Lundi 18 janvier, la société organisatrice des plus grandes courses cyclistes italiennes, RCS Sport, a officiellement décerné ses wild-cards pour le premier grand tour de l’année, le Giro. Parmi les quatres formations continentales professionnelles italiennes, une est restée sur le carreau : Androni Giocattoli – Sidermec. A la place, c’est Gazprom-Rusvelo qui est invitée. Alors, plus d’une semaine après ce petit coup de théâtre, son manager général a décidé de nous faire part de son ressenti, égratignant l’UCI et le système du World Tour, héritier d’un Pro Tour discriminant à ses yeux.

“Je pensais recevoir la wild-card”

J’étais vraiment étonné, parce que je pensais recevoir la wild-card. Bien sûr, je n’ai jamais dit que c’était acquis d’avance, mais j’avais toute confiance pour obtenir cette invitation. Et pas seulement grâce aux résultats obtenus l’année passée : il y avait d’autres raisons, plus historiques. Cela fait cette année 20 ans que nous existons, et nous avons obtenu, d’après moi, de très bons résultats pour une équipe de seconde division. On a gagné plusieurs étapes reines en haute montagne avec des coureurs sud-américains (Ivan Parra en 2005, Carlos Contreras en 2001, Miguel Angel Rubiano en 2012 et José Rujano, troisième du Giro en 2005 et sixième en 2011). Nous avons également remporté plusieurs classements distinctifs. Enfin, nous avons aussi décroché d’autres succès avec des coureurs italiens comme Alessandro Bertolini ou Roberto Ferrari, dans des registres plus variés. Et en dehors de ces victoires, nous avons toujours cherché à attaquer, à animer la course, à offrir du spectacle aux spectateurs. Le public nous aime, et leur solidarité nous à touché. Même si nous n’avons pas reçu d’invitation, c’est important parce que beaucoup de passionnés sont intervenus sur les réseaux sociaux pour témoigner de leur déception. Je m’en rappellerais toujours. Et c’est assez surprenant d’avoir été invités sur les autres épreuves de RCS Sport. Nous serons sur Tirreno-Adriatico, à Milan-Sanremo, mais pas sur le Giro.

C’est avant tout regrettable pour mes coureurs parce que cet hiver, je m’étais employé à construire une équipe neuve entièrement tournée vers le mois de mai. J’ai recruté Rodolfo Torres, qui est déjà actif en janvier sur le Tour de San Luis (il a fini sixième, ndlr) , mais aussi des coureurs d’avenir. Son nom ne dit sûrement rien aux suiveurs européens et plus généralement de la route, mais j’aurais aimé pouvoir aligner le jeune Egan Bernal au départ du Tour d’Italie. Il est très jeune, seulement 19 ans, mais s’est déjà illustré en VTT ces deux dernières saisons en montant sur le podium des championnats du monde de cross-country espoirs. Pour l’anecdote, au moment où il est venu en Italie avec son manager pour signer son premier contrat avec notre équipe, il a brillé dans les catégories espoirs en remportant la classique italienne Sognando il Giro delle Fiandre, un mini Tour des Flandres comme cela se traduit en français. Mais il n’y a pas que sur ces deux coureurs que je porte mes espoirs pour la saison 2016. Nous avons eu la chance de pouvoir confirmer Franco Pellizotti et d’attirer plusieurs coureurs rapides. Par exemple Daniele Ratto, qui a signé beaucoup de bons résultats chez Liquigas, Davide Vigano, Francesco Chicchi ou encore Francesco Gavazzi. Tous ces coureurs, il y a quelques années, évoluaient dans les meilleures équipes du World Tour. Tout ce monde-là souhaitait repartir pour une nouvelle aventure sur le Giro, mais nous n’en serons finalement pas.

