Des coureurs ont-ils marqué de leurs empreintes ce 70ème Tour d’Espagne ? Si oui, Tom Dumoulin, et dans une moindre mesure Fabio Aru, n’en sont pas loin. Le Néerlandais, élu supercombatif par le jury final à Madrid, a tout simplement épaté la galerie du premier au dernier jour, par son acharnement et sa constance sur les différents terrains du parcours. Il s’en est même fallu de très peu pour que le coureur de Giant assomme des adversaires peu inspirés jusqu’à la dernière étape de montagne. Chapeau.

Chaves et lui ont pimenté la donne

Au sommet du Caminito del Rey, terme de la deuxième étape, deux coureurs se détachaient déjà par leur envie prononcée à animer une course ou les favoris annoncés se sont très vite retrouvés plus ou moins mal en point : Esteban Chaves et Tom Dumoulin. Le Colombien a frappé le premier, et s’est même permis d’agir en patron durant la première semaine. Victorieux à deux reprises, et porteur du maillot rouge jusqu’au sommet de la Cumbre del Sol, la parenthèse dorée du petit grimpeur d’Orica avait déjà été entrecoupée par l’agressivité sportive de Dumoulin, profitant d’une petite cassure pour goûter une première fois au rouge. Alors qu’on le pensait seulement venu pour peaufiner sa condition en vue des championnats du Monde du contre-la-montre, sa discipline de prédilection, le Maastrichtois avait un appétit bien plus élevé. Sans aucun doute frustré de n’avoir pu montrer l’étendue de son talent sur le Tour de France en raison de la terrible chute survenue en Belgique, le coureur de l’équipe Giant a également profité du vide en montagne au sein d’une équipe entièrement consacrée à John Degenkolb, ayant laissé Warren Barguil au Canada. Rouleur hybride, il s’était déjà fait remarquer à plusieurs reprises sur les courses d’une semaine qu’il affectionne. Tour de Suisse, Tour du Pays Basque, des épreuves se finissant généralement par des contre-la-montre qu’il a écrasé avec la manière. Notamment à Aia, début avril, ou un mur à 22 % se dressait dans les derniers hectomètres du tracé.

De quoi lui donner des idées, et renouveler l’expérience sur des routes espagnoles qu’il a appris à connaître. À vrai dire, personne n’était étonné de le voir dans les premières positions en première semaine, et son punch bluffant s’est véritablement révélé sur les pentes de l’Alto de Puig Llorença, au lieu-dit de la Cumbre del Sol. Sur le papier, tout le monde voyait “Purito” Rodriguez ou Alejandro Valverde prendre le pouvoir en haut de cette montée abrupte, longue de 3,3 kilomètres pour une pente moyenne de 11 %, et un maximum estimé à 19 %. Sauf que contre toute attente, c’est Dumoulin qui a fait plier ses adversaires, en allant remporter sa première victoire d’étape sur un Grand Tour au prix d’un incroyable kilomètre l’ayant vu lâcher Rodriguez, puis déposer Froome à la stupéfaction de ce dernier. À ce moment là, plus personne ne pouvait sous-estimer Dumoulin dans la course au général, d’autant plus que ce dernier, venu sans objectif précis, espérait bien jouer crânement sa chance jusqu’au bout. Bien qu’intrinsèquement inférieur aux purs grimpeurs des équipes Astana et Katusha, le coureur de 24 ans n’aura jamais rien lâché, et toujours honoré son paletot si précieux. Une mentalité qui aura ravi le public, tenu en haleine par les exploits d’un coureur plaisant à regarder, tenant la dragée haute à des spécialistes présumés qui ont bien failli ne jamais trouver la solution.

Servi à merveille par ses adversaires…

Sans diminuer la valeur du coup tactique réalisé par les maillots bleus ciel d’Alexandre Vinokourov l’avant-dernier jour, il faut bien dire que cette opération victorieuse de Fabio Aru est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt, au moment de faire le débriefing du comportement des leaders de cette Vuelta. Le Sarde, brillant en Andorre, aurait sans doute pu faire la différence plus tôt, et s’est mine de rien retrouvé gêné par la position ambigüe de Mikel Landa, tantôt échappé, tantôt à ses côtés. Cette gigantesque étape montagneuse, accumulant les cols les plus durs de la petite principauté, n’aura pas servi de lieu magnifique pour une grande chevauchée. La faute à son placement dans l’épreuve, mais peut-être également à la crainte déjà inspirée par Dumoulin, martelant après les arrivées d’étapes qu’il jouera sa carte au jour le jour, en attendant le fameux contre-la-montre de Burgos ? Alors, en imposant un train de sénateur, suffisant pour faire craquer les équipiers ayant fourni leur part de boulot et les souffrants, il paraît évident que Tom Dumoulin n’allait pas craquer si facilement que ça. Preuve en est, c’est par des attaques répétées, brutales, et conjuguées au panache d’un Quintana déçu, que Fabio Aru s’est enfin envolé dans le Puerto de la Morcuera.

Quelque chose qui aurait très bien pu se produire sur les pentes raides de Sotres, ou l’épatant batave ne céda que 51 secondes sur Rodriguez. Pire, le Catalan ne luit repris que seulement 27 secondes au sommet de l’Ermita de Alba, une ascension tellement dure que Pierre Rolland n’hésitait pas à la décrire comme un quintuple Mur de Huy ! Le débours accumulé par Dumoulin sur les grandes étapes de haute montagne était donc dérisoire au vu des capacités supposées de ses rivaux, et sa résistance admirable a prouvé qu’il était sûrement supérieur mentalement à certains, tétanisés à l’idée d’engager la confrontation sur le vélo, là où ça pique. À Madrid, Rodriguez lui même, posait fièrement sur un selfie en compagnie du lauréat final, Aru, se vantant d’une deuxième place pourtant source de commentaires. Son état d’esprit est à l’exact opposé de celui de Dumoulin, triste à Cercedilla, s’en voulant d’avoir lâché du bout des doigts un Tour d’Espagne qui lui tendait les bras au soir de la dix-septième étape. Au fond, que doit-on tirer comme enseignements du dénouement de la Vuelta ? Derrière les performances du Hollandais, se cacherait-il plutôt un énorme avertissement adressé à la catégorie des trop discrets du peloton ? Faut-il qu’un surdoué mette le feu aux poudres de cette manière pour que l’alarme retentisse dans leurs oreillettes ? Enfin, pour Dumoulin lui même, vers quoi doit-il désormais se diriger ? Garder un rôle d’électron libre, cassant la baraque dans l’épreuve chronométrée, et s’invitant au festin en cas d’absence de hiérarchie claire ? Perdre un peu de poids et s’affirmer en montagne pour empocher les courses d’une semaine du World Tour ? On n’aurait juste envie de lui dire de ne pas tenter le diable avec son corps, mais de continuer de la même manière que ces derniers jours. Rendez-vous à Richmond, monsieur Dumoulin.

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