« Bravo », « Allez le Gabonais ». Et des cris hystériques. Voici le lot sonore qui accompagne la Tropicale Amissa Bongo depuis huit ans déjà. Clairement définie comme la plus grande et importante course cycliste africaine, cette épreuve a connu un intérêt croissant, aussi bien du grand public que des coureurs. Pourtant, joue-t-elle réellement un rôle dans l’échiquier mondial du cyclisme ? Apporte-t-elle autant qu’on le dit au cyclisme africain ? Si l’on admet volontiers que les coureurs du continent comptent maintenant dans le jeu du cyclisme mondial, cela peut aussi cacher un intérêt éphémère pour un nouveau phénomène, quelque chose qui cristallise soudainement les passions mais qui ne dure pas. Alors, que nous raconte cette course ?
Du gibier, du vin de palme et un peloton
Si la course est plutôt correctement suivie à l’étranger, elle ne manque surtout pas de spectateurs au Gabon ! Comme cet homme qui attend le passage des coureurs, assis sur sa brouette. Mais ce n’est pas tout : à Oyem, capitale du nord, des milliers de jeunes s’enthousiasment tant à la vue des coureurs qu’aux animations de l’avant-course – jeux et danse sur le podium. Les autorités leur ont accordé une journée de congé pour ce jour de fête. Car oui l’ambiance est bien festive là-bas ! Du gibier – dont les Gabonais sont friands – est accroché à des branches, on vend des avocats, des bananes et des piments, sans oublier de trinquer à la course avec le vin de palme, ambroisie locale !
Mais ce qui excite les spectateurs, ce sont surtout les T-shirts. On en distribue sans compter, sous les cris de joie du public, pauvre en grande partie. Pour le grand public gabonais, pas forcément fin connaisseur de cyclisme, cette épreuve est simplement un prétexte à la fête. Mais pour les politiques, c’est à la fois une énorme vitrine pour le pays et un casse-tête : si le territoire est deux fois moins grand que la France, un million et demi de personnes vivent néanmoins ici ! Mais le pays dispose d’une infrastructure routière très sommaire, ce qui implique un nombre fréquent de transferts aériens et routiers pour les organisateurs. Et même si les routes sont inspectées plusieurs fois pendant les mois précédent la course, il reste des trous. Ce qui nécessite encore une fois l’intervention des organisateurs.
Crème solaire et chauffante
Alors que le public amassé au bord des routes ressemble plus à des touristes qu’à de véritables supporters, qu’en est-il des coureurs ? Viennent-ils également avec crème solaire et lunettes de soleil ou plutôt crème de massage et lunettes cyclistes ? Le plateau de cette année apporte tout de suite une précision : avec des hommes comme Luis Léon Sanchez, coureur au palmarès plus que fourni, le revenant John-Lee Augustyn, sorti de sa retraite, et l’ex-futur grand Linus Gerdemann, ancien porteur du maillot jaune, les organisateurs peuvent se targuer de compter quelques-unes des pointures mondiales. Donc oui, la course attire ! A commencer par les équipes françaises qui s’invitent depuis le début sur l’épreuve. Mais qui ne viennent surtout pas pour faire de la figuration et simplement se remettre en jambe.
Pour preuve, en 2006, les équipes européennes se nommaient La Pomme Marseille, FDJ, Roubaix et Jartazi. En 2011 ce sont Europcar, FDJ, Quick-Step et Chipotle ; le Gabon a visiblement des atouts de séduction. Certes la concurrence est moins élevée qu’en Europe pour ces équipes, et il ne faut donc pas s’enflammer. Mais malgré tout, les coureurs viennent avec des ambitions plein la tête, comme peuvent en témoigner les mots de Bernard Hinault à l’égard du Belge Louis Verhelst, venu disputer un point chaud à des Africains : « Laisses-en aux autres ! C’est idiot. » Et avec un Luis Leon Sanchez longtemps leader avant un Natnael Berhane soit sacré, le palmarès s’étoffe et s’offre pour la première fois depuis 2006 à un non-français.
