Il ne faut jamais sous-estimer le coeur d’un champion. La maxime du légendaire coach de l’équipe de Houston en NBA, Rudy Tomjanovich, est applicable dans tous les domaines. Nairo Quintana et Alberto Contador s’en sont parfaitement emparés aujourd’hui. Partis tôt à l’assaut de cette treizième étape, ils ont essayé de faire exploser la course. Bilan : un peu moins de deux minutes de reprises sur leurs adversaires et une défaite au sprint face à Warren Barguil. Mais l’essentiel était ailleurs.

La bonne opération

Ce matin, Alberto Contador était à plus de sept minutes de Fabio Aru. Nairo Quintana avait lui un débours supérieur à quatre minutes sur le maillot jaune. Au bout de douze jours de course, deux des meilleurs coureurs de grands tours du siècle se mourraient dans les cordes, considérés pour beaucoup comme perdus pour cette Grande Boucle. Ce soir, les deux minutes reprises constituent un gain important, primordial pour y croire encore. « Nairo a récupéré son niveau. Il est encore loin des quatre, cinq premiers au niveau chronométrique, mais à voir comment il a marché, nous sommes bien plus optimistes qu’hier. Il a retrouvé un peu de son brillant, il peut revenir au niveau des meilleurs. Ce n’est pas impossible de gagner le Tour, Paris est encore loin », nous assurait Eusébio Unzué, le manager de Movistar, à l’arrivée. Nairo Quintana n’est plus qu’à deux petites minutes du leader, un écart finalement faible pour le Colombien à la sortie des Pyrénées, lui qui a toujours accusé un retard plus conséquent sur Chris Froome à l’approche des Alpes (6’28 en 2013, 3’10 en 2015 et 2’59 en 2016). Les supporters colombiens de Nairo Quintana le savaient bien, et ils étaient des dizaines à l’attendre devant le bus Movistar pour le féliciter, l’encourager, le galvaniser.

« Aujourd’hui, Nairo a récupéré son niveau. Nous sommes plus optimistes qu’hier. Ce n’est pas impossible de gagner le Tour, Paris est encore loin. »

Eusébio Unzué

Du côté de chez Trek, l’ambiance n’était pas tout à fait la même. Pas un supporter, trois ou quatre journalistes et le léger goût acre de l’amertume dans les bouches du staff. La victoire n’est pas passée loin. Pour le classement général, Luca Guercilena, le manager de Trek, ne se fait pas d’illusion. « Ce n’est pas une question de secondes, mais de minutes. Ce n’est pas qu’Alberto ait perdu ses capacités, la journée d’aujourd’hui montre bien qu’il ne manque pas de condition, mais la bataille pour le maillot jaune va être compliquée. » Pour Alberto Contador, la journée n’a pas été un coup de pistolet dans l’eau pour autant, l’Espagnol est rentré dans le top 10 et n’est plus qu’à cinq minutes d’un éventuel podium. « Avant-hier, le retard était trop important pour y croire. Il va être difficile de revenir mais hier était un signe qu’Alberto revenait à un bon niveau et aujourd’hui en est la démonstration complète, nous glissait Guercilena, un peu plus optimiste. On prend au jour le jour et on verra ce qu’Alberto est capable de faire. » Une lueur d’espoir demeure.

Un déclic mental?

« Nairo a récupéré des minutes précieuses. Mais surtout, cette journée est bénéfique pour sa tête. » Pour Eusébio Unzué, la question ne se pose pas, cette étape peut remobiliser son leader. Quand on est un grand parmi les seigneurs des montagnes, se faire décramponner d’un groupe d’une dizaine d’éléments peut ruiner le mental. Alors, reprendre du temps en franchissant d’autres sommets le jour suivant fait du bien. Nairo Quintana le confirmait d’ailleurs la ligne franchie : « C’était une de ces journées brillantes. Je n’ai pas perdu l’espoir et j’espère avoir d’autres journées comme celle-ci. J’ai toujours lutté, je suis encore là et la qualité (d’un coureur) ne se perd pas du jour au lendemain. Je suis toujours là et je pèse sur la course. » Le double dauphin de Froome est remonté, prêt au combat. Alberto Contador reste un peu plus évasif et lyrique : « Franchement, j’aimerais le gagner (le Tour), mais ce que je veux d’abord, c’est le vivre au mieux étape après étape. C’est difficile mais je ne pense pas ni à me retirer, ni à la Vuelta. Moi, je suis un lutteur, je veux lutter, je peux peut-être gagner. J’aime tellement le Tour, j’aime tellement ce pays et j’ai envie de participer jusqu’à la fin. » En filigrane, la motivation est là.

