Âgé de 27 ans, on sentait bien qu’Edvald Boasson Hagen arrivait à un tournant de sa carrière. Précoce par sa polyvalence et ses succès rapides, l’ex-nouvelle terreur du cyclisme mondial stagne depuis deux bonnes années au sein d’une équipe Sky qui avait clairement mis l’accent sur les courses par étapes autour des icônes Wiggo et Froomey. L’heure est donc venue de remettre un coup d’accélérateur à son parcours, et le choix peut surprendre. L’équipe MTN-Qhubeka n’est pas la plus prestigieuse du peloton, ne fait pas partie du World Tour, et l’on sait que des équipes comme Tinkoff, Astana, Orica ou BMC se livraient une bataille en coulisses pour s’attacher ses services. Mais ce choix n’est-il pas le meilleur, quand on y regarde de plus près ?

Le projet d’une formation ambitieuse

La formation sud-africaine choisie par le Norvégien a sur le papier, tout d’un choc des cultures. Après avoir évolué dans des équipes pléthoriques en qualité et influentes dans l’équilibre du business cycliste, c’est au sein d’une formation visant en premier lieu à promouvoir le vélo en Afrique et aux plus démunis qu’ « EBH » démarrera un nouvel épisode. Parallèlement, il symbolisera la montée en puissance de la belle aventure noire et jaune. Présente au sein du peloton professionnel depuis 2008, le développement de jeunes talents issus d’outre-Méditerranée était axé à moyen terme, et les révélations sont apparues dès 2012, avec l’émergence au haut niveau de coureurs comme Reinardt Janse van Rensburg, parti chez Giant, mais seize fois vainqueur durant cette même année. Sans oublier les pépites Meintjes, Kudus… Puis en 2013, c’est la sensation au plus haut niveau, avec une arrivée remarquée en Continentale Pro et le débauchage de coureurs expérimentés et de bon niveau mais en perte de repères. Gerald Ciolek devient le nouvel ambassadeur de l’équipe, et réalise le hold-up de l’année en accrochant l’un des fameux Monuments, à Sanremo. Un formidable coup médiatique pour la première équipe africaine à poser ses valises sur le World Tour. Cette résurrection de l’un des grands espoirs du sprint mondial va beaucoup compter pour la suite des évènements, valorisant les bienfaits d’une structure amenée à disputer son premier grand tour actuellement avec la Vuelta, et de plus en plus invitée sur des épreuves du standing de Tirreno-Adriatico ou encore du Tour de Suisse.

La fuite des cerveaux vers les équipes continentales est désormais quelque chose de courant, et après le transfert de Nacer Bouhanni pour Cofidis, cet autre mouvement phare de l’été consistera un attrait supplémentaire pour les débuts de la saison 2015, avec des leaders désireux de se sentir à l’aise, au prix de sacrifices pourtant réels. Chez Sky, disputer les plus grandes courses du calendrier était pour Boasson Hagen envisageable, désormais, il faudra faire en fonction des invitations. Mais le vainqueur de Gand-Wevelgem en 2009 ouvre une perspective intéressante en vue des classiques du Nord. Avec en prime un Ciolek devenu passe-partout, MTN s’ouvre donc à un programme encore plus fourni, avec pour le coup un véritable classicman, et ce malgré des années d’errance et de recherche non adéquates concernant son véritable profil. Critiqué pour son inconstance, il peut se targuer d’avoir décroché une Vatenfall Cyclassics – longue de 250 kilomètres –, d’un Grand Prix de Plouay acquis en finisseur, et donc de ce Gand-Wevelgem. Tout en ayant les Mondiaux de Ponferrada dans un coin de sa tête, après l’argent de Valkenburg derrière Gilbert. On sait également que MTN avait donné sa candidature pour le Tour d’Italie. Sans succès, mais au final un joli lot de consolation en Espagne, où le bilan se doit d’être bon, car les performances passées d’équipes comme Neri-Alé, par ailleurs en sursis, pourraient faire réfléchir RCS Sport en vue de mai prochain. MTN partira dans tous les cas avec des têtes d’affiches intéressantes, puisque le double vainqueur d’étape sur le Tour 2011 devient la neuvième recrue européenne de la bande à Douglas Ryder. Et ce n’est peut-être pas fini ! Les dernières rumeurs font état d’un intérêt prononcé pour Theo Bos…

Retrouver ses propres ailes

Et au final, c’est bien sûr MTN qui se frotte les mains d’un fort contingent européen à la maison. A l’image d’un Ciolek ou d’un Gerdemann, Boasson Hagen va débarquer avec une côte redescendue. Sans aucun doute une très bonne affaire pour les deux parties. Plus question de faire le premier écrémage d’un col hors-catégorie sur le Tour pour un leader, de jouer les poissons-pilotes pour Ben Swift, ou les équipiers de luxe sur les flandriennes pour les chouchous Thomas et Stannard. C’est libéré qu’il pourra retrouver goût à ses ambitions personnelles, en ayant rien à perdre. Si la tournure suivie s’apparente à l’échec, les observateurs s’accorderont sur le fait qu’il fut élevé trop haut – et trop tôt – dans la hiérarchie, sans confirmation nette. Au contraire, si la mayonnaise prend, les éloges ne manqueront pas pour souligner un brillant choix de carrière, et un talent mal géré auparavant, auquel le second rideau lui était promis contre son gré. Un modèle déjà expérimenté par le passé et réussi avec brio, par son futur coéquipier Ciolek entre autre, mais également par Filippo Pozzato, plus en odeur de sainteté chez Katusha et transcendé chez Farnese Vini. Ce qui lui avait permis de retrouver un contrat solide en première division chez Lampre, tout comme Luis Leon Sanchez, qui retrouvera les sommets d’Astana après avoir effectué son retour chez Caja Rujal.

Il reste donc à voir si l’état d’esprit suivra chez le double vainqueur de l’Eneco Tour, une course qui convient à merveille à ses facultés. Capable du meilleur sur un chrono, de suivre les meilleurs sur les pavés et de s’accrocher dans les monts, tout en grappillant du temps sur des sprints ou dans une étape disputée sous des conditions difficiles, c’est ce Boasson Hagen là qu’on a envie de revoir sous les couleurs de MTN. Concernant le collectif mis à sa disposition, c’est loin d’être ronflant et on pourrait déjà imaginer une cohabitation avec Ciolek – même si les deux sont plutôt complémentaires. Toutefois, dans l’ombre de la division inférieure, une multitude de talents s’affirment, et les Sbaragli, Venter, Reguigui, mais aussi les expérimentés Reimer et Stauff, devraient se mettre à son service. En changeant d’équipe, le Norvégien compte bien imposer sa patte à ses nouveaux partenaires. Il peut également devenir une source de motivation à l’entraînement pour ses collègues. Tout cela, c’est la valeur ajoutée et l’effet Hagen dont vont tenter de profiter les dirigeants en question. L’équation est donc simple, soit ça passe, soit ça casse. Mais le courage de prendre en main son destin, au moins, est tout à son honneur.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.