Au terme d’un Giro fou, aussi étonnant que cela puisse paraître, le vainqueur final, Alberto Contador, n’a pas vraiment fait dans l’exubérance et le panache. Se « contentant » d’enfoncer le clou lors des rendez-vous décisifs où il partait avec une petite longueur d’avance au vu de son expérience dans les pelotons, le Madrilène n’a pas réussi à remporter la moindre étape dans la Botte. Mais l’a t-il seulement cherché, à l’heure d’enchaîner le Tour d’Italie avec un Tour de France qui s’annonce complètement différent ?

Un maillot rose qui est devenu un poids

En récupérant le paletot de leader en haut de la montée de l’Abetone dès la cinquième étape, Alberto Contador ne pensait pas qu’il deviendrait si vite la cible de tous ses adversaires. Non, le scénario idéal aurait sans doute été qu’une échappée fleuve, ou du moins non dangereuse pour la troisième semaine, se joue la victoire sur une étape de transition, et que l’Espagnol puisse souffler pendant quelques jours avant les grandes hostilités. Mais il n’en a rien été. Paradoxalement, on dénombre malgré tout huit victoires d’étapes issues d’échappées, dont la dernière à Milan, symbole d’un Giro rapidement devenu incontrôlable, et où les collectifs assez faibles – hormis celui d’Astana – se sont cassés les dents sur des individualités très en verve. Quand tout le monde le pensait trop juste en raison de sa préparation chaotique, Fabio Aru a rapidement pris les devants dans la quête du maillot rose, et n’a cessé de porter des attaques plus ou moins judicieuses dès que le terrain se durcissait. Propulsé si haut dans les classements grâce à l’excellent chrono par équipes de sa formation Tinkoff, Contador est presque arrivé au dépourvu dans la situation d’un patron théorique à qui on a tout de suite demandé d’imposer sa supériorité.

La nervosité elle, n’a pas attendu pour faire son apparition, et a très vite contribué à faire perdre beaucoup de repères aux coureurs, même les plus endurcis. Avec les chutes comme principale incarnation. Tout sourire sur un podium, Contador s’est retrouvé vingt-quatre heures plus tard grimaçant après avoir été impliqué dans un gadin monumental à Castiglione della Pescaia. Ce qui n’a pas échappé aux Astana, qui ont tenté de le pousser à bout dans un premier temps durant la traversée des Appenins. Aru rêvait de lui chiper le rose, et les deux maigres secondes qui l’ont longtemps séparé du Pistolero furent un prétexte idéal pour se lancer dans des offensives à l’efficacité relative. Et déjà, l’homme qui détient désormais sept grands tours à son palmarès voyait double, avec la montée en puissance de l’étonnant Mikel Landa. Très loin d’être une promenade de santé, ce Tour d’Italie 2015 est rapidement devenu d’une intensité monstre pour Contador, stressé en permanence par ses mauvais souvenirs des récentes chutes, et par la menace des démarrages de ses rivaux. Si bien que sur la treizième étape, il a dû céder le rose à Aru, n’ayant pu éviter une énième chute massive. On pensait alors que le Sarde venait de prendre psychologiquement le dessus…

Sans contre-la-montre, qu’en serait-il advenu ?

Aujourd’hui, dimanche, Alberto Contador remporte le Giro avec une marge d’une minute et 53 secondes sur le jeune transalpin, et c’est en partie grâce à sa performance d’il y a huit jours. Il y a un peu plus d’une semaine, Contador a bluffé les observateurs en signant le troisième temps lors d’un exercice solitaire de 59 kilomètres entre Trévise et Valdobiaddene. Pointé à dix-huit secondes du vainqueur Kiryienka, Contador avait relégué un Fabio Aru en grande délicatesse à plus de trois minutes ! Un écart rédhibitoire au moment de faire les comptes. C’est un comble au vu de la personnalité de l’Espagnol, mais le Pistolero a bel et bien forgé sa victoire finale dans un chrono, alors qu’on s’attendait plutôt à y voir Richie Porte ou Rigoberto Uran prendre les commandes. Retrouvant le fauteuil de leader, Contador a tenté d’assommer ses adversaires le lendemain vers Madonna di Campiglio, mais a encore buté, cette fois sur Landa et Trofimov. Les outsiders, à la fête tout au long de l’épreuve, auront constamment remis en cause l’hégémonie du meilleur grimpeur de ces dernières années, qui n’a eu d’autre choix que de limiter la casse, comme sur l’étape du Mortirolo, et dans le Finestre, où pour le coup, on était plus proche d’une défaillance totalement inattendue.

Le fantasque, explosif et décomplexé Contador a t-il changé de style ? Dans les nombreux débats ayant accompagné le mois de mai que nous avons vécu, la possibilité de remporter ce Giro à l’économie, tout en maîtrise, est rapidement apparue. S’il était dans la peau de Vincenzo Nibali en 2013, souhaitant remporter consécutivement Tour d’Italie et Tour d’Espagne, ou Nairo Quintana en 2014, évidemment que Contador aurait sans doute pris plus de risques. Mais dans la perspective de succéder à Marco Pantani, dernier cycliste à avoir victorieusement doublé le Giro et le Tour de France, pouvait-il en être autrement ? Ce n’est pas son patron, Oleg Tinkov, qui dira le contraire. Satisfait de la victoire peu importe la manière, il sait que le contrat est déjà à moitié rempli. À moins que ces joutes italiennes aient exposé des carences plus révélatrices sur son état physique… Âgé de 32 ans, Contador sait bien que 2015 est peut-être la dernière année pour réussir un tel défi. Les sacrifices sont nécessaires. Alors, moins de spectacle et de folie pour une plus grande assurance mentale, ce serait l’idée ? Face à la paire de l’équipe kazakhe, encore bien trop mal coordonnée pour terrasser quelqu’un de sa trempe, cela a bien fonctionné. Mais pourra t-il répéter pareille tactique en juillet, face à Froome, Nibali, Quintana et Pinot, qui se sont déjà ménagés sur les courses World Tour de préparation ? On ne le saura pas dans l’immédiat. Et heureusement, le Giro nous a quand même offert de magnifiques étapes, des surprises et des révélations. Le reste, on en reparlera à Paris.

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