La crise financière, leitmotiv incontournable pour les pays méditerranéens dans le domaine sportif, a pour habitude désagréable de contraindre les organisateurs des courses cyclistes à composer avec de moins en moins de fonds. Si certains arrivent in extremis à proposer une formule réduite en faisant l’impasse sur quelques étapes, ou à transformer leur épreuve en une classique attractive, d’autres n’y arrivent pas, et mettent la clé sous la porte. Sauf qu’en ce début de saison 2016, une épreuve historique refait son apparition dans le calendrier européen, le Tour de la Communauté Valencienne. Une nouvelle aussi inattendue que bénéfique pour un pays comme l’Espagne, en quête de nouveau souffle.

L’angoissant gouffre ibère

Quand en 2008, Ruben Plaza remporte ce qui était alors la 66ème édition d’une course par étapes remontant à 1929, l’Europe semblait encore éloignée du phénomène grandissant aux Etats-Unis, la fameuse crise des subprimes. Touchant ménages, banques et par la suite collectivités territoriales, cette onde de crise s’est propagée en un intervalle très court en Europe, et est à l’origine des ravages économiques que connaît l’Espagne aujourd’hui, ou près d’un jeune sur deux est au chômage. Si l’on parle d’économie, c’est bien parce que la gestion des fonds publics et privés a un rôle de plus en plus primordial pour pérenniser les organisations des petits événements cyclistes, très populaires dans les pays du sud de l’Europe. Finançant de manière soutenue ces épreuves, les communautés autonomes espagnoles ont lourdement payé les pots cassés de la conjoncture économique délétère. Un tournant auquel le Tour de Valence n’a pu résister, à l’image plus récente du Tour de Calabre, de Sardaigne, de la Semaine Lombarde en Italie, ou encore du Tour Med’ en France, qui a dû se résoudre à prendre une année sabbatique avant de revenir avec un format repensé. Sérieusement concurrencés qui plus est par les nouvelles courses moyen-orientales, attirant sans cesse les meilleurs chasseurs de classiques ainsi que les stars du sprint, les rendez-vous méridionaux souffrent d’une accumulation de circonstances défavorables. De quoi sérieusement compliquer la donne pour trouver un repreneur, même lorsqu’une personne passionnée y met du cœur à l’ouvrage.

Le cas de l’Espagne mérite donc toute notre attention, et ne doit pas se limiter aux seules disparitions des courses. Combien de temps le pilote de Formule 1 Fernando Alonso a t-il fait miroiter les coureurs d’Euskaltel-Euskadi laissés sur le carreau, faute d’avoir réussi à réunir les ingrédients nécessaires à la création d’une équipe professionnelle en Espagne ? Le retrait des emblématiques maillots orange en 2013 a laissé un vide incommensurable et symbolise la faiblesse de l’offre de sponsoring. Les exigences de sécurité pour les investissements à moyen terme étant sans cesse croissantes, difficile de rallier managers, coureurs, et PDG autour d’un même objectif, à savoir promouvoir le cyclisme auprès des jeunes générations et amener une équipe sur la Vuelta, sans que chacun pense à ses propres intérêts. Et là, l’Espagne fait figure d’exception avec un rare vide d’équipes continentales professionnelles aux portes du World Tour. Hormis Movistar, hégémonique, et Caja Rural, systématiquement invitée au départ du tour national depuis 2012, plus aucune équipe espagnole n’est en mesure de s’aligner sur les grandes épreuves et de progresser en visibilité. Encore présente en 2011, la formation Andalucia a déserté les circuits en février 2013, envoyant un staff et des coureurs au chômage. Xacobeo Galicia, elle, n’a pas survécu aux cas de dopage de ses deux flèches, Mosquera et Garcia Dapena. Pour compléter le tour de table, citons Saunier Duval qui a dit stop à l’hiver 2008, Relax-GAM en 2007 ou encore Kelme en 2006, autrefois dénommée sous l’appellation Comunidad Valenciana. Et on ne peut pas dire que le dopage soit étranger à l’absence de propositions de sponsors. Les casseroles généralisées qu’a connu le cyclisme de la péninsule durant l’affaire Puerto a mené à un vrai trou noir.