“Le moment le plus délicat que j’ai eu à gérer”

Maintenant, je tiens vraiment à le dire, j’estime avoir réalisé un miracle en sauvant cette équipe, qui était vouée à disparaître. L’ex-deuxième sponsor de notre structure, le Venezuela, n’a toujours pas payé le montant dont il devait s’acquitter pour la saison 2014. C’est le moment le plus délicat que j’ai eu à gérer, et je suis toujours dans l’attente. Cela fait un an et huit mois que j’entends le même refrain : « On va payer », « On va payer ». Et nous n’avons pas reçu le moindre euro de compensation. Un nombre important de clauses du contrat de sponsoring ont été violées. Alors c’est normal que dans ces conditions, j’ai décidé de mettre l’accent sur ma philosophie de toujours, honorer toutes les courses auxquelles nous participions et, plus que les courses, tous les autres engagements financiers. Et le miracle fut d’avoir pu verser le salaire de tout le monde à la fin de l’année. Je tiens vraiment à remercier mes sponsors italiens qui ont su faire l’effort d’anticiper en 2014 l’argent de 2015, et en 2015, de débloquer des fonds supplémentaires pour prévoir 2016. Par conséquent, ma campagne de recrutement était biaisée, et je n’avais pas les moyens suffisants pour acquérir sur le marché des transferts des coureurs de grande qualité, notamment issus de la première division. Avant de réfléchir au budget disponible pour les recrues, j’étais encore occupé à m’assurer que tous les coureurs de l’équipe étaient bien rémunérés. Et, à mon plus grand regret, je trouve que cela n’a pas été pris en compte par les organisateurs comme cela aurait dû l’être. Durant ces deux dernières saisons, malgré toutes nos difficultés, des coureurs à la qualité reconnue se sont mis en évidence sur la course rose. Marco Bandiera a par exemple été récompensé à deux reprises pour le record du kilométrage effectué en échappée.

Attention, je n’ai pas envie de formuler de jugement sur les choix des équipes retenues par RCS. Si il y a un problème, il remonte à bien plus loin : à la création du Pro Tour par l’UCI. C’était selon moi une réforme incroyablement néfaste pour le cyclisme. Le Pro Tour a toujours été le “mal” du cyclisme. Les règles assuraient aux 18 équipes de première division, et c’est encore le cas, une place sécurisée sur tous les grands rendez-vous du calendrier. Et pourtant, nous savions pertinemment qu’un certain nombre d’équipes vient au Giro en emmenant des coureurs totalement démotivés ! Certaines ont comme grand objectif le Tour de France, d’autres visent plutôt la Vuelta ou les classiques, et ne font pas le déplacement au Giro avec grand intérêt. C’est un constat que je ne suis pas le seul à faire, puisque les médias étaient en réalité les premiers à le souligner ! Le règlement donne aux organisateurs l’obligation d’accueillir toutes les équipes ayant obtenu une licence World Tour, et un quota de wild-card à décerner pour les formations continentales. Et, même si cela peut être difficile pour moi, je respecterai toujours les décisions et les motivations des organisateurs.

Mais je vous assure que je ne suis pas fondamentalement inquiet pour le déroulement de la saison qui s’annonce. Nous allons présenter d’ici peu notre calendrier complet, et il y a quand même de belles courses à disputer. D’une part, si nous n’avons pas été sélectionnés pour le Tour d’Italie, nous serons sur Tirreno-Adriatico et Milan-Sanremo. Nous aurons également une visibilité aux quatre coins du monde, puisque nous irons découvrir le Tour de China 1 et 2 en plus du Tour du Qinqhai Lake, reviendrons au Langkawi, courrons le Tour du Portugal, et je suis actuellement en discussions avancées avec le Tour de Suisse. Mais la non-présence au Giro pose de gros problèmes pour le futur de notre équipe, en vue de l’année 2017. Je suis en train de mener des discussions importantes avec notre sponsor principal, Androni Giocattoli, et j’espère que d’ici le mois de mai nous arriverons à communiquer sur le prolongement ou non de notre engagement mutuel. En ce qui me concerne, j’ai toujours été habitué à surmonter les adversités, et mon but, c’est de poursuivre avec la même détermination, mais pour le coup, cela dépendra grandement du sponsor.

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