Initialement, cette Vuelta ne devait s’apparenter qu’à une remise en jambes, certes musclée, pour un Alberto Contador cherchant à se remettre d’aplomb après une chute dévastatrice sur la fameuse dixième étape du Tour de France. Une blessure à la jambe dont personne ne savait la réelle gravité et l’incidence qu’elle pourrait avoir dans les moments clés, au point même d’avancer une tentative de bluff savamment construite de la part d’ “El Pistolero”. Timoré en première semaine ? Ses deux victoires en haut de la Farrapona et donc du Puerto de Ancares auront suffit à la majorité du public pour en faire le vainqueur naturel d’une Vuelta qui ne lui a, en toute somme, jamais échappée.

Un épilogue savoureux

Cela était quasiment devenu un classique à l’exception de l’édition 2011. Depuis 2010, la Vuelta propose une arrivée au sommet imposante comme juge de paix ultime des trois semaines de compétition, comme pour garder une indécision totale sur le papier. La Bola del Mundo nous avait offert un duel remarquable entre Nibali et Mosquera en 2010, et en 2012, lorsqu’elle opposa Alberto Contador à Joaquim Rodriguez et Alejandro Valverde, pas encore mathématiquement écartés. L’an dernier, c’est carrément le monstre des Asturies, à savoir l’Angliru, qui a scellé la victoire de Chris Horner face au “Requin de Messine”. Alors, en 2014, Unipublic a renouvelé cette formule en proposant le Puerto de Ancares par une voie alors inconnue, empruntant une route de campagne beaucoup plus étroite et pentue qu’il y a deux ans. Chris Froome se devait de tenter le tout pour le tour afin de décrocher le maillot rouge, mais l’avantage psychologique ne s’est finalement pas inversé sur le fil. Aucun retournement de situation digne des polars donc, mais une ascension montée à un rythme effréné. Troisième du jour, Valverde pointe à 57 secondes, tandis que le sixième, Warren Barguil, a franchi la ligne avec 2’51 de retard. La faute à des favoris qui ont souhaité utiliser la totalité du col final pour s’expliquer. Joaquim Rodriguez, un cran en-dessous tout au long du Tour d’Espagne, a donné le ton en s’extirpant dans des pentes dépassant les 10%, puis, Froome a honoré les attentes qui pesaient sur ses épaules.

Attaquant coup sur coup dans son style caractéristique, on était bien loin de l’incompréhension tactique du Monte Castrove, où le leader de Tinkoff n’avait pas suivi son dauphin. Bien dans sa peau, en danseuse à l’image de ses plus belles heures, Contador a attendu le dernier kilomètre, là où la route se cabrait une dernière fois après un court replat, pour placer l’estocade décisive, enterrant de manière définitive les maigres espoirs d’un Froome qui aura joué avec les bonifications depuis Jerez, en espérant réaliser le coup parfait sur le chrono de Saint-Jacques de Compostelle. Presque propulsé par les afficionados rassemblés en masse dans ce coin de Galice, c’était le moral et le sourire des grands jours pour le natif de Pinto, réussissant à coller en un kilomètre seize secondes à son adversaire principal, n’ayant jamais réussi à se montrer plus incisif hormis durant l’épisode de jeudi. Tel qu’on le connaît, celui qui a retrouvé son étiquette de meilleur grimpeur du peloton ne pouvait pas se contenter d’un unique bouquet en plus de sa victoire finale au moment de faire le bilan. L’impression visuelle se devait d’être maximale, et c’est chose faite en mettant les points sur les «i» au meilleur des moments. L’addition chronométrique est un moindre mal, car on a pendant longtemps senti une certaine retenue traversant son esprit. Le verdict aurait pu être plus lourd…

Un couronnement logique

Car avec seulement une minute et vingt secondes d’avantage sur “Froomey” au départ de Santo Estevo dos Ribas de Sil, la victoire était encore pas totalement offerte à un Contador mentalement transcendé sur ses terres. Deux cas de figure se posaient. Soit l’Ibère remettait les pendules à l’heure et s’assurait un énième Grand Tour dans sa besace sur une montée symbolique, ou bien, à l’image d’un Chris Horner monté en puissance tout au long de l’édition 2013, le Britannique réalisait un exploit de taille pour se rapprocher considérablement de Contador au général avant neuf bornes de contre-la-montre dimanche, où il partirait avec la faveur des pronostics. Mais finalement, si les mauvais esprits ont sans doute titillé le personnage, jamais Alberto Contador n’aura vécu pareille déconvenue. Il a au passage confirmé son étiquette d’indétrônable une fois sa prise de pouvoir effectuée. Revêtant le maillot de leader au soir du premier exercice solitaire lors de la dixième étape, il ne l’a plus lâché par la suite. En 2012, il avait du inventer une parade plus que spectaculaire sur la présumée anodine arrivée au sommet de Fuente Dé pour déloger Joaquim Rodriguez, mais avait tenu bon, tout comme sur les Giri et Grande Boucle acquises, où une démonstration solitaire démoralisait ses concurrents.

Alors, réellement diminué ou non au départ ? La fracture du tibia était-elle un prétexte pour endormir la concurrence, où bien Contador a t-il réussi à récupérer en un été raccourci ? Dans l’hypothèse où un coureur de son standing était bel et bien juste physiquement au moment de disputer les premières étapes, certains coureurs pourront regretter de ne pas avoir saisi les opportunités, qui ne manquaient pas au cours d’une Vuelta encore une fois riche en rebondissement. En fin de première semaine, il y avait ce raidard de la Zubia, ou Valverde et Froome semblaient plus fringuants. Mais dès l’étape d’Aramon Valdelinares, le Contador offensif a refait surface, bien que pas encore totalement dominateur. On aura également inévitablement cette frustration en nous de ne pas avoir pu observer les performances en haute montagne du vainqueur du Tour d’Italie en mai dernier, Nairo Quintana, éphémère leader du général avant le pire contre-la-montre de sa carrière, marqué par une sévère chute, qui se répétera au départ de l’étape du lendemain, contraignant le Colombien à l’abandon. Le plateau annoncé pour le troisième Grand Tour de l’année cycliste était décrit par beaucoup comme royal, et les observateurs salivaient déjà d’avance d’une bataille acharnée. Au final, que retenir de la bataille pour la première place ? Un Contador qui n’aura jamais eu à se faire violence, et qui n’a jamais été poussé dans ses derniers retranchements par un Froome poussif, revenant lui aussi à la compétition après une spirale négative. Quant aux Valverde et autres Rodriguez, ils n’ont jamais inspiré la crainte au double vainqueur de la Vuelta, pouvant laisser le champ libre à Fabio Aru pour des victoires d’étapes, ainsi qu’à quelques échappées. Pendant que certains tenteront de conserver une place parmi les dix premiers à l’occasion de la dernière étape, Contador lui, est assuré, sauf chute ou ennui mécanique, de rejoindre au panthéon de son Tour national Tomy Rominger et ses trois victoires. Il lui en manquera une pour rejoindre Roberto Heras et ses quatre trophées. Et dire que le bonhomme n’a que 31 ans…

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