo, c’est difficile, mais il est important de réagir à ces chutes. » Vinokourov en est sûr, les vertus du jaune vont ragaillardir les troupes : « Fabio est dans la forme de sa vie, et ce maillot redonne le moral à toute l’équipe. » Mentalement, la mesure dans laquelle Astana va être galvanisé par la défense du maillot jaune sera une donnée primordiale. Car en face, il y a une grosse écurie prête à écraser la course.

Jusqu’à aujourd’hui, la Sky instaurait même une sorte de terreur dans l’esprit des favoris. Ce qui expliquait leur attentisme jusqu’à maintenant. « Sky a imprimé un gros rythme pendant l’étape, détaille Aru, surtout dans Balès et Peyrsourde. Il n’y a rien à redire sur cette manière de courir. C’est une équipe très forte, ils peuvent se le permettre et lorsqu’ils mettent en marche, on ne peut que rester dans les roues. » Mais hier, le dernier étage de la fusée a eu du mal à décoller. Les idées germent donc dans les têtes. Celle de Romain Bardet, vainqueur sensationnel hier, celle de Rigoberto Uran, dans une forme resplendissante mais surtout dans celle d’Aru. Maître de son destin par sa force, l’Italien devra aussi ruser. Il sait se faire sous-estimer et quand venait le moment de parler de sa prise de pouvoir, le vainqueur de la Vuelta 2015 divaguait.

Fabio est dans la forme de sa vie, et ce maillot redonne le moral à toute l’équipe.

Alexandre Vinokourov

Il préférait en effet jouer l’homme profitant un peu de sa prouesse : « Je veux apprécier le maillot jaune avant tout. » Avant que le stratège en lui n’admette que la tête était déjà au lendemain. « Je sais que demain (aujourd’hui) ne sera pas une journée facile. Depuis que j’ai vu le parcours, je me méfie de cette étape. Les étapes courtes comme celle-ci font mal car elles sont très rapides. » Pas de temps pour la Dolce Vita, car Aru sait par Machiavel que la soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le cœur de l’homme. Et Froome n’a pas étanché la sienne. Les 101 kilomètres d’un parcours au profil nerveux, terminant en descente, sont propices aux attaques lointaines. Une bonne opportunité pour éloigner plus encore le Britannique d’un quatrième sacre élyséen. L’esprit offensif du champion d’Italie devrait faire le reste. On ne chemine jamais qu’entraîné par la force de son naturel.

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