Alors que les écarts sont déjà immenses, la lutte pour le podium du Tour d’Italie tend de plus en plus à s’affiner. Le chrono de 59 kilomètres samedi, puis l’arrivée au sommet de Madonna di Campiglio ce dimanche, ont sensiblement fait tomber les masques qui pouvaient encore persister depuis la première semaine. Porte est passé à la trappe, Uran a sombré, le top 10 paraît ouvert comme jamais. Et le nouveau troisième du classement général se nomme Andrey Amador. Le Costaricien ne s’est jamais retrouvé dans une telle position, mais réalise pour l’instant un Giro tout en maîtrise. Pourrait-il être l’attraction du podium milanais ?

28 ans et enfin la tranquillité

Plus que la valeur des résultats récents, Andrey Amador se satisfera toujours d’une chose plus qu’une autre, pouvoir vivre une carrière aux apparences normales. L’un des rares coureurs d’Amérique Centrale du peloton  en compagnie des frères Brenes qui évoluent dans des équipes continentales aux États-Unis aura d’abord vécu des premières années chaotiques, bien que cet adjectif soit un gros euphémisme. Simple espoir hispanique au sein de la cosmopolite Caisse d’Épargne, les ennuis ont débuté au jour de l’an 2011. S’entraînant alors comme n’importe quel autre cycliste sur des routes escarpées, le natif de San José est alors pris pour cible par un groupe de délinquants locaux non loin du village de San Rafael de Heredia. Attirés par la valeur de son vélo, les brigands lui tendent un piège avec leurs voitures, puis se jettent sur lui. Pris de panique, le jeune homme tente en vain de leur échapper, et s’enfuit à travers une plantation de café. Mais ses agresseurs parviennent à le rattraper, le rouent de coups au visage, au thorax, aux reins, et lui tirent dessus au taser. Resté pendant six heures dans le coma, Amador se réveille à huit heures du soir sur des rochers, non loin d’une rivière. Laissé pour mort, on peut parler de miraculé. Victime d’une contusion pulmonaire et d’une paralysie rénale, il est remis sur pied en un rien de temps par les médecins de la nouvelle Movistar, et reprend la compétition sur le Challenge de Majorque.

Éloigné de la rude vie des campagnes d’un pays possédant un taux d’homicide volontaire de 11%, Amador se met péniblement en selle dans le monde européen du cyclisme. Les embuscades sauvages semblent bien derrière lui, mais les chutes, elles, l’accompagnent régulièrement, avec des dégâts parfois lourds. Premier coureur de son pays à disputer le Tour de France, une douleur à la cheville le contraint à passer une bonne partie de Grande Boucle aux prises avec la voiture balai. Rechute encore, fin 2012, au Tour du Piémont, où il se fracture le radius, le métacarpe, et se luxe un doigt. Entre-temps, Amador Bikkazakova avait tout de même connu le septième ciel, en remportant en échappé la quatorzième étape du Tour d’Italie au sommet de Breuil-Cervinia. Omniprésent à l’avant pour son premier Giro, l’électron libre d’Eusébio Unzue comptait bien retrouver la même dynamique après avoir guéri ses plaies de l’automne 2012, mais ses rêves de saison 2013 pleine se sont envolés sur Liège-Bastogne-Liège. Goûtant au bitume avant la montée de la Redoute, le verdict est sans appel : fracture de la clavicule. Tout est encore à refaire pour ce jeune coureur au profil encore un peu flou. Grimpeur, baroudeur, ou même coureur complet ? Vainqueur du prologue et cinquième du Tour de l’Avenir en 2008, treizième de l’Eneco Tour en 2009, le début de saison 2013 laisse entrevoir de belles perspectives avec une huitième place finale sur Tirreno-Adriatico et une dixième à Gand-Wevelgem.