Nouvel essor et vitrine pour le cyclisme africain
Avec cette course, le Gabon offre donc le moyen aux équipes africaines de se mesurer aux meilleurs formations du peloton. Bien sûr, certaines équipes n’ont pas encore le niveau mais « on voit tout de même ces nations progresser » précise Philippe Crepel, directeur de l’épreuve. La principale motivation des locaux est bien d’être au même niveau que les Européens. Là encore le directeur déclame : « c’est l’ensemble du cyclisme africain qui est tiré vers le haut ! » Il suffit de jeter un œil sur la petite histoire de la Tropicale pour abonder dans le sens de Crepel. Depuis la première édition, trois Africains ont remporté une étape. Parmi eux, Teklehaimanot et Berhane, des noms désormais familiers du grand public et pour qui l’épreuve fut un véritable tremplin. Dans le cas du jeune coureur d’Europcar, cela lui a permis de rentrer au Centre Mondial du Cyclisme, puis plus tard chez Europcar – Jean-René Bernaudeau ayant fait le voyage déjà six fois au Gabon, il connait très bien la course. De nouvelle opportunités se créent, et Berhane, élu meilleur coureur africaint en 2012, revient cette année sur la Tropicale avec le privilège d’être le leader de la formation française.
Un autre grand espoir africain, Louis Meintjes, était également présent l’année passé. Élu meilleur coureur africain il y a quelques semaines, il fait partie de ceux qui donne de l’importance au cyclisme sur un continent trop souvent délaissé. Auréolé de la médaille d’argent de la course U23 des Mondiaux 2013, Meintjes incarne parfaitement cette Afrique qui n’a peur de rien, et qui commence à s’exporter en Europe. Et surtout qui ramène des résultats ! Un essor en partie caractérisé par l’ascension au monde professionnel d’une équipe africaine, MTN-Qhubeka. Une grande première pour le cyclisme africain. Et quelle belle première puisque l’Allemand Ciolek leur a ramené une victoire sur Milan-Sanremo dès leur première année en Continental Pro ! Avec un Daryl Impey premier maillot jaune africain sur le dernier Tour de France, tout semblent s’accélérer. Reinardt Janse van Rensburg fait partie des dernières pépites africaines, lui qui a commencé à parfaire ses armes sur des courses africaines avant de se mesurer à l’Europe. Avec succès.
Hinault raconte : « Quand j’ai vu l’Erythréen Daniel Teklehaimanot gagner à Lambaréné en 2011, je me suis dit : ça y est, ils arrivent ». L’arrivée de ces nouveaux talents est le garant d’un spectacle nouveau, de la découverte d’une autre mentalité de course, peut-être moins stéréotypée que celle des Européens. Le but de la course et l’importance de l’Europe dans tout ceci sont que « les cyclistes professionnels sont aussi là pour montrer que le cyclisme n’existe pas qu’en Europe. Il faut donner un coup de pouce à ces pays émergents du vélo. S’ils ne peuvent pas venir chez nous, c’est à nous d’aller chez eux », complète l’ancienne gloire du cyclisme tricolore. Mais ce qui étonne toujours dans cette histoire, c’est l’incroyable rapidité avec laquelle se développent et se multiplient les talents africains : « Il y a cinq ou six ans, on ne savait même pas qu’il y avait des cyclistes érythréens. Maintenant ils gagnent sur le circuit mondial. Demain, le futur grand champion, c’est peut être un des bambinos sur le bord de la route qui aura été inspiré par la course », s’enflamme Hinault. A se demander si l’Europe ne sera pas désormais le poisson-pilote d’une Afrique qui lance à présent son sprint…
Bel article bien redigé qui amène à reflechir sur le sujet, bravo !
Original, riche et bien écrit, soulevant certaines problématiques, là ça ressemble à du journalisme, félicitations…
Merci pour vos deux commentaires, qui de plus sont positifs !