Ce jeudi, le peloton arrivera sur l’autodrome Enzo et Dino Ferrari, le célèbre circuit d’Imola. Lieu où Ilnur Zakarin triomphait en 2015, sous la pluie et en solitaire, déjouant ainsi les pronostics. Si l’intérêt sportif du jour reste modéré, avec une très probable arrivée au sprint, l’occasion est belle de se remémorer les Mondiaux de cyclisme courus ici même il y a cinquante ans. Une journée qui reste particulière, dans ce temple du sport italien.

Imola, de l’arc-en-ciel au linceul

Prononcer Imola, et les mauvais souvenirs refont surface. La légende du sport s’y est écrite, mais du côté tragique. Un nom ceint d’un voile noir à tout jamais, aux côtés du Heysel, Hillsborough, ou encore Furiani. Point de ballon rond en cet endroit : ici, il s’agit de sport automobile. Le 1er mai 1994, la mort de l’icône de la Formule 1, le Brésilien Ayrton Senna, au détour du virage de Tamburello lors du Grand Prix de Saint-Marin, bouleversa le monde. Associé au décès la veille de l’Autrichien Roland Ratzenberger, l’évènement aura marqué les esprits d’une génération élevée aux exploits de ces champions, dans ce temple de la vitesse qu’est le circuit Enzo et Dino Ferrari. Créé en 1953, son apparition dans le grand cirque de la Formule 1 avant le début des années 1980 va très vite populariser le circuit. Il devient une référence pour pilotes courageux. Les tragédies de 1994, malgré des modifications de tracé bien légitimes, vont peu à peu précipiter son déclin. Si les F1 s’en sont allées en 2006, on y court aujourd’hui en Superbike ou en Porsche Cup. Et les bicyclettes y sont parfois à l’honneur.

Comme en cette année 1968, où se tiennent les Championnats du Monde, le 1er septembre. 1968, année de luttes et de d’agitation. Côté petite reine, on assiste au contraire à une année sans grands éclats. Si Merckx fait la loi sur Paris-Roubaix et sur le Giro, le Tour de France vit une drôle d’édition, avec la célèbre chute de Poulidor du côté d’Albi, le contrôle positif de Jean Stablinski et la prise de pouvoir de Jan Janssen lors de l’ultime étape. Cette année-là, les Italiens sont plutôt discrets sur la Grande Boucle, avec une seule victoire, pour Franco Bitossi. Pour les Transalpins, le véritable évènement de l’été survient à la charnière des mois d’août et septembre, avec les Mondiaux à domicile. A seulement 50 kilomètres de Bologne, au cœur de l’Emilie Romagne, le circuit d’Imola permet aux spectateurs de venir en masse assister aux épreuves. On parle de 300 000 personnes présentes pour l’épreuve élite le dimanche, disputée sous un soleil de plomb.

Tous ces spectateurs n’ont d’yeux que pour un seul homme : Felice Gimondi. Celui qui est à l’époque le meilleur cycliste du pays compte déjà dans son escarcelle une victoire finale dans chaque grand tour, un Paris-Roubaix, un Tour de Lombardie, un titre de champion national. Un palmarès déjà gigantesque à seulement 26 ans. Et à domicile, il doit triompher. Une équipe de solides routiers lui est dédiée, avec notamment Vittorio Adorni, Franco Bitossi, Michele Dancelli ou encore Vito Taccone. Le but du jeu étant de faire échouer Merckx, déjà très en vue depuis de nombreux mois, du haut de ses 23 ans. Une fois l’épreuve lancée, il ne faut pas attendre très longtemps pour voir une échappée conséquente se dégager. Au 50e kilomètre, les quatre lieutenants de Gimondi pré-cités, ainsi que Joaquim Agostinho, Hermann Van Springel, mais surtout Rik Van Looy se font la malle. Tactique surprenante, confinant le leader des Italiens à des tâches défensives. Sans compter que Merckx va aussi y mettre du sien, indirectement.

Alliances au goût de café

On a parfois tendance à oublier que les courses courues sous casaque nationale n’effacent pas les liens solidement bâtis le reste de l’année. Adorni-Merckx, c’est l’histoire d’une fidèle association au sein de la Faema, marque célèbre de cafetières italiennes. L’Italien, deuxième du Tour d’Italie en cette année 1968, fut l’un des plus fidèles soutiens du Belge dans la conquête du maillot rose. Et sous la tunique belge, Eddy Merckx et Rik Van Looy n’ont pas vraiment le cœur à sacrifier leurs intérêts personnels au profit du collectif. Mercix, du coup, ne roule pas. Mais Van Looy, lui, voit dans cette situation une occasion en or de larguer celui qui deviendra le Cannibale. Résultat : le voilà qui s’épuise à collaborer dans une échappée comprenant quatre Azzuri.

Tous deux en fin de carrière, Adorni et Van Looy s’interrogent sur la conduite à tenir. Comme le retrace Daniel Friebe dans l’ouvrage « Eddy Merckx, une vie », l’Italien interpelle le Belge : « Rik, qu’est ce qu’on fait ? On va crever dans cette chaleur ! » « Tu as peur de mourir ? De toute manière, nous sommes vieux toi et moi… » Alors roulons… Et c’est ainsi qu’à 90 kilomètres de l’arrivée, Vittorio Adorni, 31 ans, s’en va seul. Vers sa plus belle victoire. Laissant Van Looy à ses illusions perdues. Curieux destin pour ce natif de l’Emilie Romagne, qui court en ce jour de Mondial quasiment à domicile. Avec déjà un beau palmarès à afficher, puisque garni d’onze étapes et d’un maillot rose sur le Giro ainsi que d’une médaille d’argent lors des Mondiaux de 1964 à Sallanches.

Une année ô combien particulière, car Adorni y a semé un parfum de scandale. Contrôlé positif sur le Tour de Sardaigne, il est suspecté de tricherie sur le Giro, accusé par Marino Basso et Désiré Letort d’utiliser une poire remplie d’urine vierge. Par un tour de passe–passe en coulisses quelques jours après l’épreuve, Adorni, mais aussi Gimondi, également incriminé, seront blanchis. L’échappé transalpin peut donc écraser les pédales sur les routes d’Imola, et s’envoler vers le titre mondial, plus rien ne pouvant entraver sa marche en avant. C’est avec 9’50 sur Van Springel que l’Italien décroche l’arc-en-ciel. Un écart record encore inégalé à ce jour. Le lendemain, Eddy Merckx et Vittorio Adorni, et la bannière Faema, ont les honneurs de la Gazetta dello Sport : « Un parfum de café flotte sur le titre mondial de Vittorio Adorni. »

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