Et dire que la plupart des observateurs le voyaient comme le moins fringuant des quatre larrons désignés pour la victoire finale au départ de San Lorenzo al Mare. Victime de nombreux pépins physiques jusqu’à la fin avril, Fabio Aru a su se remobiliser avec une détermination rare pour son grand objectif, le Tour d’Italie, qui lui sied pour l’instant à merveille. Dans la position du chouchou du public, l’Italien d’Astana est tout simplement déchaîné, et semble obsédé par la quête du maillot rose, sur les épaules de Contador depuis la montée de l’Abetone. Alors, qui est vraiment le patron sur cette course rose ?

Profiter de la fragilité exposée de Contador

Si pendant la cinquième étape du Giro, Alberto Contador avait semblé mater le tempérament offensif de son jeune rival de 24 ans, la situation est toute autre aujourd’hui. En vingt-quatre heures, la donne a changé du côté de l’Espagnol, passé d’un maillot rose serein à une tunique rose pâle plus douloureuse. Avec pour responsable cette chute massive dans un sprint lancé à vive allure jeudi, où le Pistolero s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Souffrant d’une luxation de l’épaule aux conséquences floues, Contador s’est désormais embarqué dans un drôle de périple, oùles caméras et les yeux de ses concurrents semblent rivés sur chaque mouvement de son corps, comme pour y guetter la moindre faille. Une aubaine pour l’équipe Astana, déjà au four et au moulin depuis dimanche dernier. Entre Kazakhs et Russes, l’affrontement ne connait déjà aucun temps mort, et Fabio Aru a réalisé une première semaine tonitruante. Survolté dans le contre-la-montre par équipes, il a ensuite fait rouler ses équipiers pour distancer un Rigoberto Uran trop juste sur les Cinque Terre, avant d’attaquer en personne dans les difficultés de ce début de Giro. Bien aidé par un Mikel Landa des grands jours, Aru court en patron, et l’omniprésence du maillot bleu ciel à l’avant du peloton depuis le coup d’envoi des hostilités laisse penser qu’au fond, c’est bel et bien Astana qui contrôle le scénario de l’épreuve.

Ce dimanche encore, sur les routes tortueuses des Appenins, c’est une équipe très italianisée qui a fait le show, comme pour mieux illustrer ses velléités. Grimaçant par moment, Contador ne s’est pas retrouvé dans la meilleure des positions dans les difficultés intermédiaires, la faute en partie à des lieutenants trop peu rassurants. Relégué à deux secondes du leader de la Tinkoff au soir de l’Abetone, Aru a depuis déclaré la guerre à son ennemi, et s’est décidé à vouloir prendre le maillot rose. En dépit de bonifications perdues face à l’Ibère, le maillot blanc a régulièrement demandé à ses fidèles gregarii, Dario Cataldo ou Davide Malacarne, de venir réduire l’écart avec une échappée dangereuse qui comptait dans ses rangs un Amaël Moinard susceptible de décrocher le rose. Puis dans le Passo Serra, ce fut le feu d’artifice, avec un Mikel Landa toujours aussi aérien qui emmena Aru dans son sillage, avant que l’Italien soit comme toujours le premier à partir à l’abordage pour faire mal à Contador et Porte. Bien accrochés dans la roue, les deux larrons n’ont rien lâché dans la montée. Mais loin de s’arrêter en si bon chemin, Aru a même sprinté sur les 300 derniers mètres pour, à bout de souffle et sur un simple faux-plat, décrocher Contador de son porte-bagage. En vain, puisque le maillot rose résiste encore à ce Fabio Aru qui court pourtant comme le patron.

Mais des détails restent à régler

À l’heure de tirer un premier bilan avant la journée de repos, le collectif Astana ne doit pas pour autant rester sur son petit nuage. Dès hier soir, certaines voix déjà pointaient le mauvais choix tactique de Mikel Landa, qui, à force de vouloir trop en faire, finissait par courir contre son leader, privant Aru de précieuses bonifications synonymes de maillot de leader. Et après ces quelques jours à tout donner pour finalement pas grand chose, on peut se demander si du côté du Sarde, il est judicieux de poursuivre sur cette même dynamique jusqu’à Milan. Acclamé pour son sens du spectacle, le troisième du Giro 2014 ne doit pas oublier que la haute montagne ne commencera réellement à se profiler que dans une semaine, avec l’arrivée en haut de Madonna di Campiglio. En ayant réussi à propager un climat débridé dans la compétition, Aru semble parfaitement à son aise, mais risque de payer ses excès à terme. Au contraire de Richie Porte, qui, par exemple, se contente de suivre les attaques du jeune transalpin, conscient de l’avantage qu’il devrait tirer du futur chrono de 59 kilomètres.

Un exercice où Fabio Aru devrait logiquement accuser le coup, et après lequel il devra entamer la dernière ligne droite de son Tour national avec le maximum de réserves. Face à lui, Contador fait aussi le dos rond, et attend de manière patiente que l’orage se calme. On ne peut pas reprocher au jeune audacieux de ne pas exploiter les fenêtres qui s’ouvrent à lui, mais la stratégie d’Astana peut se révéler périlleuse. On se souvient qu’en 2012, les Liquigas avaient couru comme une équipe défendant le maillot rose pour favoriser un Ivan Basso complètement dépassé par les événements dans les journées décisives. Ça n’avait mené qu’à une cinquième place de l’Italien. En prenant les choses en main même sur les étapes de plaine, Astana fait en effet le jeu des compagnons d’Oleg Tinkov, qui ne veulent pas lâcher le maillot rose, et qui n’ont pas besoin de laisser trop de plumes pour le défendre. Là où la fraîcheur sera déterminante, Aru part cependant avec l’avantage d’avoir connu une préparation plutôt souple en termes de jours de course. Absolument pas impressionné, c’est à l’usure qu’il tente de faire plier Alberto Contador sur son terrain. Au risque que cela se retourne contre lui.

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