Et dire que certains ne croient pas aux miracles. Dans la vie d’Esteban Chaves, 27 ans, il y en a déjà eu deux. Deux fois, déjà, le Colombien est passé près de la mort. Alors bien sûr, c’est peu dire que sa carrière cycliste fut proche de ne pas voir le jour ou, plus tard, de s’arrêter brusquement. Et pourtant, il est toujours là. Plus haut que jamais dans la hiérarchie du cyclisme mondial.
De la maternité au paternel
17 janvier 1990. Esteban Chaves vient au monde à Bogota. Et déjà, il fait face à un premier défi : celui de vivre. « Je suis né tout petit, pâle et laid, racontait-il au journal colombien El Tiempo, il y a plusieurs mois. J’ai été intubé, placé sous oxygène, mes veines étaient reliées à des tuyaux. J’étais pâle et pratiquement mort. » Finalement, le garçon s’en sort. Et très vite, se retrouve mis sur un vélo par son père. Un paternel qui avait rêvé de cyclisme toute sa jeunesse, bridé par un père qui voulait faire de lui un menuisier. Alors il a voulu offrir à son fils la chance qu’il n’a pas eu : celle de choisir. Le vélo, au départ, est un jeu pour Chaves. Mais son père a toujours les mêmes mots à la bouche : « Allons faire du vélo ». Non pas qu’il soit tyrannique, ou même désireux de faire de son fils un champion. Mais il vit son rêve à travers lui.
Alors le garçon enfourche sa monture. Et se rappelle : « Nous faisions souvent du vélo dans un parc. J’utilisais les bosses pour faire des sauts. Un jour, je suis tombé et mon visage a frappé le sol. Ce jour-là, mon père était au milieu de la route, et au lieu de m’aider, il a dit : ‘Lève toi, tu peux le faire. Sois fort, sois un homme.’ Alors j’ai répondu : ‘Si tu veux un champion, tu n’as qu’à l’être toi-même.’ Et je ne suis pas revenu. » Chaves est encore un enfant, mais déjà, il a son caractère. Il fera de sa vie ce qu’il en a décidé, et rien d’autre. Pendant quelques années, il s’est mis à la natation puis à l’athlétisme. Mais il continuait de rouler, le plus souvent sur le vélodrome de Bogota. Jusqu’à gagner ses premières courses, signer ses premiers contrats, et devenir professionnel en 2009 dans l’équipe Colombia.
Chute, aiguille et main gauche
16 février 2013. La carrière de Chaves est lancée, il a un pied dans le vélo. Vainqueur du Tour de l’Avenir deux ans plus tôt, il fait partie des plus grands espoirs de sa génération. Mais sa vie bascule. Comme à sa naissance, tout est remis en question, jusqu’à son existence même. En cause, une lourde chute sur le Trofeo Laigueglia. Lésion cérébrale traumatique, contusion pulmonaire, le grimpeur colombien fait peine à voir. Rapidement, son état est stabilisé, sa santé plus en danger. Mais reste un problème : les nerfs de sa main droite jusqu’à son cou sont touchés. Il est opéré, mais les jours passent et rien ne s’améliore. « Je me disais « Bordel de merde ! Est-ce que la chirurgie s’est mal passée ?’ », se rappelle-t-il. Mais il n’a pas le temps de s’apitoyer sur son sort. Il doit s’adapter pour continuer à vivre. Il apprend petit à petit à tout faire de la main gauche.
Ecrire, manger, se laver les dents, tout devient un calvaire. Chaves en vient à pleurer. « A quoi va ressembler la vie de ma mère, de mon père, de mon frère, si l’on doit tout le temps s’occuper de moi ? » Quatre mois complets passent sans que son bras ne réponde. Jusqu’à un jour d’août 2013. On est sept mois après sa terrible chute. Le Colombien, comme chaque semaine, doit stimuler ses nerfs en s’introduisant une aiguille dans le bras. Il y a enfin une petite réaction. C’est le début de la guérison. Esteban Chaves patiente finalement jusqu’en avril 2014, plus d’un an après les évènements, pour pouvoir lever à nouveau le bras. Mais plus jamais il ne pourra le lever aussi haut qu’avant. Tant pis, il peut malgré tout remonter sur un vélo.
Froome, Armstrong et le Tour
Parce qu’en même temps que son corps se remet tout doucement, l’équipe Orica lui propose un contrat pour l’année 2014. « Quand ils m’ont appelé, j’ai cru qu’ils se foutaient de ma gueule. Une offre d’Australie, alors que j’étais quasiment un retraité du cyclisme ? » Chaves est sous le choc. Mais c’est une chance inespérée. Orica l’accompagne dans sa rééducation, et en janvier 2014, Esteban Chaves reprend la compétition. Comme si de rien n’était, il étrenne toujours son incroyable sourire. Et il a gardé sa surprenante modestie. Il juge que Nairo Quintana est un surdoué, mais pas lui. Pourtant, désormais, il compte deux podiums de grands tours et un monument au palmarès. Sur la dernière Vuelta, il accompagne même Quintana et Froome sur le podium de Madrid. Le Britannique lui glisse alors quelques mots à l’oreille. « Il m’a dit qu’il était très content d’être sur le podium avec moi. Et que j’avais un grand avenir qui m’attendait. »
Esteban Chaves a découvert le Tour de France en étant fasciné par Lance Armstrong et rêve de rouler sur les Champs-Elysées maillot jaune sur le dos. Alors peut-être y’aura-t-il un jour, dans sa vie, un troisième miracle. Mais une victoire sur la Grande Boucle n’en serait pas vraiment un. Il s’agirait simplement d’un accomplissement. En clin d’œil à son père, qui en a tant rêvé, sans jamais pouvoir aller plus loin. Et en clin d’œil à la vie, qui par moments ne semblait plus vouloir de lui, avant de se rétracter en lui faisant, à 23 ans d’écart, deux incroyables cadeaux. Deux miracles.
c’est un très beau portrait de ce sympathique coureur colombien . La vie ne lui a pas fait de cadeau mais il a toujours la banane . Il a du se battre pour être là où il en est et j’espère qu’il pourra se battre avec les meilleurs sur le tour . Ca serait sympa de le retrouver sur le podium à Paris .
Petit clin d’œil:
« Il apprend petit à petit à tout faire de la main gauche »
« il (le bras droit) ne pourra le lever aussi haut qu’avant »
Sur votre article d’août 2015 il a pas l’air d’avoir de difficultés à lever le bras droit ;)