Ouverte, cette Amstel Gold Race l’était. Même beaucoup, lorsque les favoris annoncés ont très vite fait comprendre par le biais de leurs équipiers qu’ils n’étaient pas disposés à bouger avant les trois derniers kilomètres. À peine perturbé par Roman Kreuziger et Tim Wellens, le cours normal des choses a pu reprendre dans la dernière ascension du Cauberg. Et ô surprise, le plus fort se nommait finalement Enrico Gasparotto. Déjà vainqueur à Valkenburg en 2012, le puncheur italien ne pouvait rendre un hommage plus émouvant à son ami Antoine Demoitié, tragiquement décédé sur Gand-Wevelgem. La belle histoire.
De retour sur le devant de la scène
Cela faisait trois ans qu’une équipe continentale professionnelle n’avait pas remporté une prestigieuse classique du calendrier World Tour, en l’occurrence MTN-Qhubeka sur Milan-Sanremo. Un petit exploit, surtout sur ce type de parcours où les formations invitées ont plutôt tendance à briller dans les échappées matinales. Sauf chez Wanty, où l’on a toujours eu les moyens de s’offrir un leader sur les classiques ardennaises : Björn Leukemans dans ses dernières années, et désormais Enrico Gasparotto, pour emmener la prometteuse jeune garde. Huitième l’an passé, l’Italien est d’ailleurs dans toutes les mémoires depuis sa victoire en 2012, lorsqu’il battait Jelle Vanendert et Peter Sagan au sommet du Cauberg pour la dernière édition de l’ancienne formule de la classique limbourgeoise. Alors âgé de 30 ans, celui qui avait débuté sa carrière chez Liquigas en 2005 donnait l’impression d’atteindre le point culminant de sa carrière, bâtie autour des courses d’un jour, sa seule spécialité. Champion d’Italie sur route pour sa première saison professionnelle et deuxième de Tirreno-Adriatico lorsque l’épreuve était encore dépourvue de grands cols en 2008, le Sicilien a toutefois connu sa période faste lors de son passage chez Astana, entre 2010 et 2014, résumée par son succès sur l’Amstel et un podium sur Liège-Bastogne-Liège la même année. Pas de quoi lui offrir pourtant autre chose qu’une reconnaissance médiocre dans le peloton.
Personne n’osait donc faire du Transalpin un grand favori, ce dimanche. Sauf peut-être lui-même. Deuxième de la Flèche Brabançonne derrière le nouveau phénomène Vakoc, Gasparotto reste sur un mois de mars satisfaisant, accompagné de tops 10 sur le Tour de Catalogne. Discret et bosseur, l’homme n’a pas pour habitude de faire parler de lui, transmettant une dimension très scolaire de l’effort sur sa machine. « J’ai fait mes devoirs », confiait-il après la course de mercredi, avouant toutefois être « déçu de ne pas avoir pu gagner pour Antoine Demoitié ». Ce n’était que partie remise. Le décès de son ex-coéquipier il y a moins d’un mois lui a visiblement procuré la motivation nécessaire pour se transcender après 250 kilomètres d’une course qu’on voyait mal échapper à un chasseur de classiques. Dans le Cauberg, au moment où Petr Vakoc démarrait très timidement, Gasparotto a contré avec une aisance déconcertante, rattrapant Wellens, seul en tête durant le dernier tour de circuit, comme une flèche. Finalement embarrassé par la présence du courageux danois Michael Valgren dans sa roue, l’Italien n’a jamais paru inquiet, et se savait supérieur au coureur de Tinkoff par sa pointe de vitesse. Au terme d’un sprint facile, c’est rempli d’émotion qu’il s’est empressé de dédier cette performance à son camarade défunt.
Quels scénarios pour la suite de la semaine ?
Cet hommage est sans doute tout ce que l’on retiendra de ce dimanche de vélo aux Pays-Bas, censé donner le ton de la campagne des ardennaises. Parce que cette Amstel Gold Race-ci, réduite à son parcours majoritairement décrié, ne fait plus la part belle aux grands coureurs du printemps, qui sont maintenant uniquement focalisés sur deux rendez-vous, la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège. Deux courses qui n’échappent plus à l’attentisme non plus, contrairement à des classiques flandriennes qui nous ont offert un cru 2016 exceptionnel d’intensité et de rebondissements. Durcie avec l’introduction d’une nouvelle difficulté entre la côte de Saint-Nicolas et la montée vers Ans, la «Doyenne« peut-elle retomber dans les mains d’un attaquant, et nous éviter des sprints franchement peu emballants, qui pourraient amener les mauvaises langues à comparer ces rendez-vous à leurs petites sœurs nationales, quelques semaines auparavant ? Sonny Colbrelli, troisième du jour, et Loïc Vliegen, neuvième, avaient fait pareille impression sur le Tour du Limbourg, disputé en parallèle du Ronde. Triste comparaison.
Mais si la course n’a clairement pas emballé, attention à ne pas tomber dans la surenchère négative. Personne ne peut enlever à Enrico Gasparotto le mérite d’avoir gagné pour la deuxième fois une classique éprouvante, traversant les chemins de campagne les plus étroits de cette région. Bastion historique de Philippe Gilbert, le Cauberg a souri au leader d’Hilaire van der Schueren. Le manager général de la formation belge espérait pouvoir placer trois coureurs à l’avant dans le final, il a réussi. Devriendt, précocement échappé, et Thurau, remuant, auront mâché le travail pour un finisseur expérimenté, profitant des erreurs des autres. Battu par Colbrelli et Coquard pour la troisième place, Michael Matthews n’a jamais été en mesure de l’emporter, malgré un sacré travail d’Albasini et Impey pour le replacer. Gilbert, Dumoulin, et Kwiatkowski, ont déçu en étant rapidement lâchés, et les cadors attendus paraissaient venir uniquement en préparation de la semaine à venir. Tout le contraire d’un Gasparotto brillant, qui a offert une belle leçon et un hommage.
Une étrange Amstel, où certains favoris ont sauté avant même le Cauberg et les autres ont manqué d’audace par attentisme ou manque de condition, alors qu’ils se savaient battus au sprint… L’épouvantail Matthews échoue encore mais différemment cette fois, et Gasparotto et Valgren Andersen sont récompensés pour leur audace.