Un habitué du Tour d’Italie

Le parcours d’Andrey Amador n’a donc pas grand chose de commun avec ceux d’Aru, Kruijswijk, König, qu’il défie en ce mois de mai. Ni même avec Rigoberto Uran, son homologue colombien qu’il connaît très bien en raison de leur passé commun à la Caisse d’Epargne. Mais force est de constater qu’au départ de San Lorenzo al Mare, si Amador était inconnu aux yeux de la majorité du grand public, qui oublie très vite les anciens vainqueurs d’étape en son sol, l’Italie, elle, n’avait plus le moindre secret pour Andrey. Exception faite à la saison 2013, où son abandon sur la Doyenne l’a stoppé dans une belle dynamique, Amador a toujours disputé le Giro depuis quatre ans, et presque toujours avec les mêmes partenaires. Le fidèle Beñat Intxausti, l’expérimenté Giovanni Visconti, Igor Anton, les frères Izagirre et Herrada font partie de son entourage proche sur trois semaines, mais également sur les épreuves World Tour de sept jours. Reparti de la meilleure des manières en juin 2013 sur le Tour de Suisseterminant cinquième du chrono en côte, celui qui défend les couleurs d’un territoire que l’on surnomme volontiers comme « la Suisse de l’Amérique Centrale » a progressivement acquis une régularité en signant de bons points de passages. Sixième du Tour de Pologne l’an passé, Amador s’est merveilleusement bien intégré au collectif de l’équipe espagnole, en contribuant par exemple à la victoire sur le chrono par équipes d’ouverture de la Vuelta, mais surtout en étant l’un des éléments les plus importants pour Nairo Quintana sur le Tour d’Italie 2014.

Sacrifiant de Belfast à Trieste sa carte personnelle pour celle de son ami sud-américain, Amador a franchi un vrai cap mental, et énormément appris de cette épopée victorieuse de l’autre côté des Alpes. Très à l’aise dans ce rôle de coéquipier modèle, Amador n’a pas oublié pour autant ses propres ambitions, et s’est mis en tête de bien performer sur le Giro 2015 dès qu’il a su que Quintana et Valverde iraient sur le Tour de France. Désormais solide rouleur, le bonhomme a pris du galon, et s’est rassuré à Lausanne lors de la dernière étape du Tour de Romandie, déjà sous la pluie. Au sein d’une formation Movistar partant surtout avec comme objectif principal des victoires d’étapes, Amador a remarquablement tiré son épingle du jeu en restant au chaud pendant les joutes initiales. Absent de tout top 10 d’étape jusqu’à ce dimanche, le Costaricien semble surgir au meilleur des moments, surfant sur une forme allant crescendo. Quinzième d’un exercice solitaire éprouvant entre Trévise et Valdobiaddene, mais aussi jamais inquiété dans les chutes et cassures jusque là, Amador a crânement joué sa chance sur les pentes de Madonna di Campiglio, après avoir résisté sur les pentes du Passo Daone quand Porte, Uran, mais aussi Hesjedal lâchaient prise prématurément. Fort de nouvelles qualités d’endurance mais aussi de récupération, sa troisième place provisoire au général est amplement méritée. Déjà en 2012, c’était en début de troisième semaine qu’il s’était illustré. Bis repetita dans les prochains jours, avec la maturité en prime ?

À l’arrivée du chrono samedi, il déclarait sur le site de son équipe que : « Je suis excité d’y faire face, je veux me battre pour conserver cette place. Nous allons courir jour après jour. Avec cette équipe, nous avons toujours un homme dans le coup pour jouer une victoire. Notre groupe est courageux, nous sommes venus ici pour gagner des étapes, et animer la course : je pense que nous tenons bien notre rôle. […] Nous allons nous donner à 100% pour cette troisième place : nous réévaluerons notre stratégie pendant le dernier jour de repos lundi.” Pointé à 4 minutes et 19 secondes d’Alberto Contador, Amador n’a pas les jambes pour aller le titiller, ni lui ni Fabio Aru. Ses adversaires sont plutôt à chercher du côté de Mikel Landa, supersonique depuis l’Abetone, et Leopold König, la force tranquille de chez Sky. Mais avec 2’17 de marge sur le Tchèque, on serait tenté d’y croire. Parce qu’après tant de péripéties, de malheurs, et face à une telle abnégation à reprendre le vélo, un podium au général d’Andrey Amador serait forcément quelque chose d’inouï.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.