Parti en pleine ascension du Col du Glandon quand la grande échappée de 29 coureurs commençait dangereusement à se désorganiser sous l’effet de la difficulté, Romain Bardet a réalisé une chevauchée victorieuse à travers les quarante derniers kilomètres de l’étape pour s’imposer en solitaire à Saint-Jean de Maurienne. Enfin sur le devant de la scène après un début de Grande Boucle des plus chaotiques, entre cassures et mauvais jours tout au long de la première semaine, il s’agit surtout d’une victoire au culot qui n’est autre que sa marque de fabrique.

La position du chasseur, il l’adore

Petit flashback en 2012. Encore néo-pro, le natif de Brioude, dans la Haute-Loire, découvre les classiques ardennaises et le très haut niveau à l’occasion de l’Amstel Gold Race, course d’un jour de plus de 250 kilomètres. Parti dans l’échappée matinale, le jeune français d’AG2R la Mondiale va très vite se révéler comme le plus incisif du groupe, et portera de nombreuses attaques afin de se détacher de ses compagnons de fortune, passifs, et ce jusqu’aux derniers monts du parcours. Repris à sept kilomètres du sommet du Cauberg, Bardet rentre dans le rang, mais s’est déjà forgé une réputation de casse-cou, sans crainte, refusant l’attentisme au profit du romantisme traditionnel. Fort d’un caractère de vrai classicman, l’Auvergnat a toujours su tirer son épingle du jeu dès lors que le terrain lui semble propice. Par exemple sur Paris-Nice, en 2013, ou il flaire le bon coup dans une côte de troisième catégorie précédant l’arrivée dans sa ville natale, emmenant dans sa roue Andrew Talansky. Dix-huitième de son premier Milan-Sanremo, Bardet sait supporter de telles distances, mais commence également à prendre du plaisir sur les petites courses par étapes. Grand gagnant d’un Tour de l’Ain, le voici qui commence à diversifier son profil, utilisant intelligemment son gabarit frêle de puncheur dans la montagne. Mais le tout avec une ligne directrice bien à lui, ne jamais avoir le moindre regret. Deuxième d’un Tour de Catalogne des plus serrés aux côtés des grands, il finit dixième de la “Doyenne” au forceps, et réussit un incroyable tour de passe-passe sur la route de Courchevel. Dans une étape de folie, en montagnes russes, il démarre dans la côte de Domancy, et demeure comme le coureur à l’initiative du retournement de situation.

Une constance remarquable

Pas avare d’efforts, et bien épanoui au côté de la force tranquille Péraud, et des explosifs Betancur et Pozzovivo, Bardet s’est lancé avec brio dans le grand bain du Tour de France, terminant premier français en 2013, puis sixième de l’exceptionnel cru 2014 dans le clan bleu-blanc-rouge, en se permettant même de tenter quelques offensives lointaines dans les descentes, un art qu’il semble apprécier tout particulièrement. Apprécié du public pour son sens du spectacle, son humilité, et son aisance sur le vélo, Romain Bardet évolue dans un registre différent de Thibaut Pinot. Sans doute plus régulier, le garçon se livre à fond sur une saison, de mars à octobre, avec un panache lui servant à décrocher de belles victoires. Sur le Dauphiné, à l’heure de la répétition du Tour, c’est lui qui avait faussé compagnie à Froome et Van Garderen au sommet du Col d’Allos, pour les reléguer à plus d’une minute dans la périlleuse descente. Son succès à Pra-Loup aura donc été annonciateur d’une démonstration similaire sur l’échéance juillettiste dans le même massif. Les mauvaises langues, certes, pourront dire que le coureur de 24 ans aurait pu être plus soucieux du sort du malheureux Fuglsang, victime d’une moto suiveuse folle dans le Glandon, mais la victoire du jour témoigne d’une grande lucidité tactique. Hier, Simon Geschke avait également choisi la solution lointaine, anticipant les difficultés en s’extirpant du groupe de tête après un temps mort trop long faisant suite au sprint intermédiaire. Bardet, peut-être conscient qu’un Fuglsang ou un Rolland pouvaient lui poser des problèmes dans les lacets de Montvernier, a préféré porter l’estocade assez loin de l’arrivée. Forcément plus classe.

De quoi faire oublier une entrée cauchemardesque ?

Puisqu’une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le grimpeur de poche de Vincent Lavenu en a également profité pour remonter dans le top 10 d’un classement général aux écarts colossaux si l’on s’éloigne des premières positions. Le voilà désormais sur les talons d’un Bauke Mollema comme souvent à la peine en troisième semaine, et devant Warren Barguil, resté au chaud. Presque inespéré, quand on sait que ses espoirs de bon classement final se sont rapidement détériorés, d’abord par un mauvais chrono à Utrecht, puis par les innombrables bordures survenues dans le Zélande, avant d’être relégué en dehors des vingt premiers à la Pierre Saint-Martin. Estomaqué par le retour de Stephen Cummings à Mende, toutes les conditions étaient réunies pour que Bardet craque, et de ses propres aveux, il n’était pas loin de tout lâcher. Mais c’est bien son moral de battant qui a refait surface, se lançant à la conquête de victoires prestigieuses dans les Alpes. La déception de la première moitié du Tour, peut-on dire, est donc en partie mise de côté, même si avec ces jambes là, nul doute qu’il aurait aimé batailler plus souvent avec les quatre fantastiques. Ce n’est que partie remise, et en ultime lot de consolation, le maillot à pois se profile. Ex æquo au classement avec Joaquim Rodriguez, la bataille s’annonce serrée demain et samedi, avec une accumulation de géants. La Croix de Fer à deux reprises, la Toussuire, et l’inclassable Alpe d’Huez, pour une dernière bataille de toute beauté, avec comme but un podium à Paris. À lui de faire mouche dans le sprint final alpestre, avant de s’envoler vers de nouveaux objectifs.

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