Les frères Casero, du vélo au business

Mais là où certaines structures italiennes n’hésitent pas à débaucher des compagnies étrangères afin de financer leurs équipes – elles aussi mises en péril par le contexte d’effondrement budgétaire et des cas de dopage -, le cyclisme espagnol n’a jamais tenté de s’engager dans cette voie. Essayant de revenir à ses racines, à savoir la passion amateur, des passerelles ont été développées entre le VTT, le cyclo-cross, et la route, tandis que l’équipe Movistar s’est davantage investie à l’échelon réduit des centres de formation. Mais malgré ça, la qualité du vivier d’espoirs s’est considérablement amoindrie, loin derrière les générations allemande, britannique, norvégienne, française et belge. Ruben Fernandez, vainqueur du Tour de l’Avenir en 2013, et Marc Soler en 2015, ont immédiatement fait le grand saut en compagnie d’Eusébio Unzué, mais ne semblent pas promis aux palmarès des Contador, Rodriguez, Valverde, Sanchez, Heras ou Beloki qui ont tant monopolisé la scène des grands tours dans les années 2000. Parmi les fers de lance du cyclisme ibérique, il y avait aussi Angel Casero, lauréat de la Vuelta en 2001. Il a eu un rôle très important dans la renaissance du Tour de Valence. Eloigné des routes depuis sa retraite sportive en 2005, c’est avec son frère Rafael, également ex-professionnel, qu’il est parti en expédition autour des acteurs économiques pour sauver l’animation sportive de la cité valencienne, déjà sinistrée par les échecs à répétition du Grand Prix automobile. Une expérience de terrain, permettant de se confronter aux nouveaux enjeux d’une course cycliste moderne et « branchée ». Dans ce sens, la retransmission télévisée est une condition non négociable auprès des petites communes du littoral et de l’arrière-pays, désireuses de bénéficier d’un spot publicitaire haut de gamme au mois de février pour amorcer les flux touristiques de la belle saison.

Casero a également bénéficié d’un léger coup de pouce du destin. Aux avants-postes des retombées économiques, avec ses longues plages de sable fin densifiées par les nouveaux éléments d’architecture hôtelière, la communauté autonome de Valence s’est permis une légère hausse de budget concernant la caisse dédiée aux sports. Entre 2010 et 2016, 4000 euros supplémentaires ont pu être débloqués grâce à la concrétisation d’un accord avec la Banque de Sabadell, officialisé en septembre dernier. Casero s’est félicité auprès des médias locaux d’avoir pu reconstituer la fête que représente l’épreuve. Nous sommes idéalement situés, juste après le Challenge de Majorque et avant la Ruta del Sol, donc cela s’insère parfaitement pour les équipes qui s’entraînent et courent dès le mois de janvier sur le sol espagnol », a-t-il expliqué. Ouverte par un contre-la-montre vallonné mercredi, l’édition 2016 s’annonce riche en passes d’armes, avec le retour du mur de Xorret el Cati en guise d’étape reine. Enfin, l’Espagne se dote désormais d’un vrai programme de courses alternatif au nouveau calendrier de préparation passant par San Luis, Dubaï, le Qatar et Oman. Déjà fondateur du programme de formation “Demarrage Valenciana”, Angel Casero a réussi son pari, à savoir s’implanter en tant qu’investisseur, et redynamiser son sport. Côté attractivité, Joaquim Rodriguez, Fabio Aru et Dan Martin sont les principales têtes d’affiche en vue du classement général, mais des coureurs de tous les horizons ont souhaité découvrir ou redécouvrir le Tour de Valence. En espérant qu’en cas de succès à l’arrivée finale dimanche, Banco Sabadell consolide son engagement auprès du valeureux Casero. On se souvient qu’après la victoire de Juan José Cobo sur la Vuelta 2011, l’équipe Geox-TMC avait mystérieusement claqué la porte après une seule saison d’engagement. On peut cette fois espérer une autre issue. Cette initiative a le devoir de la réussite.

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