Vous avez pris les rênes de Cofidis en fin d’année 2017, si vous deviez résumer la saison passée en un mot, quel serait-il ?
Je dirais révolutionnaire. Il y a eu beaucoup de satisfactions tout au long de la saison. On a rapidement gagné avec Christophe Laporte. Il y a eu une vraie dynamique de groupe avec les succès de Stéphane Rossetto au Tour du Yorshire, de Nicolas Edet sur le Tour du Limousin, de Dimitri Claeys aux 4 Jours de Dunkerque, Nacer Bouhanni qui a retrouvé un excellent niveau sur la Vuelta… On avait fixé un objectif de 20 victoires, on l’a dépassé donc le contrat a été rempli.
Sur quels leviers avez-vous insisté à votre prise de fonction ?
C’est toujours difficile d’arriver dans une équipe. Il fallait essayer de comprendre ce qui a marché avant mon arrivée et ce qui n’avait pas fonctionné. On a rapidement lancé un audit. La première des décisions a été de redistribuer les cartes au sein de l’équipe. Aujourd’hui, on se doit de miser sur chaque individu, chaque élément de l’équipe a son importance, ce qui n’était peut-être pas le cas avant mon arrivée. Je pense avoir apporté un peu d’air, en redonnant confiance. La confiance, c’est l’élément le plus important sur lequel j’ai travaillé en 2018.
Il a fallu notamment faire accepter ce changement de stratégie…
Un changement, quel qu’il soit, est toujours compliqué à comprendre. Il fallait expliquer pourquoi on décidait de miser sur Christophe Laporte sur certaines courses, sur Nacer Bouhanni sur d’autres… La nouveauté aussi a été d’aller dans des échappées : auparavant, on avait tendance à ne jamais y voir de maillots Cofidis. En 2018 on est passé d’équipe passive à une équipe active. À partir des premiers succès obtenus par Christophe, on a vu une nouvelle dynamique et l’équipe a pris conscience qu’on était sur la bonne voie.
« On a des sprinteurs de qualité qui sont capables de gagner au moins 5-6 courses. Mais on ne pourra pas considérer 2019 comme une saison réussie si on ne gagne pas sur les routes du Tour de France. »
Le point d’orgue de cette saison, c’est une Vuelta 2018 fantastique…
En effet, l’équipe a été formidable. C’est le résultat de choix stratégiques, le fait de ne pas aligner Nacer Bouhanni sur le Tour de France, le fait de ne pas avoir trop de coureurs ayant doublé les deux grands tours… Seul Jésus Herrada l’a fait parce qu’il ne l’avait jamais couru auparavant. L’essai a été gagnant puisqu’il a dignement porté le maillot de leader pendant trois jours. Nacer a brillamment remporté une étape. Avec cette Vuelta, je pense que le regard des autres coureurs sur l’équipe Cofidis a changé et c’est très important.
Comment enchaîner une aussi bonne saison cette année ?
En 2019, on va pouvoir exclusivement se concentrer sur la performance. L’année passée a servi à chaque coureur de comprendre qu’il pouvait être un protagoniste, qu’il pouvait donner et recevoir. De nouveaux coureurs sont venus nous renforcer et je pense qu’on devrait encore surprendre pas mal de monde.
Sur quelle logique sportive avez-vous basé votre recrutement ?
On a voulu d’abord internationaliser l’effectif. Cofidis est présent dans neuf pays au niveau européen, il est normal de retrouver neuf nationalités en son sein cette année. Une équipe cycliste est aussi le reflet de son sponsor. Ensuite, on a ciblé quelques domaines sur lesquels nous avons parfois été en-dessous l’année dernière. La préparation des sprints par exemple, c’est pourquoi nous avons recruté deux bons laneurs avec Filippo Fortin et Zico Waeytens. Nous étions un peu absents également en haute montagne, on a choisi Darwin Atapuma. Il avait été brillant sur les pentes de l’Izoard en 2017, seulement battu par Warren Barguil. Nous voulions un Colombien car je pense que lorsqu’on vit à 3000 mètres d’altitude, on est génétiquement favorisé par rapport aux Européens. Il fallait aussi se renforcer sur les classements généraux des courses d’une semaine. Jesper Hansen a connu le World Tour avec Astana et son objectif sera de se rapprocher du podium sur des courses comme Paris-Nice, le Tour de Catalogne ou le Dauphiné. L’idée globale était d’élever le niveau moyen de notre équipe. Il ne faut plus avoir de complexes.
Le Tour de France symbolise l’avènement des rouleurs-grimpeurs. Est-ce que des profils comme Darwin Atapuma peuvent encore tirer leur épingle du jeu ?
