“Sir” Bradley Wiggins, 34 ans, a presque tout connu sur la route. La gloire tout d’abord. Une incroyable série de victoires sur les courses par étapes les plus prestigieuses du World Tour débouchant sur un Tour de France maîtrisé en 2012, et plus récemment un titre mondial dans la discipline du contre-la-montre à Ponferrada. Mais aussi les chutes et les passages à vide. Son sacre sur les Champs-Elysées, “Wiggo” ne l’a justement pratiquement toujours pas digéré, refusant l’image de star médiatique que certains ont voulu lui coller à la peau. L’habitué des métamorphoses a toujours été tiraillé entre son amour pour la piste, et sa soif de défis sur la route. Éteint par Froome en interne, les pavés du Nord sont aujourd’hui le dernier objectifs de sa carrière sur asphalte. Une énième surprise.

Un côté vintage qui dérange parfois

Ce soir, une fois la ligne d’arrivée de l’historique Vélodrome de Roubaix franchie, Bradley Wiggins s’en ira du peloton professionnel. Mais pas vraiment le métaphorique dernier tour de piste de n’importe quel pré-retraité. L’Anglais quittera un vélodrome pour d’autres, et se consacrera à nouveau à son terrain d’expression d’origine, la piste. Pour ce grand gaillard, ce n’est ni plus ni moins qu’une trajectoire en adéquation avec son caractère si particulier. Né à Gand, en Belgique, Wiggins a d’ailleurs été perçu comme un rouleur-flandrien en puissance lors de ses premières années au sein des équipes françaises. Tout le monde se souvient de son intégration difficile à la Française des Jeux, avant de remporter sa première grande victoire au Critérium du Dauphiné 2007, lors du prologue. Puis il a connu sa première désillusion au grand départ du Tour dans la cité londonienne un mois plus tard. Préparé spécifiquement pour l’exercice, il se loupe, et vit un calvaire les jours suivants, qui prend fin avec l’exclusion de l’équipe Cofidis suite au cas de dopage de l’Italien Cristian Moreni. Membre de la dream team britannique sous la houlette de Dave Brailsford, le champion olympique de poursuite individuelle à Athènes continue l’alternance entre route et piste, toujours dans une certaine hésitation, mais avec des résultats remarquables. Aux côtés de Mark Cavendish, Geraint Thomas il fait une razzia à Pékin, et le même Brailsford se permet le luxe de développer son projet de révolution matérielle sur la route.

Sky est née, et entre temps, Wiggins fut l’OVNI de la Grande Boucle en 2009, sous le maillot Garmin. Épatant quatrième derrière Contador, Andy Schleck et Armstrong, il impressionne par sa faculté à résister en montagne face aux purs grimpeurs, lui qui n’avait jusque là aucune référence en altitude. Il avance alors qu’il a changé de préparation, et commence à jouer avec son poids. Une maigreur qui en deviendra presque surréaliste l’été 2012, véritable apothéose de sa deuxième carrière. Imbattable à l’image d’une formation au septième ciel, l’ancien maillot rose du Giro et troisième de la Vuelta écoeure tout le monde en restant assis dans les cols, drainé par un Froome tout aussi programmé pour la gagne, avant de s’offrir une promenade olympique au milieu d’une foule en délire. Un Tour soporifique comme jamais, diront les puristes, et marqué par l’empreinte du nouvel idole du Royaume, qui raffole de son flegme, de ses rouflaquettes oldies, d’un garçon fan des Rolling Stones et du vivier musical d’une autre époque. Bref, un homme d’un autre temps, qui bien avant ses succès de taille, rêvait de gagner le Tour, le Dauphiné, le chrono des Jeux Olympiques, mais surtout de se mesurer aux Boonen, Cancellara et consorts sur Paris-Roubaix. Devenu adepte d’une barbe hirsute comme Paolini et Eisel, “Brad” s’est cultivé de manière paradoxale une image de bad boy vis-à-vis des spectateurs étrangers, et un label de gentleman aux yeux ses rivaux.

L’Enfer du Nord le classerait parmi les géants

Parmi ces deux personnalités, il faut sans aucun doute opter pour celle du mauvais garçon sur les 253 kilomètres entre Compiègne et Roubaix. Une course unique au monde, où seul un cogneur, frotteur, et audacieux peut l’emporter. Une atmosphère qui plaît à l’homme anobli, lassé des séances d’entraînement pharamineuses au Teide de son équipe au maillot noir, là ou Froome, Porte et les autres construisent leur programme annuel. L’an dernier, il avait déjà tenté ce défi si singulier pour un ancien coureur de grands tours. Neuvième en ayant placé une attaque à la sortie du Carrefour de l’Arbre, il fut alors le premier vainqueur du Tour à se classer parmi les dix premiers sur le vélodrome depuis Greg LeMond en 1992. Insuffisant pour un homme qui ne vit que pour la victoire, peu importe la manière, et non les accessits, synonymes d’échec. À l’entendre, sa condition est même meilleure que l’an dernier, et ce qui est sûr, c’est que le collectif de la Sky sur les classiques est arrivé à maturation. Au dessus du lot sur le Grand Prix E3, Geraint Thomas vole depuis le Tour d’Algarve, et Ian Stannard reste un dangereux outsider. Ses amis, compatriotes et coéquipiers, se sacrifieront sans aucun doute pour un Wiggins qui dispute le dernier pari d’une carrière inclassable.

Celui qui avait avoué au journal L’Équipe qu’il ferait tout pour « échanger [son] Tour de France contre Paris-Roubaix » se doit de saisir une occasion qui ne se représentera plus. Fabian Cancellara et Tom Boonen mis hors-jeu et les spécialistes plus ou moins à égalité si l’on excepte un Alexander Kristoff qui part moins sûr de lui sur l’Enfer du Nord, Bradley Wiggins a tout pour réussir le hold-up parfait, et estomaquer une fois de plus le public en sortant par la grande porte. Le choix de la date de son retrait des compétitions sur route n’est d’ailleurs pas un hasard. Sa quête de records est loin d’être terminée, et avant de viser le record de l’heure en plus d’un cinquième titre olympique en tant que pistard à Rio, lever les bras sur un tel Monument ne laisserait personne indifférent. Sean Yates, désormais manager de Tinkoff, en est allé de son hommage sur Cyclingnews. « Finir sa carrière ici est un scénario rêvé. Son dernier souhait serait de gagner, mais peut importe ce qu’il se passera, il aura pris sa retraite en accord avec ses propres valeurs. Il est capable de le faire […], de lâcher les chevaux sur un secteur pavés, d’imposer une grosse cadence. Wiggins est l’un des plus meilleurs coureurs de sa génération, et avec une victoire à Roubaix, il rejoindrait Merckx et de Vlaeminck dans l’histoire de son sport. » Un retour aux sources, et une fin riche en symboles. Quoi qu’il arrive, Wiggins donnera ses derniers coups de pédale sur route dans le vieux vélodrome de Roubaix. Un épilogue plein de charme.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.