Il est un coureur et un personnage qui intrigue. Dans les cols, son visage impassible interpelle. A-t-il mal aux jambes ou pas du tout ? Finalement, on ne le sait généralement qu’à l’arrivée, au moment de constater les écarts. Nairo Quintana est un grimpeur comme on en fait plus. Qui fascine. Et considéré, en Colombie, au-delà du raisonnable.
L’enfant des hauts plateaux
Il était écrit que la Colombie aurait de nouveau un champion. Les années 1980, Lucho Herrera, la Vuelta triomphante, les envolées sur le Tour de France, tout cela était bel et bien rangé dans la boîte à souvenirs. Laissant les anciens raconter les histoires de leurs favoris, pendant que les jeunes désespéraient de pouvoir eux aussi s’enflammer un jour. Et Nairo est arrivé. Sans se presser. Programmé dès ses premières années pour la réussite, l’évidence était là, sous leurs yeux. Et ne fait que se confirmer. Forçant respect et admiration. De ses pairs, des spécialistes, mais surtout du public. Ce public qui permet toujours de trouver quelques watts supplémentaires quand l’effort se fait maximal, au milieu d’une ambiance chauffée à blanc. Le personnage attire les fans, du plus calme au grand excité des bords de routes. Une exubérance à l’image de son pays. Mais complètement inverse au bonhomme. Réputé timide, calme et réservé.
Dès 2013, année de la première visite sur le Tour de France, ponctuée par une deuxième place, un maillot blanc et une victoire au Semnoz, la presse locale s’enflamme. Pour El Espectador, « il n’y a pas de paroles pour exprimer la fierté de voir un Colombien sur le podium de la compétition cycliste la plus importante du monde. » Du côté d’El Pais, on écrit : « Nairo Quintana, l’explosion précoce d’un cycliste touché par le destin. » Le phénomène Quintana est en marche. Les médias du monde entier veulent en savoir un peu plus, de très nombreux reporters s’engagent alors sur les traces du prodige des hauts plateaux andins.
L’histoire, parfois cousue de fil blanc, raconte le gamin de Tunja, ville du département de Boyaca, au centre de la Colombie, à près de 3000 mètres d’altitude. Une enfance modeste, loin des ors et des fastes, dans cette région agricole et prospère. Bien loin de l’agitation et la violence des grandes cités du pays. Certains ont insisté sur le cliché « pauvreté », accolé à tort à la famille Quintana. Une erreur qui a le don d’attiser le courroux du champion. Dans un long reportage de Bill Denahue pour le compte du site Vice Sports, Sandra Rojas, une voisine d’enfance précise : « Il déteste entendre dire que sa famille est pauvre. Ca le met très en colère. »
Le miraculé
Mais il y a malgré tout une vérité : Quintana a vécu de sérieuses épreuves pendant son enfance. Frappé par une maladie mystérieuse à l’âge d’un an, il lui faudra plusieurs mois afin de voir son calvaire prendre fin grâce à une guérisseuse. Sa découverte du vélo, sur un modèle acheté 30 dollars par son père, lui-même miraculé d’un accident de la route, se fait laborieuse. Le gamin tombe plusieurs fois. « Je repartais avec des bleus, du sang sur les tibias », raconte-t-il. Il s’accroche, sur ses routes ardues, bordées de pins et d’eucalyptus, pour rejoindre le domicile familial. Sa mère se remémore : « Il rentrait fatigué et transpirant, mais fier de lui. On voyait qu’il était heureux. » Les prédispositions sont là, le jeune Nairo a du talent. Il intègre l’équipe régionale de Boyaca, se fait remarquer, mais passe aussi très près de la correctionnelle. Percutant un taxi à l’âge de 15 ans, il ne refera surface qu’après 10 jours de coma. Incident qui ne contrariera pas sa marche en avant, de l’Amérique du Sud à l’Europe, du Tour de l’Avenir aux grands tours, de l’équipe Colombia es Passion à la Movistar. Une vraie success story qui rassemble les foules, de son pays natal au monde entier : Nairo Quintana fédère.
Jusqu’à l’enflammade même. Lors de sa victoire au Semnoz, Alfredo Castro, commentateur de radio Caracol, éructait : « Laissez résonner la joie et laissez mon pays éclater de bonheur ! » Et s’adressant quelques minutes après à Quintana : « Toute l’Amérique est à vos pieds. Le monde est à vos pieds. Paris vous attend ! Vous venez des champs de Boyaca et vous irez aux des Champs-Elysées. Merci mon frère. Je vous remercie, Nairo. Merci, fils de la terre ! Merci, paysan ! Merci, Don Luis (père de Nairo) de nous avoir donné cet enfant. » Excessif peut être, mais représentatif de l’aura que peut avoir le champion dans son pays. Et dans le monde. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, à l’image de Twitter, où l’enfant des montagnes recense près de 800 000 abonnés.
Les cérémonies d’accueil dans sa ville natale, devant une foule monstre, prête à fêter son champion comme lors de sa victoire sur la Vuelta 2016, parlent d’elles-mêmes. D’autres actions font deviner un homme généreux, prêt à représenter l’Unicef pour le compte de son pays. Prêt à s’arrêter sur le bord de la route lors d’un entrainement pluvieux pour aller saluer un jeune garçon de six ans, aveugle et malentendant, et passer quelques instants avec lui. Un statut de prophète en son pays qui suivra certainement le champion jusqu’à la fin de sa carrière. Une force supplémentaire dans sa quête du maillot jaune ? Assurément. Mais l’enfant de Tunja aura déjà réussi le tour de force de devenir le cycliste le plus populaire et le plus aimé de l’histoire de son pays. Et cela n’est pas le plus insignifiant des trophées.
J’en fais mon favori pour ce Tour.