L’ensemble de la rédaction de Chronique du Vélo a fait ses pronostics en vue du Tour. Nous avons chacun livré notre top 10, notre maillot vert et notre maillot à pois pour finalement établir notre propre classement. Jusqu’à la veille du départ, nous allons donc vous présenter ces protagonistes via des portraits décalés. Le but : vous faire redécouvrir ces champions dont on parle déjà tout au long de l’année. Voici donc Peter Sagan, que nous avons désigné maillot vert.

Le génie entraîne toujours quelques jalousies. Alors forcément, certaines voix s’élèvent de temps en temps parce que les critiques sont inévitables. Mais elles sont rares et souvent vite mises de côté quand il s’agit de Peter Sagan. Personnage complètement à part, le Slovaque n’est pas loin de faire l’unanimité dans le peloton et chez les observateurs. Parce qu’en plus d’être un champion sur le vélo, il est un ovni médiatique.

Ibrahimovic, migrants et liberté

Il y a quelque chose de fascinant chez Peter Sagan. C’est pour ça que chacune de ses interventions est scrutée. Chaque interview peut offrir sa punchline, les journalistes le savent et attendent même le moment avec impatience. Le Slovaque les distille lui au compte-gouttes. Quand on le compare à Zlatan Ibrahimovic avant Paris-Roubaix 2016 ? Il coupe : « C’est qui Ibrahimovic ? » Sur le Tour de France, quelques mois plus tôt, des journalistes chinois lui avaient demandé pourquoi il était si fort et si offensif. Réponse de l’intéressé : « Parce que j’ai des grosses couilles. » Un an plus tard, l’enfant de Zilina avait même remis ça, assurant : « Mes couilles sont plus grosses que l’an passé. Leur taille augmente chaque année. » Pas de quoi cerner le personnage, parce qu’il semblerait que personne n’y parvienne. Mais suffisant pour comprendre que l’on a affaire à un phénomène. Épie à chaque apparition. Sa coupe de cheveux ou la taille de sa barbe devenant même des sujets de discussions.

Alors oui, Peter Sagan est un showman. Un homme qui à 22 ans, sur son premier Tour de France, claquait déjà trois étapes. Et se prenait à mimer, en franchissant la ligne, Hulk ou Forrest Gump selon son humeur. Un garçon qui en plein hiver tourne un remake de Grease où il se prend pour John Travolta, ou descend de son bus, au matin d’un Tour des Flandres, sur la musique de Star Wars, pour la plus grande joie de spectateurs hilares. Mais Peter Sagan, ce n’est pas que ça. C’est aussi un champion qui quelques minutes après avoir décroché son premier titre de champion du monde à Richmond, a une pensée et des mots pour les migrants. Une prise de position marquante, où il exhorte son auditoire à « changer le monde ». Pendant longtemps, on lui parlera de cette intervention. Lui minimisera toujours son rôle. « J’étais avec mon soigneur, qui est aussi ma petite amie. Je lui ai dit : ‘’Il faut que je gagne et j’en profiterai pour parler de ce problème.’’ »

Certains, pourtant, le lui reprocheraient presque. Patrick Lefevere, un temps patriarche du peloton, n’est pas un fan de Peter Sagan. « Il a une entreprise de com’ derrière lui », peste-t-il sans trop savoir ce qu’il en est, mais frustré par la popularité du Slovaque. Mais non, lorsqu’il s’exprime, Sagan n’est pas dans la com’. Du moins, ce n’est pas son leitmotiv. « Si quelque chose ne lui plaît pas, il le fait savoir tout de suite, expliquait son coach Peter Zanicky à NRC en février dernier. Vous ne pouvez pas retirer sa liberté à Peter. » D’ailleurs, après sa prise de parole engagée à Richmond, le Slovaque avait reçu beaucoup de questions. « Personne ne prête attention à ces amis, à ces familles, assurait-il au magazine Rouleur. Les familles sont brisées. Pourtant, les familles doivent rester ensemble, non ? » Pouvoir s’exprimer à ce sujet l’avait finalement motivé à remporter ces championnats du monde.

Technologie, ennui et Schumacher

Dans une sphère, le sport, de plus en plus stéréotypée, le garçon détonne. En course, tout va très vite. Ses interviews sont concises, et c’est là qu’interviennent ses phrases chocs. Puis le reste du temps, il aime prendre son temps, réfléchir. Sur la société par exemple. « Maintenant, nous avons des téléphones, des ordinateurs, des mails, des messages, pointait-il du doigt, encore pour le magazine Rouleur. Nous perdons notre vie car nous sommes toujours sur l’ordinateur à écrire des mails. Puis après le mail, vous avez un SMS, et après le SMS vous devez appeler quelqu’un. La technologie évolue très rapidement. Les enfants ne jouent plus dehors avec un ballon. Après l’école, ils s’enferment à l’intérieur et jouent aux jeux vidéo. Où est la vraie vie ? » C’était finalement plus largement de ça que parlait Peter Sagan lors de son discours d’après-course, à Richmond. Les coutumes du vélo, il ne cesse jamais de les balayer. Sans pour autant se prendre pour autre chose qu’un coureur cycliste.

Après la deuxième étape du Tour, l’an dernier, le garçon s’était même plaint du déroulé de la course. « J’ai gagné mais je me suis ennuyé. (Il hausse les épaules) Parce que la course ne se déclenche qu’à 30 kilomètres de l’arrivée. Avant, tout le monde s’ennuie. Même nous, les coureurs. » Il ne s’arrête jamais de surprendre. Alors les médias l’attendent, espèrent avoir droit chaque fois à une petite saillie. Peter Sagan est devenu une attraction. Pourtant, il rêve de calme. « Partout où il va, il est suivi par les médias, les fans, confie son ami Matej Vysna à NRC. Les hôpitaux le demandent pour des actions de charité. » Son frère Milan poursuit : « Peter n’a pas besoin de grand chose dans la vie, mais il a besoin d’avoir du temps pour lui. Et pour le moment, il n’en a pas. » Parce qu’il est un champion ultra populaire et donc ultra demandé.

Un champion, pourtant, qui n’a pas pour objectif de marquer à vie son sport. Lui pense avant tout à s’amuser. C’est ce qui explique sa personnalité. En janvier 2016, dans une interview donnée au Parisien, le journaliste lui demandait s’il souhaitait laisser une trace dans l’histoire du cyclisme. Réponse du Slovaque : « Je m’en fiche. » Le journaliste enchaîne et interroge Sagan pour savoir s’il se voit courir jusqu’à 35 ou 36 ans. « Mais qui sait ce qu’il fera dans dix ans ? Quand j’y pense, j’ai peut-être déjà perdu cinq ans sur un vélo, rétorque-t-il. Demain, je peux aller faire du ski et terminer comme Schumacher… On ne sait jamais de quoi la vie sera faite. » Philosophe, Peter Sagan étonne une fois de plus. Dans le bon sens du terme. Champion hors norme sur le vélo, il fascine presque davantage une fois descendu de sa monture. Il est un personnage insaisissable dans le paysage médiatique. C’est aussi, sans doute sans qu’il le veuille, ce qui fera sa légende.

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