Comme une impression de toujours voir le même film. Encore une fois, le premier à attaquer dans l’échappée a remporté l’étape. La chance ne sourit qu’aux audacieux, nous dit l’adage. Même si ce ne sont pas toujours les plus forts.

L’enfer c’est les autres

Bauke Mollema est un excellent coureur, avec un bon palmarès. Il a fait un grand numéro aujourd’hui, mais dire qu’il était le plus fort serait présomptueux. Le Néerlandais de l’équipe Trek n’a pas suivi les attaques de Warren Barguil et de Serge Pauwels dans le col de Peyra Taillade. Au contraire, il a subi de loin les péripéties aux avant-postes. Non, il ne s’agit pas de dévaloriser la victoire de l’enfant de Groningue. Attaquer à trente kilomètres de l’arrivée, avec un vent de face et un terrain très escarpé, c’est faire preuve d’un grand panache dont peu sont capables. Le plus dur, c’est surtout d’arriver à résister jusqu’à la fin face à la dizaine de coureurs qui roulaient derrière lui.

Enfin, rouler. Certains auraient pu faire mieux dans le groupe, passer plus de relais, appuyer plus fort sur les pédales. Mais non, ils ont préféré filocher en queue de groupe. Un enterrement de première classe. Pourtant, dans ce groupe de poursuivants, des équipes étaient représentées en nombre. Par exemple, les Lotto-Soudal, avec Tony Gallopin et Tiesj Benoot, ou les BMC avec Damiano Caruso, Nicolas Roche et Amaël Moinard. Pourtant, personne ne s’est mis à rouler à fond derrière Bauke Mollema. « C’est la plus belle victoire de ma carrière, un rêve pour moi », s’exclamait-il en conférence de presse. La question est venue toute naturellement. Était-il le plus fort ou le plus malin ? « Je ne sais pas, avouait le Néerlandais.Peut-être les deux. Je me sentais bien, mais je savais que je devais essayer parce que je ne suis pas assez explosif pour le sprint. » Tony Martin avait tenté le coup à soixante kilomètres de l’arrivée, mais l’Allemand avait craqué dans le difficile col de Peyra Taillade. Bauke Mollema a lui réussi. L’homme pressé a piégé son monde.

L’entente impossible

Parce que derrière, il est impossible de s’entendre. Voilà le problème. Dans un groupe à vingt-huit comme au départ de l’étape, puis à une dizaine comme dans le final aujourd’hui, il y a forcément des favoris, avec une pointe de vitesse suffisante pour s’imposer aisément face au simple baroudeur qui espérait s’imposer seul loin devant. Evidemment, on se regarde. Pas question de rouler pour ces favoris d’un jour. Ceux-ci doivent se débrouiller avec leurs propres moyens, c’est-à-dire leurs jambes, ou au mieux celles de leurs coéquipiers. Après deux cent kilomètres de course, c’est souvent difficile. Pour poursuivre un homme seul à bloc, il faut aussi se mettre à cent pour cent. Le faire avec trois hommes dans la roue, non merci. Personne n’a envie de servir de poisson-pilote alors qu’une victoire d’étape sur le Tour se profile, c’est normal. L’enfer, c’est les autres ! Se débarrasser de ses gentils copains de route, c’est s’offrir un chemin vers le paradis.

Parfois, le profil escarpé d’un final peut offrir une nouvelle chance aux coureurs piégés par une attaque. Aujourd’hui par exemple, une petite côte à quinze kilomètres de l’arrivée faisait office d’épreuve de rattrapage pour les recalés. Warren Barguil a ainsi attaqué. Mais derrière lui, le long cortège des coureurs déçus a sauté dans sa roue. Même dans un groupe réduit à quatre coureurs, la même mécanique se met en route. « J’étais moins rapide que les trois autres gars, glisse le maillot blanc à pois rouges, donc j’ai laissé faire dans le final. » Cette implacable logique, on ne peut pas la reprocher aux coureurs. Elle s’impose devant eux. C’est mathématique. Rouler en tête de groupe, se sacrifier pour revenir sur le courageux du jour, c’est un hara-kiri digne des plus légendaires samouraïs. L’acte est glorieux mais complètement stupide. Le plus intelligent, c’est l’audacieux, le poor lonesome cow-boy parti seul au soleil couchant, souvent couronné de succès.

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