Il y a un mois, vous annonciez souffrir d’un trait de fracture au talon droit, comment ça va aujourd’hui ?
Ça va normalement, il n’y a plus rien. J’ai eu l’autorisation de reprendre le vélo et le sport tout doucement. Mais je continue ma coupure pour le moment. Avec l’année que j’ai faite, j’ai besoin de souffler un bon coup et de repartir à zéro, je pense que ça ne peut pas me faire de mal.
Votre saison a été marquée par les blessures, dont une fracture du fémur en février. Comment l’avez-vous vécu ?
Sur le moment ça a été. Je me suis dit ce c’était rien, que ça arrive dans une carrière. La plupart des coureurs ont déjà connu au moins une grosse chute. Du coup je suis resté motivé, j’ai pris mon mal en patience : quasiment trois mois sans courir et un mois alité, c’est assez long. Mais je suis revenu, et j’ai demandé à l’équipe de courir le plus possible avant les championnats de France pour essayer de retrouver un bon niveau rapidement. C’est comme ça que ma saison s’est relancée, petit à petit. Au début j’ai subi, même sur le Tour de Bretagne, en classe 2. Puis ça a été de mieux en mieux.
Au Tour de Bretagne justement, c’est comme si vous débutez votre saison au mois de mai, en décalé par rapport aux autres. Quelles étaient les sensations ?
Le premier jour, je me suis dit que ça allait être compliqué, j’étais complètement dépassé par le rythme. Alors je me suis accroché, je me suis dit que ça allait aller, que j’avais quand même quelques acquis derrière même si ça faisait trois mois que je n’avais pas couru. Les premières étapes j’ai réussi à aider les gars, je retrouvais des sensations. Mais au bout de sept jours j’étais complètement rincé, j’ai dégouliné les deux derniers jours. J’ai refait la même chose aux 4 Jours de Dunkerque, puis après ça je me suis un peu plus entraîné et quand je suis revenu au GP de la Somme, j’ai enchaîné et j’ai senti que j’avais franchi un pallier, que ça allait mieux.
Vous étiez à un bon niveau au début de l’été, sur la Route du Sud puis aux France, ça vous a redonné le moral ?
« En 2016, l’équipe m’a fait comprendre que d’accord j’avais été champion du monde, mais que je devais être plus sérieux. C’était lors du stage qu’on avait fait un peu avant Paris-Nice. J’avais abordé 2016 moins sérieusement que j’avais terminé 2015. Donc j’ai eu des torts de mon côté, même si c’est un peu fort comme mot. »
La Route du Sud, j’étais même un peu déçu car je pensais être mieux dans l’étape du Tourmalet. Alors le lendemain, j’ai voulu me faire plaisir en allant dans l’échappée, et c’est allé au bout. Mais depuis mon titre de champion du monde je n’ai pas souvent joué la gagne donc j’étais un peu en manque de repères. Mais ça m’a redonné un peu de confiance de voir que je pouvais être là sur des courses de bon niveau. Puis aux championnats de France, dix jours après, j’étais vraiment bien, mieux que je ne l’imaginais.
Malgré tout vous n’avez pas été sélectionné pour le Tour. Pour vous, était-ce une déception ou un choix logique de l’équipe ?
Ca a été une grosse déception. Même aujourd’hui, j’ai un peu de mal à comprendre la sélection, mais ce n’est pas à moi d’en juger. C’est comme ça.
Sans votre blessure de février, pensez-vous que vous auriez été sur le Tour ?
Je ne sais pas. Je ne peux pas le dire… J’espère que oui. J’aurais pu faire un bon début de saison avec Paris-Nice, et si j’avais montré ce que j’ai montré en juin plus tôt dans la saison, j’aurais peut-être eu un pied dans la sélection.
Comment avez-vous vécu ce Tour, devant la télé mais avec pincement au cœur ?
Forcément, oui. Surtout que ça me tenait vraiment à cœur d’y participer. Mais il se trouve que début juillet j’ai été invité par Look à l’Alpe d’Huez pour tout ce qui est présentation des nouveaux vélos, essai avec les collaborateurs. Et j’ai pris ça comme des vacances, pour me déconnecter. J’ai été roulé à l’Alpe d’Huez, j’ai profité avec Look. Ça m’a coupé de mon quotidien, ça m’a évité de trop réfléchir et ça m’a permis de faire une semaine en altitude. Je suis resté concentré mais sans trop me prendre la tête, et j’ai abordé la deuxième partie de saison un peu plus confiant que d’habitude.
Il y a deux ans à Richmond, vous deveniez champion du monde espoirs, on imagine que vous espériez faire deux premières saisons un peu différentes chez les pros…
Honnêtement j’espérais qu’il y ait beaucoup plus. Mes deux premières années ont été compliquées, je n’espérais pas du tout que ça se passe comme ça.
Qu’est-ce qui vous a manqué ?
