Si la Belgique retient actuellement son souffle à l’occasion du sommet des classiques flandriennes, c’est vers un univers radicalement opposé que le jeune espoir Thomas Degand se dirige. A 28 ans, celui qui réside à Bois-de-Lessines, une commune du Hainaut frontalier, n’est pas passé inaperçu en ce début d’année 2014, et a même impressionné tout au long d’un mois de février prolifique pour sa formation Wanty. Il se livre à la Chronique du Vélo dans un entretien riche en découverte avec un grimpeur des plus sympathiques qui sent le vent tourner en sa faveur.

Thomas, pouvez-vous nous raconter votre ascension chez les professionnels, et les éventuelles difficultés traversées ?

Je suis d’abord passé par une équipe continentale non professionnelle. C’est vraiment une bonne solution puisqu’en plus de faire des courses relativement calmes et intéressantes pour nous, on dispute quelques épreuves avec les professionnels. De tels débuts amateurs permettent de franchir le palier nécessaire pour s’intégrer au monde professionnel. Pour ma part, j’ai commencé assez tard par rapport à d’autres coureurs, à 17 ans. Mais comme cela se passait très bien chez les jeunes, mon accession s’est faite assez rapidement. J’ai pu signer un contrat pro dans la foulée, et maintenant, je suis bien installé, depuis quatre ans, dans une bonne équipe. C’est l’essentiel.

Vous avez l’avantage d’avoir toujours, ou presque évolué dans la même structure, Accent puis Wanty. Vous évoluez donc dans un environnement de confiance ?

Oui c’est vrai, j’ai un peu grandi avec l’équipe. Je connais presque tout le monde dans le staff, et malgré les quelques changements, c’est toujours Jean-François Bourlard qui occupe le rôle de manager général. Il a toujours eu confiance en moi, et j’en suis reconnaissant. J’essaie de lui prouver que je mérite cette confiance.

Votre coéquipier Roy Jans nous disait (voir ici) que le passage cet hiver d’Accent à Wanty – Groupe Gobert avait donné lieu à une émulation positive, vous confirmez ?

Disons que l’équipe était déjà bien dans le rythme professionnel auparavant, mais avec le remaniement à l’intersaison, on a presque fusionné avec une partie de l’équipe Vacansoleil. Tout s’est amélioré, on a grandi mutuellement. Les entraînements et l’ambiance sont aussi bien différents, et quand on voit notre début de saison, on se dit que nos six victoires sont vraiment révélatrices. L’intégration s’est très bien déroulée, le stage en Espagne du mois de janvier était vraiment très formateur, j’en garde le souvenir d’un moment de solidarité. Pour faire des bons résultats au sein d’une équipe, on se doit d’avoir une bonne cohésion. Sans cela, ce n’est pas possible.

De quelle façon les entraînements ont-ils évolués ? Jugez-vous votre programme de préparation optimal ?

Pour ma part, j’ai également changé d’entraîneur personnel cet hiver. J’ai remarqué que j’étais vraiment en bonne condition au mois de février et que la forme revenait assez vite. Avant, quand je me considérais encore comme débutant, je m’entraînais essentiellement au goût de mes sensations, avec principalement des longues sorties d’endurance éventuellement accompagnes de quelques exercices spécifiques en coordination avec l’équipe. C’est donc une grosse évolution pour moi de côtoyer un entraîneur, sachant que pendant une dizaine d’années, je n’en ai jamais voulu, essayant de m’auto-gérer. Mais quand je regarde les résultats, je me dit que cela porte ses fruits. Le bilan est très positif.

Vous avez très bien démarré l’année en prenant la sixième place du Tour Méd et la septième du Tour d’Andalousie. Ce sont des courses qui vous correspondent vraiment ?

Ce qui est certain, c’est que je me considère plus comme un coureur de tours qu’un coureur de classiques. Déjà, avec notre situation d’équipe continentale pro, les courses par étapes qui s’offrent à nous sont souvent des épreuves de cinq jours, avec un profil accidenté et un petit contre-la-montre qui peut me convenir. C’est un format assez sympathique, même si j’aimerais bien m’essayer sur des courses plus longues…

Justement, vous venez de terminer un Tour de Catalogne au parcours difficile, ou étaient présents les meilleurs mondiaux. Mais on ne vous a pas vraiment vu jouer les premiers rôles…

En effet, j’ai eu la chance de pouvoir participer à une très belle course. Mais ma semaine fut gâchée par des problèmes intestinaux les deux premiers jours, et cela avait déjà conditionné la suite de l’épreuve. Malgré tout, j’en tire une belle expérience ; cela m’a permis de découvrir autre chose.

Performer en chrono est indispensable sur les courses par étapes, c’est un domaine où vous vous sentez à l’aise ?

Il ne faut pas oublier que j’ai été champion de Belgique du contre-la-montre chez les amateurs – en 2010, ndlr. Après, un contre-la-montre long, tout plat, monotone avec de longues lignes droites, ce n’est pas vraiment mon truc. Là, il faut vraiment pouvoir emmener un très gros braquet. Mais sur des chronos escarpés, comme c’était le cas au Tour Méd, c’est vraiment parfait pour mes qualités. Je peux vraiment m’exprimer sur ce type de tracé.

Et sur une ascension sèche comme le Faron, vous vous en êtes également bien sorti. Globalement, vous préférez ce type de montée plus courte mais dure qu’un long col, comme vous avez pu en appréhender en Espagne ?

