Ponctué par de nombreux retournements de situation, des révélations pas forcément attendues, et des remontées au classement général, le dernier Tour d’Italie aura une nouvelle fois mis en lumière les incroyables facultés physiques de Ryder Hesjedal. Le Canadien, vainqueur à Milan en 2012, n’est plus dans la forme de sa vie, et s’est logiquement avancé dans un déclin inévitable, mais la course rose, elle, le stimule toujours autant. Pourtant, à la veille de la première journée de repos, qui le voyait finir cinquième à l’arrivée ?

En connaissance de ses limites, il s’est façonné sa trajectoire

Avant le sacre d’une carrière au mois de mai 2012, Hesjedal était plutôt reconnu dans le peloton pour sa régularité durant les classiques ardennaises, ainsi que ses capacités à répondre présent dans les moments clés, y compris sur les Grands Tours. Quatrième d’un Tour de Catalogne, deux fois huitième de Tirreno-Adriatico, vainqueur d’étape en haut de l’Alto de Velefique sur la Vuelta en 2009, le natif de Victoria possède déjà des bases solides quand l’année 2010 survient comme un véritable tournant. Après avoir évolué dans l’ombre des surprenants Vandevelde, Danielson et Wiggins, Hesjedal prend les devants quand la trentaine fait son apparition. Deuxième de l’Amstel derrière Gilbert, neuvième à Huy puis douzième à Liège, c’est le début d’une belle série qui le voit remporter une étape en Californie, puis terminer sixième du Tour de France à la surprise générale. Quand Ryder possède les clés du camion, les choses semblent toujours se passer sans accroc notable, et il faut dire que le maillot Garmin lui a toujours conféré un certain gage de stabilité. Très proche de Jonathan Vaughters et des autres membres du staff de l’équipe américaine, Hesjedal s’est toujours senti comme chez lui, et sa neuvième saison dans la même structure le montre bien. Alors, à 32 ans, il faut bien se trouver un objectif ultime. En-dessous des meilleurs du moment comme Wiggins, Froome et Evans, ayant ciblé le mois de juillet, il se tourne alors vers le Giro. Et dans un cyclisme ou les attaquants ne s’emploient pas suffisamment, il va tout simplement crucifier Joaquim Rodriguez dans la dernière boucle chronométrée. Un scénario cruel, mais un Tour d’Italie mérité au vu de son état de grâce.

Premier cycliste canadien à remporter un Grand Tour, telle est la destinée de ce coureur au gabarit peu commun aux vainqueurs sur trois semaines. Ancien spécialiste du VTT, il n’est pas spécialement le plus léger dès que la route s’élève, et sa puissance lui avait même permis d’animer l’étape pavée du Tour en 2010, ou il n’était pas loin de l’emporter avant de voir revenir sur lui Thor Hushovd. Capable d’une certaine polyvalence, entre classiques et courses par étapes, mais surtout très agile sur le vélo, Hesjedal a réussi à se créer un palmarès comparable aux grands. Mais cependant, il fut normal de ne pas le voir franchir le dernier palier supplémentaire. Vaincre une si grande épreuve à 32 ans fait figure d’avènement, et dans son cas, ce fut presque au-delà des espérances que l’on pouvait attendre de lui. Concurrencé en interne par la progression du jeune Andrew Talansky, catalogué dès ses débuts comme un crack en puissance des Grands Tours, Hesjedal n’a pas cherché à y opposer la moindre résistance. Décrochant ses meilleurs résultats en profitant d’une relative sous-estimation, d’un anonymat médiatique, l’ancien champion du Canada face à la montre a mué dans un registre d’électron libre, ou la combativité est reine. Restant à la disposition des managers en cas de faillite collective, sa philosophie reste de prendre les événements jour après jour. Souvent payant.

L’homme de la troisième semaine

Et tout au long du dernier mois de mai, Hesjedal a tenu honneur à sa réputation. Accompagné du talentueux italien Davide Formolo au départ de San Lorenzo, le Nord-Américain n’a pas paru très en jambes pendant les premiers jours. Absent des ardennaises et d’une “Doyenne” qui lui a toujours plus ou moins souri, largué du Down Under à la Romandie, on a longtemps pensé qu’Hesjedal avait coulé en se prenant plus de cinq minutes dans la vue à la Spezia, quand Formolo, lui, triomphait. Mais dès le lendemain, au terme de la première arrivée au sommet, à l’Abetone, il revenait dans la danse. Complètement oublié au moment de préciser une opposition entre Contador et les Astana, Hesjedal a troqué son masque de souffrance pour une hargne résolument offensive. Il fréquente alors de manière assidue les échappées dès la neuvième étape, sans jamais réussir à trouver l’ouverture. C’est sans doute son plus grand regret d’après-course, puisque le général n’aura jamais été une priorité absolue. Dans les bons coups dès lors que les fuyards se sont joué la victoire, le roc canadien a systématiquement buté sur plus fort que lui. Tiralongo, Zakarin, Landa, Gilbert, et enfin Fabio Aru, auront privé l’expérimenté leader de la Cannondale-Garmin d’un succès de valeur, lui qui n’a jamais levé les bras à proprement parler sur une épreuve dont il a pourtant soulevé le trophée.

Comme Steven Kruijswijk, très actif depuis la montée vers Campitello Matese, Ryder Hesjedal aura réalisé une incroyable remontée dans la deuxième partie du Giro, pour coiffer des adversaires qui se seront progressivement éteints. 29ème à 6’11 de Contador au soir de la septième étape, vingtième avant le long chrono de soixante kilomètres, c’est sur ces routes humides qu’il s’est relancé dans la course aux classements finaux. Revenu quinzième à Valdobiaddene, il a enfin intégré le top 10 au soir de l’Aprica, profitant des errements de Rigoberto Uran et Giovanni Visconti. Sans s’arrêter en si bon chemin, il a ensuite fait le spectacle dans le Monte Ologno en accompagnant un Alberto Contador virevoltant ce jour-là. Récupérant plus d’une minute sur les autres, ses deux podiums consécutifs sur les deux dernières grandes étapes de montagne lui auront offert une cinquième place inespérée à Milan. Devant König, mais derrière Amador, qui avait trusté les premières places dès le départ. Ceci dit, le podium était bel et bien inenvisageable, tant le trio Contador-Aru-Landa était supérieur en tout points aux autres protagonistes. Mais Hesjedal a fait abstraction des circonstances, et s’est remobilisé progressivement, avant de rivaliser avec les tous meilleurs à la pédale dans les derniers instants. En somme, dans le pur style du moteur diesel. Et cela pourrait encore nous donner de belles choses dans un mois, ou il sera aligné côte à côte avec Talansky. Sauf si la fatigue le rattrape.

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