Pour 2017, je dirais que ça se joue surtout sur les blessures. Dès que j’ai pu courir et m’entraîner correctement… (Il se reprend) C’est un peu paradoxal mais au mois d’août, sur le Tour de l’Ain, j’ai vu que j’avais progressé en montagne. J’ai terminé 4e de la dernière étape avec le Grand Colombier. Donc j’ai progressé dans les domaines où j’ai travaillé, pourtant je n’ai que 54 jours de course et trois mois d’arrêt dans ma saison. Donc il y a du positif quand même.
Ressentez-vous une attente particulière autour de vous, due à votre titre de champion du monde chez les espoirs ?
Pas spécialement. En tout cas dans l’équipe, ce n’est pas la sensation que j’ai, on ne me met pas la pression plus qu’un autre parce que j’ai été champion du monde. Mais c’est moi qui ai des attentes vis-à-vis de moi-même. Des objectifs personnels qui me tiennent à cœur et que cette année je n’ai pas pu réaliser. La frustration est surtout personnelle.
L’équipe se satisfait-elle de votre rendement ?
C’est compliqué dans la mesure où j’ai été arrêté souvent. Mais si on remonte un peu plus, en 2016, ils m’ont fait comprendre que d’accord j’avais été champion du monde, mais que je devais être plus sérieux. C’était lors du stage qu’on avait fait un peu avant Paris-Nice. J’avais abordé 2016 moins sérieusement que j’avais terminé 2015. Donc j’ai eu des torts de mon côté, même si c’est un peu fort comme mot. Après, j’ai aussi eu pas mal de soucis l’an passé, je suis tombé à Béssèges, j’ai été malade au printemps et je suis retombé au Tour de l’Utah, ce qui m’a arrêté trois semaines. Donc depuis mon titre de champion du monde, je n’ai pas été bagué. Mais j’ai des attentes, et l’équipe m’a fait comprendre que quand j’ai des moments difficiles ils sont là pour me soutenir, mais quand je montre que je suis à un bon niveau, ils me font confiance et ils attendent des résultats de ma part, ce qui est légitime compte tenu de ce que j’ai fait avant.
Ça vous a fait un déclic immédiatement ?
J’ai eu un déclic tout de suite, oui, mais j’ai mis un ou deux mois à me rendre compte que ce n’était pas moi qui avais raison.
Vous êtes arrivé trop à l’aise chez les professionnels ?
« Depuis les Mondiaux espoirs, la confiance qui me rendait fort entre guillemets, qui me permettait de faire ce que j’ai fait, je ne l’ai pas retrouvé souvent voire pas du tout. Peut-être au mois d’août après mon Tour de l’Ain, mais c’est tout. »
Trop à l’aise je ne sais pas. En fait en arrivant des amateurs on ne connaît rien du monde professionnel, ça court complètement différemment, on n’a pas de repères. Alors je ne dirais pas ça non. Mais en 2015, mon objectif était les Mondiaux, dès le début de saison je savais que je courais pour ça. Chez les pros, je suis parti un peu dans l’inconnu, je ne connaissais pas les courses et je n’avais pas d’objectifs précis, c’est ça qui m’a manqué. J’aurais dû me fixer des objectifs et pas me dire : “C’est ta première ou ta deuxième année, essaie d’être régulier toute la saison.”
Votre père (Yvon Ledanois, directeur sportif chez BMC) vous avait-il mis en garde sur ce qui vous attendait chez les pros, avant que l’équipe vous fasse la remarque ?
Oui, bien sûr. Mais quand on reçoit une réflexion de son père ou de quelqu’un de très proche, on n’y prête moins attention. C’est quand on a la même réflexion de quelqu’un d’extérieur qu’on se dit que notre père avait raison, qu’on aurait dû écouter et pas faire la tête de mule comme d’habitude.
Vous êtes un coureur avec habituellement une grande confiance en vous, est-ce que ces derniers mois ont plombé cette confiance ?
Oh oui, oh que oui ! Enfin les derniers mois pas tellement, parce que la fissure au talon que je me suis faite en tombant à l’entraînement, je n’y peux rien, ça arrive. Mais depuis les Mondiaux espoirs, la confiance qui me rendait fort entre guillemets, qui me permettait de faire ce que j’ai fait, je ne l’ai pas retrouvé souvent voire pas du tout. Peut-être au mois d’août après mon Tour de l’Ain, mais c’est tout.
Vous êtes en quête de cette confiance pour redonner le meilleur de vous-même ?
(Il hésite) Oui, je pense. Avec un peu de recul… (Il se reprend) Inconsciemment, quand j’ai cette confiance là, je cours mieux. Je ne sais pas trop comment expliquer ça.
Vous êtes plus efficace ?
Oui c’est ça. Ça me permet de retrouver mes repères beaucoup plus facilement.
