Toujours sans contrat à vingt-cinq jours du réveillon de la Saint-Sylvestre, Rohan Dennis joue à un jeu sûrement trop dangereux pour un coureur de son talent. Indésirable chez Bahrain-Merida depuis un mois de juillet rocambolesque, l’Australien n’est pas non plus la priorité du team INEOS, qui exclut tout sacrifice pour attirer dans ses filets une personnalité aussi incertaine.

De turbulences en turbulences

D’habitude très discret dans les médias, celui qui avait débuté sa carrière en World Tour sous la tutelle de Jonathan Vaughters avait bien caché sa véritable nature, révélée au grand jour le long d’une route départementale de Haute-Garonne, durant la douzième étape du Tour de France. Colérique et lunatique, le double champion du monde en titre du contre-la-montre avait jeté un froid glacial sur la Grande Boucle du team Bahrain-Merida, en abandonnant dans le plus grand secret, sans justification immédiate. Le conflit l’opposant au fournisseur de cycles taïwanais ultérieurement médiatisé, beaucoup se sont demandé quelle mouche l’avait bien piqué, après un Tour de Suisse des plus solides. Dennis y avait remporté le prologue – sur un vélo Merida – et concurrencé Egan Bernal dans les cols les plus mythiques du pays, tels le Saint-Gothard et la Furka.

Après tout, cette brouille aurait pu rester intense mais passagère, et les championnats du monde au Yorkshire devaient réconcilier tout le monde autour du même dénominateur commun, la soif de la gagne. Patron théorique de la discipline depuis son premier sacre à Innsbruck en 2018, Dennis était revenu sur le devant de la scène depuis le mois de juin, mais ne partait pas franchement favori. Sauf que le jour J, il n’y a pas eu photo. Vainqueur avec plus d’une minute d’avance sur Remco Evenepoel, rattrapant Primoz Roglic dans la dernière ligne droite, l’ancien coureur de BMC avait chèrement défendu son statut. Quitte à outrer ce qui allait devenir son ex-employeur en utilisant un vélo de chrono de son entreprise suisse favorite, masquant au passage les bandeaux Merida sur son cuissard. Le divorce était d’ores et déjà consommé.

L’avenir n’a jamais été aussi compromis

La rupture publiquement annoncée au lendemain de l’épreuve, Dennis s’activait en réalité depuis le Tour de France pour trouver un nouvel employeur susceptible de racheter sa deuxième année de contrat. Sauf que son image ayant été écornée par cet imbroglio, les propositions parvenues auprès de son agent semblent ne jamais avoir contenté son appétit. Les sources détaillant la proposition du team INEOS font état d’un salaire prévisionnel inférieur de près d’un million à celui que lui offraient les richissimes bahraïnis. Quant à l’équipe Movistar, elle aurait été lassée par les allers-retours successifs de l’intéressé, qui a porté le différent avec Bahrain-Merida devant le tribunal de l’UCI. Un sacré bourbier qui se répercute nécessairement sur les économies de Rohan Dennis et de son entourage, qui pourraient perdre jusqu’à 1,2 million d’euros dans la bataille.

Si on n’est pas au stade d’une descente aux enfers, cette sévère chute dans un monde où l’ancien pistard s’est peut-être vu trop beau pourrait lui coûter son avenir sportif immédiat. Sans contrat alors que les places en World Tour se font rarissimes, l’annonce d’une signature aurait déjà du se faire depuis plus de deux mois, lorsque Movistar, Ineos et CCC – ex BMC – étaient en négociations avec Andrew McQuaid, son agent. Le transfert de Sam Bennett vers Deceuninck – Quick Step désormais réglé, et Nils Politt sécurisé chez Israel Cycling Academy, le cas Dennis est la dernière des grandes incertitudes à planer sur le paysage cycliste d’une saison 2020 qui pourrait révéler plus de rebondissements qu’à première vue. Dennis peut-il se retrouver à quai ? Plus les jours de décembre s’égrènent, plus la donne s’assombrit.

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