La vie des purs grimpeurs s’est, en effet, un peu compliquée. Les enjeux sont extrêmement importants sur les routes du Tour et la liberté est moins grande pour ceux qui voudraient se lancer dans des grands raids solitaires. Nous ne visons pas le général, donc l’objectif de nos grimpeurs sera de créer du mouvement et des situations favorables. Les organisateurs font tout pour que les grimpeurs retrouvent leur instinct. Les étapes sont plus courtes, le nombre de coureurs par équipes a été réduit en ce sens. Je pense qu’on peut encore voir les vrais grimpeurs à l’avant.
Dix ans que Cofidis n’a pas gagné sur le Tour, ça commence à faire long non ?
Bien sûr que l’attente est longue. Mais si on regarde les statistiques des dix dernières années, très peu d’équipes continentales ont réussi à s’imposer en juillet. Il y a eu les victoires d’Europcar devenue Direct-Energie avec Thomas Voeckler, Pierre Rolland et Lilian Calmejane, mais guère plus. Quand on parle de Cofidis, on a tendance considérer que nous sommes une équipe World Tour. Ça ne nous excuse pas mais nous ne sommes pas passés loin avec Christophe Laporte à Pau… Je pense que cet échec lui servira probablement à gagner un jour une étape sur le Tour. C’est une course qu’il faut appréhender, elle ne vient pas à vous directement.
Si l’on fait un peu de fiction, qu’est-ce que serait une saison 2019 réussie pour Cofidis ?
« Le Nacer que je vois évoluer en ce moment n’a rien à voir avec celui que j’ai connu en 2018. Ça été difficile, il a fallu batailler pour imposer certains choix. On a discuté, parfois cela n’a débouché sur rien de concret mais je crois qu’aujourd’hui, il est apaisé, souriant. »
Globalement, ce serait déjà une vingtaine de victoires. Quand on n’arrive pas à ce chiffre, cela veut dire que nous avons péché à certains moments de la saison. On a des sprinteurs de qualité qui sont capables de gagner au moins 5-6 courses. Mais on ne pourra pas considérer 2019 comme une saison réussie si on ne gagne pas sur les routes du Tour de France. Et en plus de cette victoire, il faudra être dans les deux premiers du World ranking pour les équipes continentales. A partir de l’année prochaine, c’est ce classement qui décidera des invitations pour les plus grandes courses du calendrier. Ne pas terminer au sommet de ce classement serait un échec.
Ce classement aura impact important sur vos décisions pour 2020…
Le World ranking va bouleverser la donne du cyclisme professionnel. Auparavant, lorsque les coureurs arrivaient dans une équipe, ils amenaient avec eux leurs points UCI. Désormais, lorsqu’un coureur part d’une équipe, il laisse ses points. Donc, nous avons tout intérêt à recruter des coureurs en mesure de nous en apporter. Ce classement va avoir une importance primordiale pour les invitations sur les grands tours, les trois premières équipes accèdent directement aux grandes classiques. Le recrutement va forcément être un peu influencé par ce classement. Cette saison 2019 est peu une année de transition entre un effectif que je n’avais pas choisi et une saison 2020 où la quasi-totalité de l’effectif sera sous ma houlette. Il y a 19 coureurs en fin de contrat cette saison, parmi eux il faudra rapidement sécuriser l’avenir de certains.
Comment évoluent vos relations avec Nacer Bouhanni ?
Le Nacer que je vois évoluer en ce moment n’a rien à voir avec celui que j’ai connu en 2018. Ça été difficile, il a fallu batailler pour imposer certains choix. On a discuté, parfois cela n’a débouché sur rien de concret mais je crois qu’aujourd’hui, il est apaisé, souriant. Il prend du plaisir à faire du vélo et c’est le meilleur moyen pour retrouver le chemin du très haut niveau. Il fallait qu’on se mette autour d’une table, qu’on échange car quand Nacer Bouhanni gagne, c’est aussi l’équipe entière qui gagne.
Donc le dialogue n’a jamais été complètement coupé ?
Non, aucune porte n’a été fermée, même si c’est un jeu de mots dangereux chez Cofidis (rires). Je considère que ces dernières années, il n’a pas été totalement au niveau des attentes. Sur une saison, on peut accepter certaines choses mais quand elles se suivent et se ressemblent, il était temps pour lui de se ressaisir. Je suis chez Cofidis pour faire gagner Nacer Bouhanni, Christophe Laporte, Darwin Atapuma… Ce qui m’intéresse, c’est que l’équipe gagne. La pression qu’il avait sur les épaules les saisons passées était trop lourde à gérer. Aujourd’hui, il est apaisé, il sait qu’il peut gagner mais que d’autres peuvent le faire aussi. Il a accepté cette stratégie et je pense que c’est très important pour nous.