En proposant de nombreuses arrivées au sommet, les organisateurs de la Vuelta ne pouvaient forcément pas s’attendre à une explication impitoyable entre les grands favoris dès le pied des difficultés. Du coup, comme en 2013, la porte est grande ouverte pour les outsiders et autres noms pas forcément les plus ronflants du peloton. Excellents coureurs de l’ombre, ou jeunes pépites, ils auront tous leur mot à dire. Et à ce jeu là, c’est Esteban Chaves qui a tiré le premier.

L’histoire d’un petit miraculé

Naturellement grimpeur comme tant d’autres coureurs de son pays, la Colombie, le jeune Esteban Chaves est sans doute celui qui détient le potentiel le plus difficile à jauger parmi les dernières gloires des circuits espoirs. Et ce, dû en grande partie à son terrible accident du mois de février 2013, alors qu’il évoluait encore sous les couleurs de la patrie, chez Colombia-Coldeportes. Heurtant à grande vitesse un panneau de signalisation en chutant sur le Trofeo Laigueglia, le Sud-Américain est victime d’un traumatisme crânien et de multiples fractures au coude, à l’épaule, ainsi qu’à la main. Une main droite qui lui posera bien des soucis, puisqu’au terme de sa période convalescente initiale, la mobilité qui lui est liée n’est pas totalement revenue. D’ailleurs, les médecins ont toujours déclaré qu’à long terme, Chaves ne pourra jamais récupérer son aisance de vingt ans. Son père, Jaire, allait même raconter à Esciclismo que son fils pensait sérieusement à ranger le vélo pour de bon au garage, ne pouvant compter sur cet organe précieux. C’est finalement au début de l’année 2014 que le natif de Bogota opère un retour inespéré à la compétition. Il faut dire que l’équipe Orica-GreenEDGE, en quête de coureurs d’avenir, lui a accordé une grande confiance, et eut le mérite de croire en la résurrection du vainqueur du Tour de l’Avenir 2011, rapidement catalogué comme un futur coureur de Grands Tours.

Les attentes de longue date placées en lui ne l’ont jamais véritablement déstabilisé, et au fil de sa découverte du monde World Tour, le petit grimpeur va faire son trou au sein d’une équipe pourtant radicalement opposée, aux premières idées venues, à la philosophie colombienne axée autour de la montagne. Détenteur jusqu’à présent de deux victoires professionnelles sur le circuit continental, il se révèle en mai en remportant l’étape reine du Tour de Californie, puis confirme à l’occasion du Tour de Suisse, s’adjugeant l’arrivée au sommet de la station de Verbier, devant des favoris trop attentistes. Disputant en Espagne sa première course de trois semaines, il franchit un nouveau palier cette année en tant qu’élément clé de la formidable semaine de son équipe sur le Giro. Un temps deuxième du général, il sera resté dans le top 10 pendant huit jours. Revenu une nouvelle fois sur la Vuelta, plein de fraîcheur après une coupure remontant au Tour de Suisse, Chaves avait visiblement envie de passer l’étape supérieure en ces premiers jours, et a saisi tout simplement la première opportunité qui lui fut tendue. Vainqueur de la deuxième étape en battant Tom Dumoulin, mais surtout en distançant Nicolas Roche et son illustre compatriote Nairo Quintana à la pédale, Chaves était tout simplement le plus fort ainsi que l’un des plus audacieux du jour. Le maillot rouge lui revient donc logiquement, alors que la victoire d’un second couteau présumé fut plus ou moins prévisible.

Une nervosité à leur avantage

Car depuis le départ hier sur la plage de Puerto Banus, et même depuis le milieu de la semaine, le Tour d’Espagne est sous le feu des projecteurs pour des raisons bien diverses, rajoutant une tension palpable. Jugé inacceptable par une bonne partie du peloton, le tracé du contre-la-montre par équipes d’ouverture a anesthésié certains favoris, satisfaits de rouler pour du beurre, et aiguisé les appétits des revanchards. Ainsi, dans cette perspective, les coureurs offensifs ne faisant du classement général leur objectif principal se sont retrouvés confortés dans leur course à un succès de prestige, et au maillot rouge de leader. Au pied de l’Alto de Mesa, ascension irrégulière alternant passages à 11% et replats, les grands noms de la liste de départ avaient sans doute envie de souffler quelque peu après la polémique de la veille et la chute massive survenue avant le sprint intermédiaire. En 2013, la première étape en ligne s’était achevée en haut du Monte da Groba par une victoire surprise de Nicolas Roche en puncheur, tandis que Chris Horner pointait déjà le bout de son nez en attaquant. L’Américain avait même pris le pouvoir le lendemain sur une arrivée semblable.

Pour autant, doit-on voir en Esteban Chaves et Tom Dumoulin les nouvelles grosses côtes pour la suite des hostilités ? Bien évidemment, la donne n’est pas figée, et l’attaque de Nairo Quintana, elle, s’est retrouvée en plein milieu de banderilles émanant des chasseurs d’étapes. Le Colombien avait sûrement envie de durcir la course pour Valverde, mais s’est retrouvé en pôle position trop tôt, avant de sous-estimer la grinta de ses compagnons d’échappée. On assiste donc à une épreuve en manque de repères établis, et ou le flou semble pouvoir demeurer pendant encore quelques jours. Virevoltant, Chaves ne semble inquiéter personne, tandis que du côté des rivaux des leaders, personne ne semblait avoir envie de contrôler directement le poids de l’épreuve. De plus, on en sait encore très peu sur les ambitions et possibilités réelles de chacun. Une fenêtre s’est donc ouverte pour les possibles animateurs d’un Tour d’Espagne pour l’instant atypique. Si les sprinteurs devraient en découdre demain à Malaga, les battus d’aujourd’hui voudront répliquer dans les jours à venir face à un Chaves tout sourire. On préfère ça à un sprint en côte, autant le dire.

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