L’an prochain, Fortuneo va passer dans une autre dimension avec l’arrivée de Warren Barguil. Vous dites-vous que les places seront encore plus chères ?
Oui, forcément. Surtout qu’il y a des arrivées en World Tour, avec des garçons d’expérience. Alors déjà la concurrence dans l’équipe va être plus forte, et en plus pour le Tour par exemple, il n’y aura que huit places. Donc ce sera compliqué. Mais l’arrivée d’un gars comme Warren change aussi des choses. On ne pourra pas dire qu’on aimerait aller au Tour si on est à 90%, là il faudra être à 100% et montrer qu’on mérite notre place.
Pensez-vous qu’il aurait fallu y être cette année pour avoir plus de chances d’y être l’an prochain ?
Non je ne pense pas, parce que je pense que personne n’est certain dans l’équipe d’aller au Tour l’an prochain. Mais ça aurait été nécessaire pour avoir une expérience sur trois semaines.
Votre père va aussi arriver dans l’équipe en tant que directeur sportif, le prenez-vous comme une chance ?
Non, pas spécialement (rires). Bien sûr je suis content qu’il vienne, c’est une belle expérience je pense. Mais je connais aussi mon père mieux que personne, et je sais que quand il est strict il est strict, que quand il faut taper du poing sur la table il le fait. Beaucoup ne le connaissent pas encore sous cet aspect. Et je sais aussi que pour donner l’exemple, on dit souvent qu’un père est encore plus strict avec son fils. Donc je sais plus ou moins à quoi m’attendre. Mais je sais que si je suis sérieux, tout ira bien.
Est-ce que ça peut créer pour vous un environnement encore plus familier, qui vous aide à retrouver la confiance ?
Je dirais que ça peut jouer. Mais le plus important sera de pas être malchanceux et de retrouver des sensations rapidement. L’environnement dans l’équipe, je pense qu’il va changer. Pour moi, ça va rester familier parce que mon père arrive, mais on ne peut plus rester comme avant, se dire que tout va bien, et quand ça ne va pas on verra plus tard. L’équipe va entrer dans une nouvelle dimension, et quand ça ne va pas, on ne peut pas attendre, il faut tout de suite se poser les bonnes questions.
Il faudra être davantage perfectionniste sur tout ?
On n’est pas en World Tour, on n’en est pas encore à rouler tous les jours en tête du peloton sur le Tour, mais si on veut épauler Warren pour qu’il fasse un Tour aussi bon que cette année, il faut être cent fois plus rigoureux à l’entraînement et en dehors. Il faut être au millimètre.
« Quand j’ai vu que je n’avais pas mal pour rien, qu’il y avait vraiment quelque chose, j’ai saturé, j’en avais marre. Je me suis dit : ‘Si c’est ça tous les ans, je vais arrêter le vélo.’ »
Si on se projette en 2018 et que vous êtes sur le Tour, cela voudra dire que votre saison est réussie ?
Non, ma saison sera réussie si j’ai le niveau pour aller au Tour. Surtout que le Tour l’an prochain part de chez moi, alors ce n’est pas l’objectif de mon année, c’est celui de mon début de carrière. Le grand départ est à 30 kilomètre de chez moi, je connais par cœur les trois premières étapes.
Avez-vous peur de revivre une non-sélection que vous ne comprendriez pas ?
Oui, surtout que ça m’embêterait encore plus. Mais je m’attends aussi à être un peu plus sollicité sachant que le Tour part de chez moi. Dans l’équipe tout le monde sait que quand une course part de là où on habite, on est toujours un peu plus motivé que d’habitude. Et là c’est le Tour, or tout ce qui touche au Tour est multiplié par cent.
Pensez-vous qu’il est temps pour vous de prendre une autre dimension, d’incarner en partie le projet Fortuneo derrière Barguil, d’être un des maillons forts de l’équipe ?
Je pense que la question résume exactement ce que je veux pour 2018.
Dans cet optique, vous vous dites que c’est normal d’être passé par des galères au début ?
Oui, mais j’étais rendu à un point… La chute du début de saison, ça allait. Mais celle de fin de saison, à l’entraînement en plus, sur laquelle j’ai insisté parce que j’ai couru deux semaines avec mon talon fissuré… Quand j’ai vu que je n’avais pas mal pour rien, qu’il y avait vraiment quelque chose, j’ai saturé, j’en avais marre. Je me suis dit : « Si c’est ça tous les ans, je vais arrêter le vélo. » Donc le fait de complètement débrancher me fait du bien, je décompresse. Je n’ai pas encore fixé de date précise pour reprendre l’entraînement. Ce sera fin octobre ou début novembre je pense, pour repartir à zéro en 2018.
qui avais >> qui avait raison
Petite faute inattention ; ) Et merci pour votre boulot…
Je dois vous avouer que j’ai eu un petit doute, mais après vérification c’est bien “qui avais”.
Ben oui, 1ère personne du singulier, imparfait, -ais.