Cet article, écrit par Stéphane Deneits, a été publié il y a plusieurs années sur Velochrono.fr. Un site qui a beaucoup inspiré la Chronique du Vélo et qui, malheureusement, n’existe plus aujourd’hui. Nous profitons de cette période orpheline en actualité pour le publier de nouveau, ici et avec l’accord de Velochrono.fr.

Cas unique dans l’histoire du cyclisme, Paris-Roubaix 1949 compte deux vainqueurs : André Mahé et Serse Coppi. Un Français et un Italien, qui ne sont pas montés ensemble sur le podium le jour de la course, mais qui cohabitent depuis dans les livres d’histoire.

Une consigne mal transmise

C’est comme si l’Enfer du Nord avait voulu envoyer deux hommes au paradis. Dans les flammes des palabres. Entre un vainqueur sur la ligne, et un vainqueur de la contestation et du jugement. Puisque désigner un heureux gagnant s’avère aussi chaotique et hasardeux qu’une chevauchée sur un sentier pavé du Nord, autant en sacrer deux. Et ainsi rester, 71 ans après, un cas unique dans l’histoire du cyclisme. André Mahé, Serse Coppi, à jamais liés sur la première marche du podium de ce Paris-Roubaix. A jamais coude à coude dans les palmarès. Séparés de l’existence seulement deux ans plus tard, suite à la mort de l’Italien en course. Comme s’il était écrit que cette incongruité des palmarès ne pouvait se faire sans dommages. A qui la faute, tant de désordre ? Elle est pour un service d’ordre dépassé, qui envoie de mauvaises consignes aux coureurs. Résultat, un échappé vainqueur, tout comme le meilleur sprinteur d’un peloton arrivé quelques temps après. Allez comprendre…

10 avril 1949. Après un début de campagne de classiques qui a vu les victoires de Fausto Coppi sur Milan-Sanremo et de Rik Van Steenbergen sur la Flèche Wallonne, le peloton se rend dans le Nord de la France pour Paris-Roubaix. En sont favoris les deux champions déjà vainqueurs en ce printemps, même si pour l’Italien, il s’agit d’une première participation. La course est très disputée et n’épargne personne, même les plus grands. Pour preuve, Van Steenbergen chute après Arras et doit renoncer, tout comme Ferdi Kübler quelques instants plus tôt. C’est alors à 26 kilomètres de l’arrivée que la course prend une toute autre tournure. Le jeune espoir franco-espagnol Jesus Moujica place un démarrage, suivi des Belges Matthieu et Leenen. André Mahé, à contretemps, revient sur les hommes de tête. Matthieu est éliminé sur chute, tandis que Moujica, après un bris de pédale, parvient à recoller peu avant l’arrivée. Vient le moment de rentrer sur le Vélodrome. Et de suivre les orientations du commissaire Banuls et de son équipe.

De longs mois d’indécision

Les trois coureurs sont en tête dans la dernière ligne droite. Suivent les voitures presses de L’Équipe et de France Soir. Les agents hurlent : « Les voitures à droite, les coureurs tout droit ! » Dans le même temps, un des agents donne aux véhicules la direction de la bifurcation. Mahé, qui mène le groupe, prend la consigne pour lui et s’embarque dans la mauvaise direction, suivi par ses compagnons, si bien que les trois fuyards pénètrent sur le vélodrome par la porte de presse. Et André Mahé, dans la confusion, franchit la ligne d’arrivée en premier. Peu après, le gros du peloton est quant à lui correctement orienté, malgré la confusion qui règne. Et c’est le jeune frère de Fausto Coppi, Serse, âgé de 26 ans, qui règle le sprint de la meute, devant les spécialistes belges que sont André Declercq ou encore Achiel Buysse. Pour le moment, les choses sont limpides : André Mahé est bien le vainqueur de ce Paris Roubaix 1949. Mais les choses ne vont pas s’avérer aussi simples.

Les réclamations commencent à tomber. Serse Coppi, soutenu par son frère, estime que les premiers n’ont pas effectué le même parcours que les autres. Les choses restent en suspens dans la semaine, jusqu’à que la FFC ne valide le résultat. Une issue qui ne satisfait pas la fédération italienne, qui conteste la décision devant l’UCI. Ce n’est qu’au mois de novembre, à la suite de longs mois oscillant entre appels et commissions, que les deux coureurs sont désignés vainqueurs. Un cas unique pour une situation bien embarrassante. Serse Coppi, finalement, n’aura pas le loisir de jouir de sa gloire roubaisienne longtemps, trouvant la mort sur le Tour du Piémont en 1951. Une tragédie qui affectera profondément son frère, lui-même vainqueur de l’Enfer du Nord entre-temps, en 1950, après un numéro resté dans la légende. Quant à l’autre vainqueur, André Mahé, il connaîtra une suite de carrière plus discrète, en dépit d’un succès sur Paris-Tours en 1950. Et partira rejoindra Serse Coppi, il y a quelques années, en 2010, à l’âge de 90 ans. Le destin ne vous place pas toujours ex-aequo.

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