« Moi je suis un lutteur, je veux lutter, je peux peut-être gagner. J’aime tellement le Tour, j’aime tellement ce pays et j’ai envie de participer jusqu’à la fin. »

Alberto Contador

Parmi les grands du peloton, cette double offensive a fait mal. Romain Bardet regrettait fort justement que les favoris aient laissé revenir dans la courses deux coureurs d’un tel talent : « C’est dommage, il y avait trois, quatre coureurs qui se dessinaient pour le podium et on laisse revenir dans le jeu beaucoup de monde. J’ai du mal à comprendre le comportement de certains coureurs mais chacun a ses intérêts. Il y a encore beaucoup de route et j’espère qu’on ne s’en mordra pas les doigts à Paris. » La méfiance martelée ces derniers jours n’aura pas suffi. Surtout, cette situation de course va forcément amener à jouer stratégiquement, même si du côté de Movistar, on ne veut pas utiliser le terme d’alliance. « On n’avait pas discuté avant l’étape avec Trek, la preuve c’est que Quintana a chassé Contador pendant 40 kilomètres, raisonne Eusébio Unzué. Je ne crois pas aux alliances. Je crois aux circonstances de course, je pense qu’il y a des objectifs communs à certains moments comme la dernière fois à Chambéry où les gars ont roulé ensemble pour distancer un peu plus Nairo et Alberto. Je crois au travail en commun pour conserver sa position, pas aux alliances. »

Gracias

Il en faudrait, pourtant. Car Nairo Quintana, n’avait pas un un coup de pédale aérien aujourd’hui. L’image d’un Barguil ramenant aisément un Colombien à la peine sur Mikel Landa et Alberto Contador en est l’illustration. En cela, les étincelles d’aujourd’hui pourraient ne jamais allumer le grand feu permettant de brûler les Froome, Aru, Uran et Bardet. D’autant que la gâchette du Pistolero est également un peu grippée : « C’est un Tour très difficile. Je suis en bonne condition, mais j’ai du mal à récupérer la nuit. Psychologiquement, c’est dur à cause de ces chutes qui sont arrivées au moment où je me sentais le mieux. Chaque matin, je me lève avec la sensation d’avoir été frappé. » Les deux coureurs sont donc encore loin d’un niveau qui leur permettrait de renverser la situation. Mais aujourd’hui, il y a eu une belle course avec de grands champions comme Quintana ou Contador qui, blessés dans leur orgueil, sont, le temps d’une étape, revenus dans le match.

Alberto Contador est un coureur qui n’abandonne jamais ses rêves. Il ne laisserait pas de multiples chutes et des jambes moins fringuantes que jadis l’arrêter. Alors quand il a attaqué à soixante-dix bornes de l’arrivée, cela n’a pas vraiment surpris. La fierté du Madrilène était trop puissante pour qu’il reste fantomatique un jour de plus. Et, lorsque l’Espagnol fut pris en chasse par Nairo Quintana huit kilomètres plus loin, on comprenait que la route menant à Foix devenait folle. Les deux dépassaient enfin leur frustration et faisaient rêver leurs publics dépités par ce début de Tour calamiteux. Alberto Contador le confiait d’ailleurs à l’arrivée, au delà des minutes gagnées, le but était aussi de faire le spectacle. « Je veux remercier les fans pour la force qu’il me donnent. Je dois profiter de ce que je suis capable de faire. Et si les gens apprécient devant leurs télés, c’est génial. » Sentimental. L’échappée belle n’aura peut-être pas de lendemain et la reconquista pourrait vite cesser. Mais elle aura eu le mérite d’exister. Alors, pour clore cette journée un peu folle, un mot vient à l’esprit. Gracias.

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