Bizarrement, je dirais plutôt que je me sens mieux dans un long col que sur une montée abrupte. Après, en Catalogne, je n’étais pas au top et je n’ai pas pu faire le point avec mes sensations sur ce type d’arrivée ; mais les ascensions du Tour d’Andalousie faisaient une douzaine de kilomètres, et je m’y sentais vraiment bien. C’est un effort plus long mais régulier, c’est ce que je préfère, même si la montée du Faron ne me convenait pas trop mal non plus. En fait, c’est surtout au niveau de la force que je dois travailler pour viser encore plus haut !

En Andalousie, la différence s’est souvent faite dans les derniers kilomètres. Comment réagir lorsqu’on manque un peu de punch ?

J’étais déjà très satisfait de pouvoir accompagner les meilleurs sur cette montée, mais dans les derniers mètres, quand cela se passe de cette manière, c’est vrai que c’est un peu sauve qui peut ! Cependant, le déficit d’explosivité s’est comblé pour ma part avec la résistance, qui est tout aussi importante lorsque le kilométrage est important. C’est pour ça que je préfère cette configuration, et je suis content d’avoir fait du mieux que je pouvais.

Dans un futur proche, quel sera votre rôle sur les ardennaises ? Coureur protégé ou équipier de Leukemans ?

Björn sera évidemment leader à part entière sur les classiques ardennaises, même si je pense que je pourrais être quelque peu protégé sur la Flèche wallonne et Liège-Bastogne-Liège. Mais si Leuki est en très bonne condition, je jouerais mon rôle de manière naturelle afin de l’aider à faire le meilleur résultat pour l’équipe. Ce sera aussi une manière de se tester sur les grandes classiques printanières.

Laquelle est selon vous la plus adaptée à votre profil ?

Déjà, je ne serai pas aligné sur l’Amstel. Il y a beaucoup de postulants au sein de l’équipe, et pour les quelques coureurs néerlandais, c’est important d’y participer. Je dirais sinon que la Flèche wallonne est celle où j’ai le plus de chances, surtout au niveau de la distance. Elle ne fait qu’à peine que 210 kilomètres, et ce sera déjà beaucoup. Nous ne sommes pas habitués à disputer de telles courses.

En tant qu’équipe de seconde division invitée sur les plus belles épreuves du calendrier, mettez-vous en place des entraînements spécifiques pour être au point au plus haut niveau ?

Comme je l’ai dis, ce n’est vraiment pas facile pour nous. On part avec une différence de kilomètres dans les jambes face aux coureurs World Tour, et on se doit de combler ça. Il est donc impératif après les courses de réaliser au minimum une voire une heure et demie de vélo, afin de minimiser nos lacunes.

Comment s’annonce la suite de votre saison ? Ne pas être invité sur la Vuelta, c’est la grande déception de la fin de saison ?

C’est sûr que les courses qui se déroulent en Belgique, et surtout en Flandre, sont primordiales pour les sponsors. Donc à ce niveau là, ce n’est pas un drame de ne pas avoir reçu de wild-cards. Mais d’un point de vue plus personnel, c’est vrai que c’est regrettable, puisque je pense que le rêve de tout coureur possédant le même profil que le mien consiste à prendre part au moins une fois dans sa carrière à un grand tour. Cela aurait vraiment pu être ma plus belle expérience, mais je sais que je peux me rabattre sur d’autres courses également relevées. Je pense au Tour d’Autriche, à la Route du Sud et au Tour du Limousin. Des petits tours sur lesquels j’essayerai de continuer à me distinguer.

Quid du Tour de Wallonie ? Vous aviez terminé sixième derrière du beau monde en 2011…

C’est le type de courses que je viserai au cours des prochains mois, mais l’exemple du Tour de Wallonie est particulier. Certaines années, j’adore vraiment le parcours avec les arrivées au sommet, tandis que d’autres, il peut carrément il y en avoir cinq qui se terminent par un sprint de quarante coureurs, et là, c’est difficile pour moi de montrer quelque chose… Je n’ai pas encore vu les étapes du parcours de cette année, mais c’est clair que c’est une très course belle, bien organisée, et même si sur ces petits tours dont je vous fais part, je n’arrive pas à faire quelque chose au général, je m’entraîne toujours dans l’optique de remporter une victoire d’étape.

Ces dernières années, la Belgique semble dépourvue, à l’exception de Van den Broeck, Monfort et quelques autres, de bons grimpeurs. Comment l’expliquez-vous ?

Je pense que même si nous, Belges, avons eu des grands champions en haute montagne, il faut dire que si l’on enlève les Ardennes, on n’a pas grand chose pour rivaliser face aux hordes de Français qui basent leur préparation sur des grands cols comme l’Alpe d’Huez. Mais plus généralement, la tendance actuelle chez les jeunes est de donner toujours plus d’importance aux classiques flamandes. De ce fait, on voit de plus en plus de Flamands pousser chez les pros, et moins de Wallons…

De là à ressentir une concurrence envers l’équipe Topsport, par exemple ?

Non, je ne vois pas en quoi il pourrait y avoir une concurrence au sens strict du terme. Après c’est vrai qu’il y a un peu de ça, mais rien de bien méchant au niveau du jeu habituel entre les directeurs sportifs et managers des deux côtés, qui veulent terminer devant l’autre au classement UCI. Mais on fait notre course, si on commence à regarder les résultats des autres, on ne s’en sort plus.

Pour conclure, envisagez vous à long terme de vous internationaliser encore plus, de courir un peu plus loin de la Belgique ?

Le futur de ma carrière m’intéresse, mais je suis bien où je suis, et je ne vois guère qu’une équipe française dans celles qui pourraient me correspondre, en plus des petites équipes italiennes et espagnoles qui ont un calendrier très intéressant. Alors pourquoi pas, mais de là à aller sur un autre continent, faire le tour du monde à vélo, non merci.

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