L’étape andorrane, décortiquée par les observateurs avant l’heure du départ, devait faire très mal. Il faut dire qu’avec 5230 mètres de dénivelés en 138 kilomètres, les organisateurs de la Vuelta avaient tout simplement tracé l’une des étapes de grand tour les plus difficiles de l’histoire. Six cols, dont un classé hors-catégorie, quatre de première, une arrivée au sommet, et une succession de descentes techniques, il y allait forcément avoir des coureurs qui resteraient sur le carreau au lendemain de la journée de repos. Froome, tombé dès le kilomètre trois, y a tout perdu.

Le Tour d’Espagne, théâtre de désillusions

Chaque champion a ses courses fétiches, et d’autres où les résultats ont parfois du mal à être réédités. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, et pour la quatrième fois, la Vuelta semble se refuser au Britannique Christopher Froome. Détonnant à partir du chrono de Salamanque en 2011, il avait fait le show dans les pentes de Peña Cabarga, mais avait dû s’incliner face au «CVNI» Cobo, auteur du hold-up de l’année dans les pentes de l’Angliru. En 2012, le “Kenyan Blanc” est encore plus fort, mais ne peut suivre la cadence infernale des grimpeurs espagnols sur une épreuve qui leur était dessinée sur mesure. Titré sur la Grande Boucle en 2013, il est ensuite revenu en Espagne l’année suivante, pour prendre sa revanche après avoir chuté en France. Sauf que dans les mêmes conditions, Contador le priva d’une telle rédemption, au terme d’un passionnant duel. 2015 offrait finalement à l’Anglais la possibilité de signer le premier doublé Tour-Vuelta depuis Bernard Hinault, 37 ans après. Les déclarations optimistes, après avoir tué le suspense en juillet dans les Pyrénées, laissaient entrevoir un personnage extrêmement motivé à l’idée d’entrer dans la légende. Mais l’excitation et l’envie n’ont pu combler un manque de fraîcheur évident, couplé qui plus est à une chute malvenue.

Déjà vendredi, à l’occasion de la septième étape, Froome avait cédé trente secondes à l’Alpujarra, au terme de la première vraie journée de montagne. Et ce alors que les favoris supposés avaient peinés à se mettre en action, laissant aux seconds couteaux leur heure de gloire. Lindeman battait Koshevoy et Cousin, tous issus de l’échappée matinale, tandis que derrière, Chaves et Dumoulin restaient tout en contrôle. Mais déjà, le double vainqueur du Tour avait montré ses limites sur un col de 18 kilomètres aux pentes douces. Une mauvaise impression qu’il s’est empressé de vouloir corriger par la suite, en faisant preuve de punch dans la très pentue Cumbre del Sol. Toujours derrière Dumoulin, il avait finalement fait mieux que tous ses autres adversaires directs, soit Rodriguez, Quintana, Valverde et Aru. Celui qui avait demandé à ses équipiers d’accélérer le rythme avant le Caminito del Rey lorsque Vincenzo Nibali en bavait, pointait à 1’18 ce matin du maillot rouge, et rêvait sûrement de se refaire la cerise d’ici le prochain week-end. Mais la brutalité du relief de la Principauté l’aura stoppé net.

Les pots cassés d’un Tour trop exigeant ?

Froome, méconnaissable 32ème de l’étape à presque neuf minutes de Mikel Landa, n’est pas le seul à avoir souffert aujourd’hui. Sauf que, contrairement aux autres perdants du jour, son corps a dit stop, et la défaillance fut inévitable. Déjà usé par des entraînements harassants et un rythme infernal depuis la Ruta del Sol en février, le natif de Nairobi ne pouvait plus supporter le moindre aléa venant jouer contre sa faveur. Quel coureur parmi les 175 rescapés garderait son moral intact en devant attendre sa voiture, seul, au pied du premier monstre proposé, et ce après seulement trois kilomètres ? Touché, contraint de s’arrêter quelques minutes à hauteur de la voiture médicale, le Britannique était déjà au bout de ses forces après un effort colossal pour rejoindre le peloton dans la première descente, lancé à vive allure par l’équipe Astana. Plus loin, la terrible Collada de la Gallina était alors l’ascension de trop pour “Froomey”, obligé de se ranger aux côté des meilleurs équipiers dans les groupes attardés.

Des images de douleur, qui symbolisent avant la préparation infernale infligée par l’équipe Sky à ses coureurs de grands tours, qui finissent l’année généralement sur les rotules. Porte, excellent en 2013, avait déchanté en 2014, avant de revenir en début de saison 2015. Même Wiggins, hors du coup sur le Giro 2013, avait reconnu ne pas pouvoir enchaîner de tels programmes, justifiant son envie de revenir à la piste. Alors, certes, à 30 ans, Froome sait sans doute bien mieux se gérer que lorsqu’il s’est retrouvé au sommet de la hiérarchie il y a quatre ans, mais cet aspect là devra forcément être retravaillé si le désir du doublé Tour-Vuelta refait son apparition. Malgré tout, on aurait également tort de charger à tort son clan. L’intensité du dernier Tour de France a contrasté avec certaines éditions des années passées, et le rush final des Alpes n’avait pas grand chose en moins si l’on compare cette troisième semaine au format de celle du Tour d’Italie.

En augmentant significativement le nombre d’arrivées au sommet sur son épreuve, Christian Prudhomme a fait le pari du spectacle, mais n’a pas facilité la tâche à ces forçats de la route. Quintana et Valverde, omniprésents d’Utrecht à Paris, ont bien caché leurs carences avant Cortals d’Encamp, où les pentes finales à 11% auront fait tomber les masques. Les seuls à enchaîner ces deux grands tours sans problème pour le moment se nomment Rodriguez, Majka ou Meintjes. Un trio qui prenait le gruppetto un jour sur deux pendant le mois de juillet. Les sortants du Giro, eux, ne sont pas très nombreux, mais brillent de mille feux. Fabio Aru a revêtu le rouge, Mikel Landa gagné l’étape reine en solitaire, et Esteban Chaves réalise les meilleures performances de sa jeune carrière. Plus que jamais, le doublé Giro-Vuelta semble le plus accessible. Enfin, autre point essentiel à signaler, les conditions climatiques. Les chaleurs records de l’été en France auront fait d’immenses dégâts dans les organismes, tandis que les départs donnés depuis la pointe Sud de la Péninsule Ibérique ont toujours été torrides. À l’avenir, Froome devra peut-être songer à d’autres plans pour garnir son palmarès ailleurs que sur son terrain de chasse qu’est le Tour.

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